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exposer la véritable situation des esprits, s'il est écouté, pourra rendre un véritable service. >>

M. Desmousseaux de Givré, un des plus remuants parmi les 221, repoussa hautement la transaction offerte. « Quand on veut, ditil, obtenir l'appui d'un parti, il faut lui faire des conditions acceptables; à mon avis celles qu'on nous fait ne le sont pas. »

Puis il ajoutait : « Je ne sais pas ce que M. le président du conseil a promis à la gauche; mais je sais que la gauche lui a beaucoup donné: elle lui a donné un principe! elle a fait pour obtenir sa bienveillance ce que nous ne ferons jamais pour conquérir la bienveillance d'un chef de gouvernement; car jamais nous n'abandonnerons nos principes. >>

M. Béchard, membre de l'opposition légitimiste, n'acceptait pas plus que M. Desmousseaux de Givré le mot de transaction; mais il expliquait autrement son refus d'adhésion.

<< Dans le projet de transaction, disait-il, j'ai été, je l'avoue, très vivement frappé d'une chose; c'est que la gauche, qui n'obtient rien se montre pleinement satisfaite, tandis que les centres sont mécontents... Ce qui effraie, Messieurs, le centre droit de cette Chambre, ce qui satisfait la gauche, malgré l'ajournement de la réalisation de ses doctrines, c'est la marche générale du ministère. La gauche attend l'arme au bras; elle n'abdique pas ses doctrines, elles les ajourne; le ministère marche vers elle, et, comme on l'a très bien dit, c'est un ministère de transition et non pas un ministère de transaction. »

L'orateur déclare que le programme du ministère lui semble insuffisant, il somme le cabinet de s'expliquer avec plus de clarté sur la réforme électorale, sur les lois de septembre; enfin, pour accorder au ministère un vote de confiance, il demande la cessation des abus du despotisme administratif et du monopole électoral; la réduction des dépenses publiques; l'organisation du principe de la liberté religieuse, la liberté d'enseignement et le complément de l'amnistie.

Le ministère était harcelé des deux côtés; M. de Lamartine dirigea contre M. Thiers une attaque personnelle. Depuis qu'il était à la Chambre, M. de Lamartine s'était piqué de faire preuve d'une indépendance qui, le dégageant de tous les partis, ressemblait à l'isolement. Tantôt allié du ministère, mais allié sans contrat, tantôt marchant avec l'opposition, mais sans aucune discipline, il apportait son appui non pas à des systèmes, mais à des détails, souvent égaré dans une politique de sentiment, mais toujours inspiré par des pensées généreuses et chevaleresques, excepté lorsqu'on invoquait des souvenirs révolutionnaires, contre lesquels il conservait à cette époque les impressions traditionnelles de sa jeunesse. Or, M. Thiers avait dit: « Je suis un enfant de la révolution. >> Ce fut l'occasion des plus vives apostrophes de M. de Lamartine.

« J'aime, dit-il, et je défends l'idée libérale, le progrès du pays et de la législation dans le sens régulier et fécond de la liberté ; vous, vous aimez, vous caressez, vous surexcitez le sentiment, le souvenir, la passion révolutionnaire; vous vous en vantez, vous dites: « Je suis un fils des révolutions, je << suis né de leurs entrailles, c'est là qu'est «ma force; je trouve de la puissance en y << touchant, comme le géant en touchant la << terre. Vous aimez à secouer devant le peuple ces mots sonores, ces vieux drapeaux, pour l'animer et l'appeler à vous; le mot révolution dans votre bouche, c'est, permettezmoi de vous le dire, le morceau de drap rouge qu'on secoue devant le taureau pour l'exciter....

<< Voilà une des causes qui nous diviseront longtemps.

<«< Mais, il faut tout dire, il y a autre chose en vous ; il y a, j'oserai le dire, non un principe, mais une passion, une passion inquiète, jalouse, insatiable, que rien ne peut calmer, qui ne veut rien partager, parce que tout n'est pas encore assez pour ile. Il y a la passion de gouverner, de gouverner seul, de gouverner toujours, de gouverner avec la majorité, de gouverner avec la minorite

P

comme aujourd'hui, de gouverner avec et contre tous; régner seul, régner toujours, régner à tout prix. »

L'orateur rappelle qu'après le vote qui avait amené la chute du cabinet du 12 mai, la paix était faite et la majorité retrouvée, cette majorité formée du centre gauche et du centre droit, base naturelle et permanente d'un pouvoir régulier, il soutient que cette union des deux centres n'a été empêchée que par la situation prise dans la Chambre, et systématiquement prise par le président du conseil. « Il s'est placé presque à l'extrémité de cette Chambre, ou du moins dans un des groupes les plus distants des centres, où devait être son point d'appui... Et là, il fait appel à la transaction. »>

Puis, apostrophant directement M. Thiers, il s'écrie: « D'où sortez-vous? Du sein de nos adversaires politiques. Quels sont vos appuis? Nos adversaires politiques. Et au dehors, quels sont les organes qui vous appuient avec le plus de force? Ce sont ceux qui nous outragent et nous invectivent avec le plus d'obstination.

<< Vous me demandez si j'ai confiance dans la direction parlementaire, dans la force, dans la stabilité, dans la puissance d'agir du chef d'un cabinet qui, debout sur une minorité prête à se dérober sous lui, tend une main à la gauche, qu'il appelle à le soutenir contre la droite, une autre main à la droite, qu'il appelle à le défendre contre les prétentions de la gauche ; du chef d'un cabinet suspendu un moment dans un faux équilibre, dont la base est une minorité et dont le balancier est une impossible déception; si j'ai confiance, si j'ai foi, si j'ai espérance pour la couronne, pour nous, pour le pays, pour l'ordre, pour la liberté, pour quoi que ce soit de vrai, de sincère, de profitable, de patriotique, moi, le dire! Non! Jamais!

<< Confiance! Et en quoi! Confiance! Et à quoi ! Si je me place au point de vue libéral, qui est le mien plus que vous ne voulez le croire, je vous trouve en face de mes principes de progrès social dans presque tous les grands combats que nous avons livrés depuis

cinq ans pour développer et moraliser la démocratie. Si je me place au point de vue conservateur, je vous trouve à la tête de ceux qui ont mis le trouble et l'inquiétude dans le parlement, soufflé l'agitation entre le parlement et la couronne, de ceux dont un des organes ne cesse pas de sonner ce qu'on pourrait appeler, en termes révolutionnaires, le tocsin de la presse en permanence contre

nous.

« Et vous voudriez que je déclarasse confiance à tout cela! Non : le pays ne nous a pas envoyés pour jeter le mensonge dans cette urne de la vérité! »

La position équivoque de M. Thiers, la mobilité de ses principes, et l'inanité de ses promesses étaient si justement flétries par les éloquentes paroles de M. de Lamartine, que le ministère se trouvait gravement compromis dès le début de la discussion. M. Odilon Barrot vint à son secours. Il était d'ailleurs appelé à la tribune par une provocation directe.

M. de Lamartine avait dit: « Une autre cause nous interdit d'accéder à la demande de cette soi-disant transaction, je la trouve dans l'appui énigmatique que la gauche apporte à M. le président du conseil; je dis énigmatique, du moins jusqu'à ce que M. Barrot ou un de ses collègues ait bien voulu nous l'expliquer... Je ne puis pas croire que M. Odilon Barrot, qui a dit ici : assez d'abdications, veuille effacer de son drapeau ces mots : Rappel des lois de «< septembre, réforme électorale. » Il me le dirait que je ne le croirais pas. Mais il ne le dira. pas. Il y a donc, dans les espérances de la gauche, une révélation; il y a l'inconnu, non dans le pacte, je n'y crois pas, mais dans la situation. >>

M. Odilon Barrot lui répondit:

<< Vous n'avez pas besoin de chercher l'explication de cette conduite ni dans des pactes mystérieux, ni dans des satisfactions personnelles; il n'existe rien de tout cela, et le soupçon n'en a pas même été présenté à cette tribune. Le succès, Messieurs, c'est que la première fois, depuis que le gouvernement

représentatif est établi en France, il y a une opposition forte par le nombre, forte par ses principes, mais une opposition qui est en présence d'un gouvernement à la fondation duquel elle a contribué, d'un gouvernement

prononce.... Nous n'avons nullement la prétention de recourir aux menaces, à la violence.... L'oppositien serait inconséquente avec elle-même, si elle devançait le moment où le pays s'adresse à vos convictions res

qu'elle ne contrôle qu'afin de le consolider,pectives, si elle devançait ainsi le moment

de le fortifier, d'un gouvernement, enfin, au delà duquel elle ne voit rien de possible, au delà duquel elle ne voit que des catastrophes, que des abîmes...

<< Direz-vous que nous nous sommes trompés, que le ministère ne réalise pas un progrès?... Il faut dire la vérité sans exagération.... Il n'y a rien de plus fort, il n'y a rien de plus habile que la vérité et la franchise en politique. Eh bien! Messieurs, c'est dans la mesure des déclarations que M. Thiers vous a faites, que je vois un progrès qui mérite notre appui... Il est sorti de l'opposition, il n'a pas désavoué son origine; il n'a désavoué aucun des actes pour lesquels nous avons combattu ensemble, aucune des luttes dans lesquelles nous nous sommes engagés solidairement....

« Ce ministère a réalisé, dans toute sa sincérité et dans toute sa vérité, le gouvernement parlementaire que vous appeliez d'un vœu presque unanime dans votre adresse.... Il l'a réalisé puissamment; il l'a réalisé, non pas dans les mots, mais dans le fait de son existence.

« Ce ministère s'est trouvé sympathique avec nous.... dans sa manière de concevoir la politique étrangère, dans les sentiments qui l'animent vis-à-vis de l'étranger, dans le juste orgueil avec lequel il a invoqué notre révolution, avec lequel il l'a honorée. »>

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L'orateur, après avoir proclamé comme une grande et solennelle satisfaction la promesse de rendre au jury les attributions dont l'avaient dépouillé les lois de septembre, aborde la question de la réforme électorale :

« Elle est née des nécessités du pays; mais pour satisfaire à ce que je regarde pour mon compte comme une nécessité, il faut que les convictions parlementaires se soient formées comme la nôtre, il faut qu'une majorité se

Goudchaux (Michel).

1797-1862.

au bon sens de mon pays. L'appui que je prête à ce ministère, quoiqu'il ne réalise pas toutes mes opinions, est un appui commandé par un sentiment d'amour profond pour mon pays et par cette loi du bon sens qui doit toujours présider aux affaires publiques. »>

Les amis de M. O. Barrot le trouvèrent assez adroit; aux radicaux et aux conservateurs il parut bien humble, bien facile à con

tenter.

En somme, la discussion n'avait montré le ministère ni très vigoureux ni très sûr de son existence. Les conservateurs avaient été dédaigneux et menaçants, les libéraux incer

tains et embarrassés; le public ne savait que penser de cette joûte parlementaire où les affinités politiques du principal ministre étaient chez ses adversaires, et les méfiances chez ses alliés ; et la cour, qui supportait impatiemment le joug de M. Thiers, se flattait

ver cette réunion des partis, si désirable, si importante pour le pays? Y avait-il, comme on l'avait dit, d'un côté, des idées libérales; de l'autre, des instincts révolutionnaires?

« Quelles distinctions M. de Lamartine veut-il faire alors entre les instincts révolu

nous persuader que les idées libérales fassent leur chemin dans ce monde sans que les événements les aident à triompher? Les révolutions, Messieurs, c'est l'avènement des idées libérales...

déjà de le voir tomber victime de cette positionnaires et les idées libérales? Voudrait-on tion équivoque. Le roi à cet égard avait toute la franchise du dépit. Pendant le cours de la discussion, M. Cousin, qui n'y prenait pas part, allait d'heure en heure de la Chambre au château communiquer à Louis-Philippe les incidents parlementaires. Durant le second jour, le ministère croyait décidément à une défaite. M. Cousin courul porter au château les pressentiments de ses collègues.

« Sire, dit-il, Votre Majesté l'emporte. Je pense que le vote sera contre nous. » << Vraiment répliqua Louis-Philippe; eh bien! Je reprendrai Soult. » Et il se mit à discuter avec M. Cousin le choix de ses successeurs, ajoutant cependant d'un air de politesse : « Il y en a bien parmi vous quelquesuns que je regretterai. » Et il fit en termes pompeux l'éloge de M. Thiers, comme s'il eût prononcé son oraison funèbre.

Cependant le ministère s'était trop hâté de craindre. Les mêmes incertitudes régnaient encore dans la Chambre et dans le public. Le cabinet, les conservateurs, l'opposition dynastique se débattant sur des questions personnelles, il n'y avait aucune base certaine pour le calcul des probabilités, et le vote définitif ne devait reposer que sur des caprices individuels, peut-être sur des hasards ou des intrigues.

M. de Rémusat, répliquant spécialement à M. de Lamartine, développa fort habilement les idées de conciliation. Repoussant le souvenir des vieilles querelles et des vieilles distinctions de parti, il montrait les ministres dans une position intermédiaire qui leur permettait, sans exclusion, sans hostilité, au nom de leurs antécédents, de tous leurs antécédents réunis et coalisés dans le ministère, d'appeler à eux sous le drapeau du gouvernement toutes les bannières de la Chambre. Quels motifs pouvaient donc entra

<< Il ne faut pas avoir, comme l'honorable membre, un amour platonique pour les idées libérales qui les sépare des révolutions, c'està-dire du souvenir des hommes et des événements qui les ont fait triompher. Il faut respecter ces révolutions dans leur principe, il ne faut pas se tenir à l'écart des souvenirs qu'elle consacrent, du drapeau qu'elles honorent, de la royauté qu'elles ont créée. Il faut aimer ces révolutions dans leur ensemble en détestant leurs erreurs, leurs crimes, leurs excès; mais il ne faut pas craindre de présenter au monde le drapeau d'une révolution comme la nôtre. >>

Jusque-là, la discussion s'était maintenue entre les ambitions triomphantes et les ambitions déçues. M. Berryer, faisant justice des misérables questions personnelles, vint agrandir le terrain et donner de hautes leçons de morale et de politique et au cabinet et à l'opposition dynastique. Ses premières paroles étaient une vive critique du parlement qui depuis dix ans négligeait les grands intérêts du pays pour discuter sans cesse sur la sympathie ou sur l'antipathie qu'ont inspirées tels ou tels ministères, qu'on ne peut pas même venir à bout de définir par les principes qu'ils auraient essayé de mettre en œuvre, et pour lesquels il faut recourir aux chiffres du calendrier, parlant tour à tour du 22 février, du 6 septembre, du 15 avril, du 12 mai!

Puis il ajoute :

« Je déclare, Messieurs, que j'ai cru que la formation du cabinet qui est aujourd'hui assis devant vous était un événement; j'ai

cru que la formation d'un cabinet qui depuis vingt-cinq ans est le premier qui soit sorti des rangs de l'opposition, allait nettement ouvrir une carrière nouvelle, et qu'il allait nous dire, comme Richelieu aux ambassadeurs de l'Europe : « La politique est changée. » Je crains, Messieurs, qu'il n'en soit pas ainsi.

« Je ne vois pas dans la position qu'on indique, dans le plan qu'on trace, quelque chose qui signale l'avènement d'un cabinet. triomphant, d'un système ministériel maintenu pendant longues années, et venant, au nom de l'opposition, s'asseoir au banc des ministres.

« J'ajouterai, et l'honorable M. Barrot me le pardonnera mes incertitudes sont devenues plus grandes, quand je l'ai eutendu, lui toujours si clair, parce qu'il est si probe. Il ne m'a pas été possible de comprendre suffisamment, dans ce qu'il nous a dit hier, les motifs de son adhésion; et, si la situation d'un ministère nouveau ne permettait pas au chef du cabinet d'entrer dans des développements trop explicites, je comprends mal pourquoi le chef de l'opposition n'a pas senti qu'il lui était nécessaire de faire entendre clairement et profondément l'adhésion qu'il donne au cabinet; j'avoue que ce mot de progrès, qui a été prononcé sans être bien défini, m'a paru une espérance plus qu'une satisfaction de l'esprit...

« Le chef du cabinet disait hier: La transaction est faite dans les choses; il ne faut plus songer qu'à la transaction entre les per

sonnes.

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N'y aurait-il donc en effet, Messieurs, au témoignage des ministres, au témoignage d'hommes si importants dans la Chambre, n'y aurait-il donc dans notre pays que des questions de personnes? Serions-nous, en France, tombés dans cette détestable et affligeante condition des États en pleine décadence? Non, cela n'est pas. Mais il y a de la faiblesse au fond de la discussion; mais toutes ces questions de personnes, parce qu'on jette des noms qui ont défendu quelques idées, paraissent un voile suffisant pour

couvrir les questions de choses, les questions de principes sur lesquelles on ne s'explique pas clairement. Il faut donc parler clairement.

<< Pour quiconque observe attentivement la situation des Chambres depuis dix années, il y a une division de principes profonde au sein de la Chambre des députés. Cette division existe depuis longtemps, elle existe depuis le commencement de la révolution; elle partage la Chambre en deux fractions bien distinctes, indépendantes des subdivisions dont elles ont pu être surchargées. L'une veut, sur la conduite et la marche des affaires du pays, la prééminence du pouvoir parlementaire; l'autre veut la prééminence du pouvoir de la couronne. Soyons sincères, Messieurs, c'est là toute la différence. « Dans une telle situation, Messieurs, n'est-il pas évident, quand de si grandes questions de principes sont celles qui établissent réellement une division profonde au sein de l'assemblée; n'est-il pas évident que pour avoir une majorité qui puisse être forte, permanente, logique, qui fasse des progrès et des conquêtes, il faut être nettement, ouvertement, franchement, explicitement dans l'une ou l'autre de ces deux théories, dans l'un ou l'autre de ces deux systèmes? Eh bien! le ministère de l'opposition, le ministère nouveau, s'est-il ainsi placé? Je ne le pense pas, et, sous ce rapport, je ne trouve pas sa condition meilleure que celle du ministère récemment renversé.

« Ce ministère, se plaçant sur tout ce qu'il appelle un terrain intermédiaire, faisant appel à ce qui l'avoisine le plus, fait évidem ment appel aux hommes les moins énergiquement convaincus, les moins attachés à leurs pensées, les moins attachés à leur système. Au lieu d'appeler à lui les hommes par la force de ses principes, par la confiance que ses doctrines politiques pourront inspirer, le ministère se sent dans la nécessité de modifier ses principes suivant le nombre et la qualité des hommes qui accourent à son appui, soit de droite, soit de gauche.

<< Messieurs, la situation du ministère ne

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