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les discussions sérieuses. Chaque parti avait dit son mot. Le reste de la séance se passa en plaidoyers personnels prononcés par M. Jaubert pour sa propre défense, par M. Teste pour la défense du 12 Mai. A la clôture de la discussion, les conservateurs firent un dernier effort. Un d'eux, M. Dangeville, proposa à l'article 1er un amendement qui portait une réduction de 100 francs; cet amendement fut rejeté au scrutin secret à une majorité de 261 voix contre 158. Le vote sur l'ensemble de la loi compléta la victoire de M. Thiers; 246 boules blanches contre 160 boules noires lùi assuraient une imposante majorité. La phalange des 221 était dissoute.

Ce résultat, impatiemment attendu, paraissait un événement; M. Thiers triomphait en même temps de la cour, des conservateurs et de l'opposition dynastique. Car c'était un triomphe sur celle-ci que de lui imposer un vote de confiance dans une telle question, sans rien lui accorder en retour. M. Thiers semblait donc destiné à jouer un grand rôle; mais il fallait pour cela représenter un grand principe; il fallait être inspiré par une de ces puissantes ambitions qui mettent en jeu la fortune des peuples ou des rois, et M. Thiers n'agissait que pour sa propre fortune et ne portait pas son ambition plus haut que la possession éphémère d'un portefeuille habilement surpris et victorieusement disputé.

Immédiatement après le vote, M. de Rémusat courut aux Tuileries en faire part au roi. C'était, pour ainsi dire, lui porter le bulletin de sa défaite personnelle. Cependant, Louis-Philippe l'accueillit avec des félicitations qui semblaient de bon aloi, soit qu'il eût prévu d'avance le résultat, soit qu'il fût rassuré par la souplesse de son premier ministre, peu fait pour abuser de la victoire.

M. Thiers se croyait maître du terrain politique, parce qu'il avait étouffé la voix de l'opposition parlementaire. Mais, en dehors de ce cercle étroit du monde officiel, il ne voyait pas l'opposition extérieure prenant une place plus grande et une position plus forte, à mesure qu'elle se dégageait, sinon

des alliances, au moins des voisinages qui la gênaient. Les radicaux, peu nombreux à la Chambre, mais s'accroissant tous les jours au dehors, gagnaient en influence tout ce que perdaient les constitutionnels. Seuls désormais en face du ministère, ils recueillaient sans partage les bénéfices de la popularité. et comme ils n'avaient transigé sur rien, leur parole avait d'autant plus d'autorité que les opposants dynastiques avaient transigé sur tout.

Parmi les améliorations politiques réclamées par l'opinion, parmi les questions débattues à la Chambre, la réforme électorale tenait le premier rang. Le ministère l'avait ajournée, l'opposition dynastique l'avait abandonnée; les radicaux en firent le premier article de leur programme. C'est sur ce terrain qu'il vont désormais combattre, sans relâche, sans découragement, maintenant toujours leur principe, tantôt seuls, tantôt avec les dynastiques revenant à eux, mais n'y revenant qu'après de longues déceptions. Le ministère du 1er Mars, en abaissant les partis parlementaires, en plaçant le parti populaire en face du pouvoir, a été la première date importante du mouvement réformiste, l'origine sérieuse de la lutte qui devait aboutir à une révolution.

Au surplus, l'opposition dynastique tarda peu à s'apercevoir du piège où elle s'était si étourdiment engagée. Lorsque vint la discussion des fonds secrets à la Chambre des pairs, le ministère dévoila franchement ses tendances et ses pensées. M. Thiers ne s'écriait plus : « Je suis le fils de la révolution; mais, par l'organe du rapporteur, M. de Broglie, il faisait, pour ainsi dire, amende honorable pour son triomphe sur la couronne, et désavouait, autant qu'il était en lui, le vote anti-monarchique qui l'avait appelé au pouvoir. Le rejet de la donation était, disait le rapporteur, un événement imprévu dont le ministère n'avait point à répondre. On savait que M. de Broglie avait eu une influence directe sur la formation du cabinet, que M. Thiers l'avait humblement consulté, que MM. Jaubert et de Rémusat n'y étaient entrés

que sur ses conseils et presque avec son autorisation. De telles paroles prononcées par lui étaient assez significatives. Il en ajouta d'autres qui ne l'étaient pas moins, en promettant, au nom du ministère nouveau, le maintien des lois de Septembre sans exception, sauf un engagement pris par l'administration précédente, et que le ministère actuel, ajoutait-il, ne rétractait point par respect pour des scrupules constitutionnels, dont luimême n'était pas atteint.

Avec un si louable programme, le ministère était assuré du concours de la pairie. Il y ajoutait des garanties pour les conservateurs en place. « Point de réaction contre les

personnes,» disait en son nom M. de Broglie. 143 voix contre 53 récompensèrent l'abnégation de M. Thiers. Les opposants ralliés de la Chambre élective portaient déjà la peine de leur aveugle soumission. Un peu d'habileté politique eût dù le faire prévoir. Mais personne ne s'attendait à ce que la leçon fut si prompte et la palinodie si audacieuse. Il ne restait pas même à l'opposition la ressource d'une plainte légitime, qui n'eût été qu'un aveu public de sa malhabileté; elle était condamnée à n'être plus rien, tant que durerait le cabinet du 1er Mars, et cependant elle était condamnée à le soutenir.

II

Affaires extérieures. France.

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Premiéres conséquences de la convention du 27 Juillet. Accord des puissances contre la Changement de politique chez Louis-Philippe. - L'alliance anglaise négligée pour l'alliance autrichienne. Rivalités des cabinets de Paris et de Londres. Mécontentement de lord Palmerston. M. Thiers suit la politique de ses prédécesseurs. Espagne et Portugal. Agitations intérieures de l'Angleterre; discussions parlementaires; déclaration importante de lord Aberdeen. Querelle de territoire avec les États-Unis. Discussion de l'Angleterre avec le royaume de Naples. - Questions des soufres. Commencement d'hostilités. Prohibition, en Chine, de la vente de l'opium. Réclamations de la Compagnie des Indes; déclaration de guerre. Complications d'embarras pour l'Angleterre.

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Au moment de raconter les actes d'un nouveau cabinet, il nous faut jeter un coup d'œil sur l'ensemble des affaires extérieures qui doivent avoir sur son existence une influence si décisive.

L'Orient, terrain brûlant de discussions diplomatiques, venait d'ouvrir une phase nouvelle aux intrigues des chancelleries. La convention du 27 juillet, qui semblait assurer l'unité du concert européen, n'avait été, au contraire, qu'une nouvelle occasion de discorde. Le gouvernement français en fuyait les conséquences, le gouvernement anglais

les poursuivait avec des emportements exagérés. Le contrat signé en commun n'était qu'une source d'aigreurs et de méfiances; la présence à Londres de M. de Brunow dévoilait les desseins de la Russie. Il y avait évidemment complot contre la France. L'Angleterre oubliait les desseins de la Russie sur le Bosphore, l'Autriche pardonnait les empiètements du czar sur les provinces danubiennes; le czar n'avait nulle mémoire de ses accusations contre les projets ambitieux de l'Angleterre en Syrie, en Grèce et sur la mer Rouge. Toutes les rivalités se taisaient

pour s'unir contre la France. Toutes les haines s'absorbaient dans une haine commune. La Prusse, désintéressée dans la question d'Orient, aurait pu, aurait dû, par une sage neutralité, empêcher ou amoindrir l'orage qui menaçait la tranquillité de l'Europe. Mais, au moment le plus actif des intrigues, la mort frappait le roi de Prusse, et le nouveau roi était animé de ce vieux patriotisme teutonique qui prenait sa source dans les traditions de 1813. Les Français

ne lui apparaissaient que comme les éternels oppresseurs de l'Allemagne, les

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Nord. Il y avait longtemps que ce mauvais vouloir s'était manifesté, à différentes époques et avec des nuances diverses. Mais ce qui était grave, dans un pareil moment, c'était la rupture de l'alliance anglaise, et l'isolement où allait se trouver la France, la France mécontente à l'intérieur et compromise à l'extérieur. C'était, en effet, à provoquer une rupture que s'attachaient tous les efforts de l'empereur Nicolas. M. de Brunow,

John Russell. 1792-1878

joignaient un mysticisme religieux qui lui soufflait des colères insensées contre la France sceptique et incrédule, et des traditions monarchiques qui lui inspiraient une sainte horreur pour la France révolutionnaire. Avec une telle politique, toute de sentiment, sans une ombre de logique, le roi de Prusse devait nécessairement se faire complice de toute manœuvre tendant à humilier la France. La nouvelle coalition déployait toute l'activité de ses intrigues, lors de l'avènement du 1er Mars. Le cabinet de Saint-James était le centre des opérations.

La gravité de la situation ne venait pas seulement du mauvais vouloir des cours du

à Londres, avait des pouvoirs illimités sur les concessions à faire au cabinet anglais, pourvu que de ces concessions sortît une brouille entre les deux grands pays constitutionnels de l'Europe. La politique du czar n'avait pas un autre but. Au surplus, il avait un auxiliaire secret dans celui-là même qu'il

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| poursuivait de ses hostilités, Louis-Philippe. Ce n'est pas un des moins étranges incidents de ce drame compliqué, et nous devons, à cet égard, quelques explications.

Depuis assez longtemps les querelles personnelles de M. de Talleyrand avec lord Palmerston avaient amené de la froideur dans les rapports des deux cabinets. On se souvient qu'à la chute des whigs, en 1834, M. de Talleyrand avait énergiquement appuyé leurs adversaires. A leur retour aux affaires, il avait donné sa démission, laissant les choses tellement envenimées, que les premières relations du général Sébastiani avec le cabinet de Londres furent pleines de difficultés.

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Cependant M. de Talleyrand, demeuré toujours le conseiller intime de la couronne, continuait, à Paris, les lourdes hostilités commencées à Londres. Jadis ardent défenseur de l'alliance anglaise, il avait complètement changé de politique, et les conseils nouveaux qu'il donnait à Louis-Philippe, portaient l'empreinte de sa finesse proverbiale, en flattant les penchants secrets de son royal interlocuteur. « Vous avez, lui «< disait-il, tiré de l'alliance anglaise tout le parti qu'il y avait à en tirer; aujourd'hui, «<les avantages sont ailleurs; il faut entrer « dans le concert européen, dans la famille « des rois, à laquelle vous appartenez. >> Ces conseils étaient trop dans les goûts de Louis-Philippe pour n'être pas accueillis. Dès lors, tous ses efforts tendirent à renouer avec l'Autriche des rapports qui lui assurassent un appui solide sur le continent. Avec l'Autriche, il espérait regagner la Prusse, peut-être la Russie, et se faire officiellement pardonner son origine révolutionnaire. Durant son ministère du 22 Février, M. Thiers se prêta merveilleusement à ce changement de politique extérieure, et les affaires de la Suisse, où il se montra le docile instrument de l'Autriche, donnèrent la mesure de ses condescendances et de sa souplesse.

froideur et méfiance. Louis-Philippe recherchait d'autres alliances, lord Palmerston était blessé dans son orgueil par des désaccords qui ressemblaient plutôt à des taquineries qu'à de l'énergie.

Cependant, l'intérêt britannique sembla l'emporter un instant sur ses ressentiments. Préoccupé de l'influence que préparaient à la Russie les graves complications de l'Orient, lord Palmerston proposa au cabinet du 12 Mai une action commune des deux gouvernements. La France préféra rester dans le concert européen. Ce dernier refus mit le comble aux ressentiments du ministre anglais : « L'alliance de la France, dit-il alors, <«<est sans doute fort précieuse, mais qu'est<«< ce qu'une alliance qui n'agit jamais? la « France, si elle le veut, est maîtresse de << temporiser toujours et de regarder faire << tout le monde, plutôt que de risquer une << rupture avec personne; mais une telle po<«<litique ne saurait convenir à l'Angleterre. <«< De tout temps, l'Angleterre a eu l'habi<«<tude de mettre la main partout, et de se mê«<ler de tout ce qui se passe. Elle ne renon<«< cera pas à cette habitude pour plaire à son «< alliée. »

Ce fut dans ces circonstances que M. Brunow se présenta à Londres. Le négociateur russe n'avait donc pas besoin d'une grande habileté pour briser les liens, autrefois si solides, entre la France et l'Angleterre. D'un côté, les dépits de lord Palmerston, de l'au

agressives des deux chancelleries et les tendances secrètes de Louis-Philippe avaient depuis longtemps préparé la rupture.

L'Autriche, cependant, acceptait volontiers des actes de complaisance, mais sans rien accorder en retour. En revanche, les relations de la France avec l'Angleterre pre-tre, les leçons de Talleyrand, les allures naient, chaque jour, un nouveau caractère d'aigreur. En Grèce, les deux cabinets engageaient une lutte d'influence; en Espagne, ils n'étaient d'accord sur aucun point. Lorsqu'en 1835, l'intervention fut proposée par le ministère du 11 Octobre, l'Angleterre refusa d'une manière péremptoire. Une médiation armée, offerte par le même ministère, avec l'assentiment de l'Espagne, fut suivie du même refus. En 1836, au contraire, ce fut l'Angleterre qui insista pour l'intervention; ce fut le cabinet français qui recula.

De ce jour à l'avènement du 12 Mai, il n'y eut entre la France et l'Angleterre, que

A son avènement, M. Thiers était averti du danger. Il pouvait peut-être le conjurer par une attitude énergique; il préféra continuer les manœuvres de ses devanciers, c'està-dire s'envelopper dans les finesses diplomatiques, traîner les choses en longueur pour se ménager les ressources des incidents imprévus, compter sur le temps comme font les gens faibles, prêcher la modération au pacha, sans lui demander une prompte décision, opposer des obstacles à l'Angleterre

sans lui montrer une énergie qui la fit réfléchir, enfin continuer en tout ce système dilatoire qui perpétue les impatiences et les irritations, et ne fait supposer aucune idée de force et de dignité. Les deux gouvernements en étaient venus à ce point de compter chacun sur les craintes de son adversaire plutôt que sur sa propre volonté. Louis-Philippe croyait que lord Palmerston n'oserait s'engager sans la France; lord Palmerston était convaincu que Louis-Philippe n'oserait résister aux quatre puissances, quand une une fois elles seraient engagées. Triste politique de négation, qui ne devait donner l'avantage qu'à l'impertinence!

M. Thiers ne créa pas cette politique; il la trouva toute faite; mais il eut le tort de l'adopter et il devait en être la victime. En cela, comme en toutes choses, il ne changea rien à la marche de ses prédécesseurs. Son ministère n'avait pas de raison d'être, et, se trouvant sans base, devait être sans force et sans durée.

En Espagne, la reine régente, placée sous l'influence du cabinet des Tuileries, luttait contre les menaces des agents de l'Angleterre. Les progressistes faisaient leur profit des intrigues diplomatiques, et n'avaient pu réussir toutefois à obtenir la majorité dans les élections qui venaient de s'accomplir.

Le 24 Février, jour de l'ouverture des Chambres, avait été signalé à Madrid par un tumulte populaire. A l'avènement du 1er Mars, Madrid était en état de siège. Malheureusement, ce qu'on appelait le parti français, c'est-à-dire la cour et la majorité des Cortès, se signalait par ses tendances illibérales, tandis que le parti progressiste, appuyé par l'Angleterre, demandait le développement sincère des institutions constitutionnelles.

Les envoyés de la Grande-Bretagne semblaient donc avoir pour eux la popularité et l'avenir. Déjà ils agissaient habilement sur Espartero, pour en faire plus tard l'instrument de leurs projets.

Le Portugal, au contraire, ce vassal sécu

laire de la Grande-Bretagne, paraissait vouloir renaître à des sentiments de dignité et d'indépendance. Un outrage publique fait à son pavillon par des croiseurs anglais, une violation audacieuse du droit des gens avaient réveillé la fierté nationale. Dans les mers d'Angola, au sud de l'équateur, des navires portugais avaient été saisis comme vaisseaux de traite, et livrés pour être jugés à des tribunaux anglais. Le gouvernement de Lisbonne avait hautement protesté, et demandait, malgré sa faiblesse, une réparation à ses orgueilleux oppresseurs.

Réunies le 5 janvier, les Cortès s'occupèrent tout d'abord de cette importante question. Le ministère Bomfin avait introduit dans le discours de la couronne des paroles de conciliation; elles furent accueillies avec indignation par une imposante minorité. De vives interpellations furent adressées au ministère sur sa faiblesse, et, dans leur exaltation patriotique, quelques orateurs proposèrent même de déclarer immédiatement la guerre. Nous ne saurions mieux donner la mesure des sentiments de colère soulevés par les indignes violences des Anglais, qu'en rappelant quelques mots prononcés à cette occasion dans le Sénat par don Bazilio Cabral:

« Le ministre de la marine étant présent, dit-il, je viens le prier de donner au comité des renseignements sur les derniers événements des eaux de Loanda, où une bande de brigands, dont lord Palmerston est le chef, pillent la nation portugaise. (Cris: à l'ordre!) En ma qualité de Portugais, ayant contribué à rétablir la reine sur son trône, j'ai le droit de qualifier de la sorte des étrangers qui croient pouvoir nous voler impunément. M. le président, les Portugais, il fant bien se rappeler, étaient une grande nation alors que les Anglais étaient bien petits. On connaît nos exploits: l'histoire d'Angleterre à cette époque, ne renferme pas un seul fait héroïque; ce n'est qu'une longue nomenclature d'intrigues et de pillages. Aujourd'hui puissante, l'Angleterre abuse de sa force visà-vis d'un pays qui ne peut pas lui résister.

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