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HISTOIRE

DE

HUIT ANS

I

Dotation. Mot de Louis-Philippe.

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Premières conférences inutiles. M. Thiers devenu l'homme nécessaire. Nouveau ministère. Situation étrange de M. Guizot. Singulier accueil fait par le roi aux nouveaux ministres. - Position embarrassée de M. Thiers. Projet de loi sur les fonds secrets. Effets de l'avènement de M. Thiers sur l'extérieur. - Discussion de la loi sur les enfants dans les manufactures. BraAgitations et intrigues. vades de M. Thiers. Discussion de la loi des fonds secrets. MM. Thiers, Lamartine, O. Barrot, de Rémusat, Berryer, Garnier-Pagès. Amendement Dangeville. Vote sur l'ensemble de la loi. Triomphe de M. Thiers. Abaissement de l'opposition dynastique.

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lonté parlementaire, il avait pour mission de dominer le trône et de consacrer dans toute sa logique le gouvernement représentatif. Une voie nouvelle s'ouvrit à la politique intérieure.

Durant les premières années, la monarchie de juillet et les forces parlementaires s'étaient appuyées mutuellement pour lutter contre le développement des idées démocratiques: la royauté et la bourgeoisie marchaient de concert. Mais lorsqu'une savante compression eut calmé leurs communes inquiétudes, chacune prétendit au prix exclusif de la victoire; et la lutte, changeant de terrain, s'établit entre deux prérogatives jalouses, s'efforçant d'empiéter l'une sur l'autre, et s'affaiblissant toutes deux au profit de la démocratie qu'elles croyaient atterrée.

La chute du ministère Molé avait été pour la royauté une première mésaventure; le rejet de la loi de dotation était une véritable défaite, bien plus, une injure.

Repoussée sans discussion, la demande royale avait été traitée comme une question de haute mendicité qui ne méritait pas l'examen du législateur. Le roi était blessé dans son orgueil, le père de famille dans ses calculs. Louis Philippe ressentit l'offense d'autant plus vivement qu'il comptait sur un succès. En apprenant le résultat et surtout la forme du vote, il s'écria: « C'est une insulte personnelle! » Et il avait raison. Les ambitieux coalisés pour gagner un ministère venaient d'ébranler le trône. Les démocrates seuls avaient le droit de se réjouir.

La première victoire de la coalition avait abouti à une mystification. Depuis près d'un an, les meneurs s'agitaient vainement autour des portefeuilles; les prétentions diverses n'avaient pu se concilier, et le roi, profitant des dissidences, avait joué ceux qui voulaient lui faire la loi. Le ministère provisoire du 1er avril, le ministère accidentel du 12 mai avaient ajourné les espérances et trompé les ambitious. Mais enfin le triomphe de la coalition semblait définitif.

Cependant Louis-Philippe ne se montrait pas empressé de récompenser ses adver

saires. Rusant avec la défaite, il tenta d'abord d'écarter les plus notables parmi les opposants, ceux-là surtout qu'il pouvait accuser d'inconstance ou d'ingratitude, M. Thiers entre autres. De tous les prétendants au pouvoir celui-ci avait été le plus ardent à la lutte, mesurant ses attaques sur la vivacité de ses espérances et méritant plus qu'aucun autre les ressentiments de la cour. Aussi la première pensée du roi avait-elle été de lui disputer les bénéfices de la victoire, en faisant offre de portefeuilles à des serviteurs moins rebelles. MM. Molé, Dupin, de Broglie furent successivement appelés au château. Aucun de ces noms n'apportait une solution. M. Guizot, un instant consulté, partit pour Londres au milieu de la crise. Les jours s'écoulaient dans l'attente; les impatiences publiques se trahissaient; le Journal des Débats s'écriait: « Il faut se presser. Nous partageons à cet égard l'avis unanime de la presse. La plaie saignera longtemps; au moins ne faut-il pas qu'elle s'envenime. » On était au 25, et, depuis le 20, il n'y avait plus de gouvernement régulier. Enfin, le 26, M. Thiers fut mandé au château.

Une première conférence ne produisit aucun résultat. Soit pour pallier son échec, soit pour compromettre M. Thiers, le roi voulait non seulement l'associer, mais le subordonner à M. Molé. Voici à cet égard ce que M. Thiers disait quelques jours plus tard à la tribune: «On me demandait, en me rapprochant de M. Molé, de lui céder, non pas seulement la présidence du conseil, que j'aurais pu céder à son âge, à sa situation, à son autorité dans les affaires; on me demandait də lui céder le portefeuille de affaires étrangères, c'est-à-dire de déclarer que je croyais m'être trompé, que je reconnaissais la politique de M. le comte Molé comme meilleure, plus utile pour le pays que la mienne; en un mot, de recevoir de M. le comte Molé, permettez-moi de le dire, un supplément d'amnistie, je ne le pouvais pas. >>

M. Thiers, devenu l'homme nécessaire de la situation, insista pour présenter un mi

nistère de son choix, se montrant d'ailleurs assez facile sur les questions de principes. Le roi dut céder. Le 1er mars, après huit jours d'hésitation, le roi signait avec répugnance les ordonnances qui appelaient :

M. Thiers aux affaires étrangères, avec la présidence du conseil ;

d'altier dans sa réserve et de dédaigneux dans sa bouderie.

Tout autre se montrait M. Jaubert, fougueux, agressif, acerbe, poussant la causticité jusqu'à la provocation et l'emportement jusqu'à l'étourderie. Plein d'esprit, d'ailleurs, et prompt à la repartie, soldat infati

M. de Rémusat au ministère de l'inté- gable de l'armée doctrinaire, il avait fait une rieur;

.

M. Vivien au ministère de la justice;

M. Pelet (de la Lozère) au ministère des finances;

M. Cousin à l'instruction publique ; M. le général Cubières à la guerre; M. l'amiral Roussin à la marine; M. Jaubert aux travaux publics; M. Gouin à l'agriculture et au commerce. Un ministère ainsi composé ne satisfaisait personne, ni le centre gauche, qui venait de vaincre, et qui n'y était représenté que par deux hommes de second ordre, MM. Pelet (de la Lozère) et Vivien; ni les 221 de M. Molé, deux fois victimes de la coalition; ni les doctrinaires, qui trouvaient leur part trop petite avec les deux ministres de l'intérieur et des travaux publics; ni enfin les démocrates, témoins désintéressés d'arrange ments personnels qui ne représentaient aucun principe et ne présageaient aucune amélioration.

Le nom de M. Thiers rappelait les lois de septembre, le privilège électoral, le monopole et l'exclusion. Trois ans passés dans l'opposition l'avaient-ils ramené à d'autres sentiments? Les démocrates n'y comptaient guère; car son opposition ressemblait plus au dépit qu'au repentir. On se rassurait peu, d'ailleurs, en voyant le ministère important de l'intérieur livré à la coterie doctrinaire. M. de Rémusat, il est vrai, ne s'était signalé personnellement par aucun fait de malheureuse celébrité. Ami des lettres et des études sérieuses, il avait plus médité sur la philosophie du x siècle que sur la politique du XIX, et, fidèle jusqu'alors aux leçons de M. Guizot, il votait avec lui, silencieux et discipliné. Esprit élégant, éclairé, caractère timide, il y avait cependant quelque chose

guerre acharnée à la presse démocratique et s'était non moins signalé par ses vives attaques sous les drapeaux de la coalition. En l'appelant au ministère, M. Thiers satisfaisait la fraction turbulente de la doctrine; mais il se donnait en même temps un collègue incommode.

M. le général Cubières avait des titres pour ainsi dire négatifs, car il avait présidé à l'évacuation d'Ancône si énergiquement flétrie par M. Thiers, et il avait fait partie du ministère intérimaire d'avril qui avait servi à mystifier la coalition. M. Thiers lui pardonna comme à un homme sans imporance et le fit ministre au même titre.

M. l'amiral Roussin, naguère ambassadeur à Constantinople, s'était fait remarquer par ses fougueuses hostilités contre le pacha d'Égypte. Son admission au ministère dans un moment où la question d'Orient était la plus grande difficulté de l'extérieur, semblait presque un désaveu de la politique française: c'était au moins une grande imprudence.

MM. Vivien, Gouin et Pelet, (de la Lozère), étaient parmi ces politiques incolores du centre gauche qui touchent aux frontières de tous les partis, et peuvent s'accommoder avec tous, dans ce qu'ils ont de plus effacé. On racontait dans le public que M. Pelet (de la Lozère) n'avait été désigné pour le ministère des finances que sur le refus de M. d'Argout, auquel on avait même laissé le choix entre ce département et celui de l'intérieur. M. d'Argout, gouverneur paisible de la Banque de France, aurait répondu: « Je suis «< comme Arlequin, à qui l'on donnait le << choix entre le pal et la pendaison : j'aime << mieux mourir de vieillesse. »>

M. Cousin, célèbre sous la Restauration

par ses brillantes leçons, et par les persécu-| bienveillantes et faciles, avec son habile

tions inintelligentes du pouvoir, appartenait plus à la science qu'à la politique. Dévoué cependant aux idées de l'école libérale, il se montrait défenseur des libertés dans une certaine mesure, partisan du progrès dans certaines limites. Pour lui, l'idéal des gouvernements était le régime constitutionnel. Admirateur passionné de M. Thiers, plein d'enthousiasme pour cette intelligence vive et mobile, il se plaisait à voir en lui le représentant éclairé de cette race bourgeoise qui s'était émancipée par ses talents et son audace. Plébéien lui-même, fier d'être le fils de ses œuvres, il aimait dans M. Thiers l'illustre parvenu, et le considérait, à tort ou à raison, comme le type le plus remarquable du plébéien admis par son mérite aux conseils des rois. Avec de telles admirations, M. Cousin acceptait volontiers un rôle secondaire dans la politique, réservant toute son initiative pour les améliorations de l'enseignement public, où quelques modifications assez timides le firent passer aux yeux de la cour pour un révolutionnaire effréné.

La fraction libérale du ministère voyait avec déplaisir M. Guizot conservé à l'ambassade de Londres. On se méfiait de ses sympathies trop prononcées pour les cours absolutistes; on se rappelait qu'il avait été envoyé en remplacement de M. Sébastiani seulement par ce que celui-ci était trop prononcé pour l'alliance anglaise. M. Guizot, ennemi de lord Palmerston, favorisait trop ouvertement à cet égard les antipathies personnelles de Louis-Philippe. Avec un tel ambassadeur, la question d'Orient risquait d'être compromise. Aussi quelques membres du nouveau cabinet engageaient-ils M. Thiers à le rappeler et à lui donner pour successeur son prédécesseur, M. Sébastiani. Mais M. Thiers repoussait cette mesure, de peur, disait-il, de faire injure aux doctrinaires. Ce qu'il y avait de plus vrai, c'est qu'il aimait mieux tenir M. Guizot éloigné, que le voir en face de lui à la tribune.

Louis-Philippe lui-même avait peu de goût pour M. Guizot. Avec ses manières

bonhomie, il s'accoutumait difficilement aux formes compassées du chef des doctrinaires; il ne lui pardonnait pas, d'ailleurs, son rôle agressif dans la première coalition, et cette ardeur presque révolutionnaire avec laquelle il avait réclamé le gouvernement parlementaire. M. Guizot avait, en cette occasion, bravé et vaincu la couronne, et la couronne ne l'oubliait pas.

L'ambassadeur de Londres était donc dans cette étrange situation, qu'il n'était ni l'homme du ministre ni l'homme du roi; toléré seulement par le premier comme faisant moins obstacle dans le lointain qu'à la Chambre, subi par le second comme une des conséquences de ses défaites parlementaires.

Le cabinet du 1er mars, accueilli avec froideur par la Chambre, avec défiance par les démocrates, était loin de trouver un appui auprès de la couronne. Le Journal des Débats, écho des bruits de cour, laissait percer le dépit de ceux qui l'inspiraient. « M. Thiers, disait-il, a voulu être le maître, et il l'est.... La couronne n'aurait pas voulu choisir les ministres du 1" mars, qu'elle aurait été forcée de les accepter, forcée par sa prudence, et pour ne pas empirer une sitation dangereuse. » L'aveu était imprudent, et l'humilité de la couronne bien grande. Mais LouisPhilippe lui-même confessait hautement sa défaite et s'en plaignait en termes amers à ceux même qu'il appelait les vainqueurs. Lorsque les nouveaux ministres furent admis auprès de lui à prêter serment selon l'habitude, il leur dit brusquement: « Eh bien ! «Messieurs, je suis contraint de vous subir, << de subir mon déshonneur. Vous vous impo«sez à moi... Vous mettez mes enfants sur <«< la paille... Eufin je suis un roi constitu«<tionnel; il faut bien en passer par là! » Il ne cachait rien de son humiliation, rien de son ressentiment. On a généralement dépeint Louis-Philippe comme un habile comédien, profondément dissimulé. C'est, au moins, une exagération. Louis-Philippe était, avant tout, dominé par la passion du

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