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a-t-il donc d'étonnant à ce que, dans un petit pays comme la Suisse, où les deux tiers de la population sont protestants, l'introduction d'une telle société donne lieu à des discussions entre les catholiques et les protestants, et soit vue avec aversion par la majorité de la nation?

La Société des jesuites est connue, sous le rapport ecclésiastique, comme une société exclusive et envahissante: est-il donc étonnant qu'en Suisse, comme dans d'autres pays, une grande partie de la population catholique voie les jésuites avec jalousie et répugnance?

Au point de vue politique, la Société des jésuites a toujours été connue comme favorable au pouvoir arbitraire et hostile aux droits du peuple. Peut-on donc s'étonner si cette tendance, en raison de laquelle les jésuites sont devenus en France l'objet d'une exclusion législative spéciale, et qu'on sait bien n'avoir pas été sans influence sur les événements qui ont amené la révolution française de 1830, soit considérée par les républiques de la Suisse comme dangereuse pour les principes fondamentaux de leurs constitutions politiques? Sans donc examiner si quelques-unes des personnes qui ont fait prendre les armes contre les jesuites à la majorité de la nation suisse ont ou n'ont pas d'objet ultérieur en vue, le gouvernement de Sa Majesté ne peut s'empêcher de reconnaitre que le grief dont se plaint en ce moment la majorité suisse est réel, et que, tant que ce grief existera, on ne peut espérer de paix intérieure pour la Suisse. La conséquence de tout ceci parait être que les cinq puissances qui veulent rétablir la tranquillité dans ce pays doivent chercher, avant tout, à faire disparaître cette source féconde de mal.

Le gouvernement de Sa Majesté pense donc que la base de l'arrangement que les cinq puissances doivent proposer aux parties contendantes en Suisse devrait être le retrait des jésuites. Ce retrait aurait-il lieu en vertu d'une décision que les cinq puissances obtendraient du pape, ou en vertu d'un acte d'autorité souveraine de la part des cantons où sont établis les jésuites? C'est une question qu'on pourrait examiner plus tard; mais nécessairement la société recevrait juste et pleine indemnité pour toutes les propriétés qu'elle ne pourrait emporter en quittant la Suisse.

Ce point une fois réglé, et le grief pratique dont se plaignent la Diète et la majorité de la nation suisse ayant disparu, la Diète ne pourrait pas avoir d'objection raisonnable à déclarer formellement qu'elle renonce à toute intention d'agression contre les sept cantons, et qu'elle est résolue à respecter et à maintenir, ainsi qu'elle l'a maintes fois déclaré, le principe de la souveraineté séparée des cantons confédérés, principe reconnu de tous comme le fondement du pacte fédéral.

La Diète ayant fait cette déclaration, les sept cantons n'auraient plus de prétexte pour continuer l'union qu'on appelle le Sunderbund, et sur la légalité ou l'illégalité de laquelle, par rapport aux stipulations du pacte fédéral, les cinq puissances peuvent se croire dispensées d'émettre une opinion. Mais quand cette union séparée aura été ainsi formellement dissoute, il ne restera plus d'autre question de différend présent et de fait entre la majorité et la minorité des cantons. La paix de la Suisse pourrait donc être considérée comme rétablie, et les deux parties pourraient procéder au licenciement de leurs forces respectives.

Si la médiation des cinq puissances était acceptée dans ces termes, les deux parties pourraient consentir naturelrelement à un armistice immédiat, qui durerait jusqu'à la conclusion définitive de l'arrangement.

Mais en consentant à faire une pareille proposition aux parties contendantes en Suisse, le gouvernement de Sa Majesté croit qu'il est nécessaire de pourvoir au cas possible où cette offre de médiation serait repoussée, soit par l'une des parties, soit par toutes deux.

Le gouvernement de Sa Majesté regretterait vivement que les intentions bienveillantes des cinq puissances se

trouvassent frustrées par un semblable refus, de quelque part qu'il vint. Mais le gouvernement de Sa Majesté ne pense pas que le refus d'une pareille offre, soit qu'il vint de l'une ou de l'autre des parties contendantes, ou de toutes deux, autorise aucune des puissances qui auraient fait cette offre à intervenir par la force des armes, dans le but de forcer les parties contendantes à se soumettre.

Le gouvernement de Sa Majesté croit donc devoir déclarer qu'en acceptant l'invitation du gouvernement français à concourir à une offre de médiation entre les parties contendantes en Suisse, il est bien entendu que le refus de cette offre, si malheureusement elle était refusée, ne donnera pas lieu à une intervention armée dans les affaires interieures de la Suisse.

Si l'offre était acceptée, il serait nécessaire d'établir une conférence qui se composerait d'un représentant de chacune des cinq puissances, d'un représentant de la Diète et d'un représent du Sunderbund.

Le gouvernement français propose maintenant d'établir cette conférence à Bade. Dans une précédente occasion, il avait, en faisant une proposition du même genre, indique Londres; et le gouvernement de Sa Majesté est porté à croire, pour beaucoup de raisons, que Londres serait l'endroit le plus convenable pour une semblable réunion.

Mais le gouvernement de Sa Majesté désirerait que les fonctions de cette conférence se bornassent au règlement des différends actuels. Il répugnerait au gouvernement de Sa Majesté de s'engager dans des négociations qui auraient pour objet de déterminer les changements qu'il conviendrait de faire au pacte fédéral.

La Constitution de la Confédération a pourvu aux moyens d'apporter au pacte fédéral les améliorations que les circonstances et les changements survenus dans l'état des choses rendent utile de faire passer de temps à autre. Et ces matières ne paraissent pas au gouvernement de Sa Majesté nécessiter l'intervention des puissances étrangères. Il n'est pas vraisemblable d'ailleurs qu'une pareille intervention fut acceptée, et il n'est pas probable que les représentants des cinq puissances à cette conférence eussent une connaissance suffisante des voeux et des besoins locaux des Suisses, pour être à même de porter un jugement exact et utile sur les questions qu'ils pourraient avoir à discuter. En outre, la présence de représentants de chacun des cantons est nécessaire dans une conférence qui aurait à s'occuper de la révision du pacte ; et le nombre de personnes réunies, ainsi que la complexité des matières à examiner, tendraient à donner aux séances de cette conférence une durée qui pourrait avoir des inconvénients pour les puissances médiatrices.

Telles sont les vues du gouvernement de Sa Majesté sur les matières importantes auxquelles ont trait les communications récentes du cabinet français. Je vous envoie cijoint le projet de la note que le gouvernement de Sa Majesté serait disposé, conformément à ses vues, à adresser, conjointement avec les quatre autres puissances, à la Diète de la Confédération suisse. Et pour mettre sous les yeux du gouvernement français un exposé complet de la pensée du gouvernement anglais, je vous prie de remettre à M. Guizot copie de la présente dépêche et du projet de note qui l'accompagne,

M. le duc de Broglie à M. Guizot.

Londres, le 2 décembre 1847.

Monsieur le ministre,

Au moment où j'entrais ce matin chez lord Palmerston, pour discuter avec lui l'affaire de la Plata, il m'a donné lecture d'un dépêche de Berne, qui ne contient rien de plus que le narré des journaux d'hier soir. Puis il m'a dit de lui-même:

«Notre médiation, je le crains, sera devancée par les événements. Voici néanmoins les instructions que j'ai données à sir Stratford Canning. Il doit se rendre directement à Berne. Sile Sunderbund est encore sur pied, il enverra, de concert avec les envoyés des quatre autres cours, la note survenue. Si le Sunderbund n'existe plus qu'en partie, il considérera la partie subsistante comme équivalente au tout, et la traitera comme telle. S'il n'existe plus de Sunderbund, la médiation tombe. Il s'adressera dès lors uniquement à la Diète, mais dans le sens de la note convenue; il ne se bornera pas à lui recommander la modération, il l'avertira que l'existence de la Confédération helvétique repose sur l'indépendance et la souveraineté des cantons; que la Diète doit se garder d'y porter, à l'avenir, la moindre atteinte, et que, s'il devenait nécessaire d'introduire dans le pacte fédéral quelques changements, ces changements ne pourraient être validés qu'avec le consentement et l'unanimité des cantons.

<< Cela vous convient-il? dit lord Palmerston.

"

«<- Parfaitement, ai-je répondu; mais à la condition que sir Stratford Canning ne professera point à Berne le principe que vous avez semblé indiquer avant-hier au Parlement, à savoir que la déclaration du 20 novembre 1815 protège, en toute hypothèse, la Diète contre toute action des puissances étrangères, et lui garantit l'inviolabilité de son territoire, quoi qu'elle fasse, quelques extrémités qu'elle se porte. Recommander en effet la modération et le respect du droit à des vainqueurs dans l'ivresse même de la victoire, lorsqu'ils tiennent leurs ennemis sous leurs pieds, à des vainqueurs gouvernés eux-mêmes par des clubs où toute la violence des passions révolutionnaires est déchaînée, comme elle l'était en France en 1793, et leur dire en même temps qu'ils n'ont rien à craindre de personne, quelque usage criminel qu'ils puissent faire de leur pouvoir, ce serait s'exposer à n'être pas écouté. Ce serait d'ailleurs, ai-je ajouté, les tromper, ce qu'il ne faut jamais faire; car ni mon gouvernement, ni aucun des gouvernements continentaux de l'Europe, ne sauraient admettre une semblable théorie. Je suis bien aise de saisir cette occasion pour m'en expliquer à fond avec vous.

«<- Voyons, m'a dit lord Palmerston. - La déclaration du 20 novembre 1815, ai-je dit, n'est autre chose que la reproduction d'une première déclaration de même nature, faite à Vienne le 20 mars de la même année. Ces deux déclarations ont garanti à la Suisse, sous certaines conditions par elle acceptées, un état de neutralité perpétuelle, et, par suite de cet état de neutralité, l'inviolabilité de son territoire; en d'autres termes, elles ont garanti à la Suisse, sous les conditions susdites:

«1. Qu'en cas de guerre entre les puissances limitrophes de la Suisse, celle-ci restera neutre nécessairement et de plein droit. Je dis en cas de guerre, car l'état de neutralité suppose l'état de guerre; il n'y a de neutre que là où il y a des belligérants.

« 2o Qu'aucune des parties belligérantes ne pourra contraindre la Suisse à prendre fait et cause en sa faveur, comme la République française y a contraint, en 1797, la République helvétique.

Voilà le sens du mot de neutralité perpétuelle.

« 3° Que les parties belligérantes ne pourront choisir la Suisse pour champ de bataille, comme l'ont fait, en 1799, la France, l'Autriche et la Russie.

«4° Qu'aucune des parties belligérantes ne pourra traverser le territoire helvétique pour attaquer son adversaire, ainsi que l'ont fait les alliés, en 1814, lorsqu'ils ont passé le Rhin, au-dessus de Bâle, pour envahir l'Alsace.

« Voilà le sens du mot iuviolabilité du territoire. «Telle est la signification, telle est la portée, telles sont les limites de la garantie accordée à la Suisse en 1815. Les puissances réunies au congrès de Vienne ont pensé, avec raison, qu'il était dans l'intérêt commun de l'Europe d'interposer entre les monarchies militaires du continent un

Etat perpétuellement inviolable aux armées des bellizėrunts. La garantie va jusque-là; mais la garantie ne va pas plus loin. Elle s'arrête où s'est arrêtée l'intention des signataires de l'acte de Vienne et des déclarations du 20 mars et du 20 novembre 1815.»

Je me suis tu un instant, attendant quelque objection ou quelque distinction et me préparant à combattre l'une ou l'autre. Lord Palmerston n'a rien contesté; il a pleinement admis que telle était uniquement l'intention des puissances, en ajoutant cependant que quelquefois, dans les traites, les expressions employées allaient plus loin que les idées. « C'est un malheur, ai-je répondu, quand cela est; ce n'est pas ici le cas, le mot inviolabilité du territoire étant parfaitement expliqué et limité par la declaratton mème du 20 novembre, pour peu qu'on ne sépare point les paragraphes et qu'on les interprète l'un par l'autre.

D'ailleurs, ai-je repris, à quelles conséquences ne serait-on point entraîné dans le système contraire? L'article 8 du pacte federal accorde à la Diète le droit de guerre, sous l'unique condition que la Diète ne pourra voter la guerre qu'à la majorité des trois quarts des voix. La Confederation helvétique aurait droit de guerre contre ses voisins, et ils ne l'auraient pas contre elle; elle pourrait attaquer notre territoire sans que nous pussions attaquer le sien: elle pourrait nous porter des coups qu'il nous serait interdit de lui rendre. Son territoire inviolable serait un lieu d'asile. un sanctuaire, d'où elle pourrait faire irruption de tous les côtés, sans autre risque que d'être réduite à s'y refugier en cas de revers! Cela est-il possible?

-Non assurément, a dit lord Palmerston; si la Suisse devient agressive, elle doit supporter les conséquences de son agression.

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Et si elle donne à ses voisins un motif légitime de guerre, elle doit s'attendre à toutes les conséquences de la guerre. Mais ce n'est pas tout les cantons dont se compose la Confédération hélvétique sont des cantons souve rains, comme les Etats dont se compose la Confederation germanique. Les grands cantons n'ont pas plus le droit de conquérir les petits et de se les assujettir, qu'un des grands Etats de la Confederation germanique n'aurait le droit d'en faire autant à l'égard d'un des petits; par conséquent, si cela arrivait, toutes les puissances de l'Europe auraient le droit d'y mettre ordre, de gre ou de force. ■ Lord Palmerston en est convenu.

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le mal.

D'accord, mais il ne faut pas que le remède devance

- J'en demeure d'accord à mon tour, ai-je répliqué. Je suis, vous le savez, aussi ennemi que personne du principe d'intervention, aussi décidé que personne à ne le regarder comme justifiable que dans des cas extrêmes et des circonstances extraordinaires. Je désire et j'espère encore qu'aucun de ces cas, qu'aucune de ces circonstances ne se pretera à l'avenir dans les rapports de la Confédération helvetique et des puissances limitrophes; mais je tiens à etablir que le droit des puissances limitrophes, à cet égard, est entier, le cas échéant; qu'il n'est nullement limité par la déclaration du 28 novembre 1815, laquelle n'a eu en vue qu'un état de choses tout à fait étranger à l'état de choses actuel;et j'ajoute que le meilleur moyen de rendre l'intervention prochaine et inévitable serait de donner aux dominateurs actuels de la Suisse lieu de penser qu'ils peuvent impunément se passer toutes leurs fantaisies à l'égard de

leurs voisins et de leurs confédérés. >> La conversation s'est arrêtée là. Agréez, etc.

Lord Palmerston à lord Normanby. Foreign-Office, le 27 décembre 1847.

Milord,

J'ai eu, il y a peu de temps, un entretien avec le duc de Broglie, au sujet de la déclaration faite par les cinq puissances à Paris, le 20 novembre 1815, et par laquelle elles ont garanti la neutratité de la Suisse, ainsi que l'intégrité et l'inviolabilité de son territoire dans les limites qui lui sont assignées par le traité de Vienne et par le traité de Paris de la même date, en reconaissant en même temps que l'indépendance de la Suisse de toute influence étrangére est dans l'intérêt bien entendu de la politique de l'Europe entière. Comme cette déclaration de novembre 1815 se rattache étroitement à des questions que peuvent avoir un jour à traiter les puissances qui l'ont signée, je crois devoir faire connaître à Votre Excellence, et par son intermédiaire au gouvernement français, la manière dont le gouvernement de Sa Majesté envisage les engagements pris en vertu de cette déclaration.

Il paraît au gouvernement de Sa Majesté que cette déclaration du 20 novembre 1815, et les engagements relatifs à la Suisse dont elle faisait partie, ont eu pour objet la paix de l'Europe, en rendant l'état de la Suisse propre à assurer le maintien de cette paix.

A cette effet, il fut décidé que la Suisse, formée d'une confédération de cantons souverains, serait investie du privilège d'une neutralité perpétuelle, de telle sorte qu'aucune autre puissance ne fût tentée de chercher à l'attirer à soi comme alliée ou auxiliaire dans la guerre.

Dans ce même but, son territoire fut déclaré inviolable, de telle sorte qu'aucunes troupes étrangères ne pussent

pénétrer sur ce territoire ou le traverser pour envahir un autre pays; et afin que la Confédération suisse ne pût jamais être entraînée par des sentiments de partialité à s'écarter de cette stricte neutralité qui devait invariablement caractériser ses rapports avec les autres États, les cinq puissances déclarérent que la Suisse devait être indêpendante de toute influence étrangère.

Le gouvernement de Sa Majesté pense qu'il est d'une haute importance pour les intérêts généraux de l'Europe, ainsi que pour l'honneur des cinq puissances, que ces engagements soient strictement et littéralement observés; que, tant que la Suisse s'abstient de tout acte en désacord avec son caractère de neutralité, l'inviolabilité de son territoire doit être respectée, et conséquemment qu'aucunes troupes étrangères ne doivent pénétrer sur ce territoire; que la liberté de la Suisse et son indépendance de toute influence étrangère doivent être maintenues, et conséquemment qu'aucune puissance étrangère ne doit chercher à exercer une autorité dictatoriale en ce qui touche les affaires intérieures de la Confédération.

Sans doute, si les Suisses prenaient une attitude agressive à l'égard de leurs voisins, la neutralité et l'inviolabilité garanties à la Suisse ne sauraient les soustraire à la responsabilité de leurs agressions. Mais en ce moment les Suisses n'ont pas commis d'agression semblable. Le gouvernement de Sa Majesté pense donc que la garantie contenue dans la déclaration du 20 novembre 1815 subsiste dans toute sa force, et quelle doit être observée et respectée par toutes les puissances qui ont pris part à cette convention.

Je vous transmets ci-joint, pour votre commodité, copie de la déclaration du 20 novembre 1815.

Votre Excellence remettra à M. Guizot copie de la présente dépêche.

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