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L

CRIMINALITÉ D'APRÈS GUERRE

A statistique ne passe pas pour une distraction folâtre et les chiffres, d'ordi

naire, n'ont rien de réjouissant. Le droit aussi est une science sévère et le titre de mon article semblera peut-être bien morose. Et pourtant la curiosité du public se porte avec une passion. que certains jugent à bon droit excessive, vers les grandes audiences criminelles et les comptes rendus tapageurs. Pourquoi ne s'arrêterait-elle point à une vue d'ensemble sur la criminalité ?

Innombrables sont les problèmes que la guerre a fait naître.

En voilà un qui intriguait bien des gens; il est dans une certaine mesure le baromètre de la moralité publique : Quel sera l'effet du grand bouleversement sur le nombre des crimes et des délits? A cette question souvent posée, la réponse n'a guère varié. Le nombre des infractions à la loi pénale va subir une très sensible augmentation, certains disaient même une augmentation énorme.

Les chiffres que j'apporte, ceux des poursuites en 1913 et en 1921, dans les quatre départements du ressort de la Cour d'appel de Nancy, ne semblent point, tout au contraire, justifier ces prévisions pessimistes. Sans doute, chacun le sait, on tire souvent des statistiques des conclusions contradictoires. Qui donc a dit qu'il y avait trois formes de mensonges le mensonge ordinaire, le moins grave, le parjure et la statistique. Une appréciation pour être vraie doit porter sur un certain nombre d'années et un rayon étendu qui font disparaître les causes locales ou occasionnelles. Les chiffres de quatre départements, Meurtheet-Moselle, Meuse, Vosges et Ardennes, qui comprennent des populations assez variées, industrielles et agricoles, des villes grandes ou moyennes comme des villages écartés, ces chiffres ont déjà une incontestable valeur quand ils s'étendent à toute une année. Ils peuvent donner pour le moins un aperçu intéressant. L'avenir seul pourra dire si les constatations d'aujourd'hui seront encore vraies demain.

LE PAYS LORRAIN (15 année) no 5-196

Mai 1923.

Ce que maintenant je puis dire, en mettant en garde le lecteur et moi-même contre un optimisme prématuré, c'est que le nombre des délits non seulement n'a pas augmenté, mais se trouve même en diminution marquée.

Ce nombre des délits, il faut tout d'abord l'apprécier par rapport au chiffre de la population et ce premier élément de statistique conduit à une constatation navrante, malheureusement trop connue. La population du ressort de la Cour de Nancy, de 1.595.495 habitants au recensement de 1911, s'est abaissée à 1.372.684 au recensement de 1921. La diminution est de 222.871 unités, soit environ 14 %. Il faut tenir compte, il est vrai, de la diminution sensible de l'élément militaire dans l'Est, de la suppression de nombreuses garnisons et des grandes places fortes, Toul et Verdun, par exemple.

Je crois me rapprocher assez près de la vérité en évaluant à 10 % en chiffres ronds la diminution de la population civile, seule justiciable des tribunaux ordinaires.

Le chiffre des délits aurait donc dû diminuer de 10 %. En fait cette diminution est sensiblement plus considérable. Il semble donc qu'il soit permis de dire, si invraisemblable que puisse paraître cette constatation, que la guerre a amené une diminution des actes criminels.

Nous trouverons peut-être une explication ou du moins j'en proposerai une. Pour la chercher, il est nécessaire d'examiner rapidement les principales grandes classes de délits.

Le problème le plus angoissant était certes celui de la criminalité de l'enfance. Je l'aborde le premier.

Il est superflu de dire que l'éducation de l'enfant a été singulièrement négligée pendant les hostilités. Le départ du père à l'armée, sa mort souvent hélas, la faiblesse de la mère restée seule, le manque de surveillance, la mobilisation des instituteurs, les spectacles peu moralisateurs de tous les jours, tout cela tendait à abaisser singulièrement la moralité de l'enfant. La criminalité a cependant subi une augmentation moins considérable que celle qu'on pouvait redouter. En 1912, dans le ressort de Nancy, 756 mineurs de 18 ans ont été poursuivis, en 1921, il y a 754 poursuites, chiffre sensiblement égal. La diminution de la population indique que, toutes proportions gardées, le nombre des enfants coupables a augmenté, mais ne pouvait-on craindre davantage. Ne peut-on espérer aussi une amélioration et penser que les causes ayant atteint la moralité de l'enfance ont une tendance à s'atténuer. De fait en 1919 et 1920 le nombre des mineurs poursuivis était sensiblement plus élevé, la situation s'est améliorée notablement en 1921. Dans l'arrondissement de Nancy par exemple, 192 mineurs ont été poursuivis en 1921, le chiffre de 1920 était de 250. Je ne puis rapporter tous les

chiffres de 1922, ils ne seront connus que dans quelques mois, mais je sais que dans l'année écoulée le nombre des mineurs poursuivis, à Nancy, a encore fléchi, il n'est plus que de 151. En 1913 il était de 178. Il y a une diminution de 27 poursuites qui est appréciable. Il est possible de faire mieux encore. Les œuvres de protection de l'enfance prennent tous les jours plus d'importance et plus de force. Une loi de 1912 avait institué en faveur de l'enfance coupable un certain nombre de mesures utiles et protectrices, la guerre en a malheureusement interrompu l'application. A Nancy, un comité vient de se constituer et se met énergiquement à l'œuvre. Il espère étendre bientôt son action non seulement au département de Meurthe-et-Moselle, mais encore à tout le ressort (1). Voilà pour l'enfance et j'arrive à la criminalité générale.

En 1913, quinze mille quatre-vingt-huit individus (15.088) avaient été poursuivis devant les 18 tribunaux correctionnels du ressort, en 1921, ce nombre s'est abaissé à 12.249 soit une diminution de 2.839, donc 18 à 19 % en moins, alors que la population a diminué de 10 % seulement.

A regarder les choses de près, la diminution est en réalité plus considérable. Les lois de guerre ont en effet créé un certain nombre de délits nouveaux dont le plus connu est celui de spéculation illicite.

Si quelques-uns de ces délits sont en train de disparaître, ils n'en ont pas moins fait l'objet en 1921 d'un millier de poursuites qui logiquement devraient être déduites du total à comparer. La diminution du nombre des délits en 1921 sur 1913 serait à très peu de chose près de 3.839 soit 25 % environ. C'est à ce chiffre, je crois, qu'il faut s'arrêter et somme toute il est satisfaisant.

Et même il semble que le nombre des délits continue à fléchir. Je viens de le dire, je n'ai pas encore tous les chiffres de 1922 qui ne sont point encore rassemblės, mais je connais la statistique de Nancy et elle marque un fléchissement notable du nombre des délits. 2.202 prévenus en 1913 et en 1921: 2.074. En 1922 le nombre des individus poursuivis a été seulement de 1.697. La baisse sur l'année précédente est de 377; elle est donc considérable.

Le rapport annuel de la préfecture de police, qui vient de paraître, conduit aux mêmes constatations. Le préfet de police déclare qu'à n'en point douter, la criminalité est en décroissance sensible et régulière, il attribue cet heureux résultat aux mesures énergiques prises tant en matière préventive qu'en matière répressive. 12.942 arrestations avaient été opérées en 1921 dans le ressort de la préfecture de police, en 1922, les arrestations s'abaissaient à 11.895.

(1) Si des lecteurs du Pays Lorrain voulaient collaborer à l'œuvre généreuse du relèvement de l'enfance coupable, je leur serais reconnaissant de m'envoyer leur adhésion, 25, rue de Boudonville. La cotisation annuelle n'est que de cinq francs. Inutile de faire remarquer que par le temps qui court, c'est pour rien.

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