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Le Père Bachu.

J'ai pas trop peur du Noirot... D'abord on est bien ensemble, j'y vends des semences et, te le sais bien, il aime not' espèce de petits cochons... J'y dirai que s'y m'embête, eh ben, y pourra se passer le doigt devant le nez pour avoir quéque chose de chez nous... Te vas aller trouver la femme du Boquin pour assavoir s'y z'ont envie du champ... Mais te tâcheras de ne pas te découper... T'auras l'air d'y faire croire qu'à not' âge on ne veut pas se donner plus de mal qu'on n'en a et qu'on ne veut plus rien acheter...

La Mère Bachu. Pour qui que te me prends, je suis pas si bête que je suis mal habillée... J'vas y aller demander si elle a des escaroles à repiquer...

SCÈNE II

La Mère Bachu. En passant devant chez vous, ce tantôt, y m'a pris une idée... Vor' voisine, la Léonie Bichon, chante partout que vous avez des si bonnes escaroles, qui sont tendres comme de la rosée et qu'y fondent dans la bouche que, ma foi, je m'ai dit que j'allais vous en demander une douzaine de toquées... Bien sûr que je ne serai pas regardante su' le prix pisque vos escaroles, ça vient de loin et que ça vous a coûté... Pas plus au roi qu'au berger, je ne veux d'obligation à personne, je vous payerai c'que ça vaut...

La Zélie. C'est que je vas vous dire la chose... Si j'en vends, comme vous me demandez, une douzaine de toquées qui ont déjà pris racines, mon homme va m'agoniser, l'est capable d'en râler pendant des jours et des nuits... quand il est hors de ses gonds, c'est moi qu'en supporte les conséquences... Y n'est pas doux comme du sirop de framboises... Hier, au soir, après avoir mangé du saupiquet, l'était de bonne humeur, pac'qu'y s'en avait reléché les bobines, j'y avais mis une bonne cuillère de saindoux, faut tout dire, le v'là qui m'entreprend su' nos escaroles : « Vois-tu Zélie, qui me fait comme ça, j'ai eu le nez creux d'en rapporter du cousin Victor quand je suis allé au Sablon... Tout le monde en veut dans le pays, on va les laisser monter à graine et on vendra la semence... Te verras combien qu'on fera d'argent... » Maintenant, une supposition, si je vous en vendais après ce qu'y m'a dit, je serais propre. L'en faudrait du savon pou' me blanchir... Je verrais plus souvent son dos que sa figure...

-

La Mère Bachu. Faudrait que je soye bien dénaturée pour mettre la brouille dans vot' ménage à propos d'escaroles... J'aime mieux m'en passer... On mangera de l'endive et, pour l'hiver, je ferai pousser de la barbe de capucin dans not' cave... Comme il a été bien vite remballé, le pauv' Joseph Thomas; quand j'ai su ça, les bras m'en ont tombé, mes jambes ne voulaient plus me porter, on aurait cru qu'elles étaient comme de la laine d'agneau...

La Zélie. Et moi donc, m'ame Bachu, c'est l'Annette du Père Christophe,

-

qu'est venue m'apporter la nouvelle un peu avant l'angélus... Je pélais des pommes de terre pour not' souper... J'en ai été si remuée depuis le haut jusqu'en bas que je m'ai enfoncé le couteau dans le gros doigt jusqu'à l'os... J'ai perdu plus de sang que quand on tue un nourrain de six semaines... Qu'est-ce qu'elle va devenir la pauvre Lisbeth, après un pareil accident, surtout elle qu'a jamais attrapé d'ampoules...

La Mère Bachu. L'aimait bien de regarder les ouvrages, mais pas de les faire... Me parlez pas de femmes comme ça qui se mettent des onguents su' les joues pour plaire aux hommes...

La Zélie.

Bien sûr que celles qui font ça, c'est pas naturel, elles cherchent après les coups d'encensoir... Ça sera bien fait pour la Lisbeth, si elle n'a plus que des sons à manger au lieu de farine...

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La Mère Bachu. Y paraît qu'on va vendre tout le saint frusquin, les bêtes, les denrées, les terres...

La Zélie.

Avec tout ça y en aura pas pour des mille et des cents......

La Mère Bachu. Ça c'est vrai, leurs bêtes ont toujours l'air d'être en temps de carême et leurs champs, on dit qu'y sont empoisonnés d'herbes depuis que le pauv' Joseph est tombé dans la raie... Y aura guère d'amateurs...

La Zélie. Faut pas vous y fier... Des acheteurs de terrain, y en a toujours... Plus qu'on a de mal dans les villages, plus qu'on en veut...

La Mère Bachu. Alors, vous croyez, par exemple, que vot' Boquin se mettra su' les rangs... Tiens, j'y pensais plus, vous êtes voisin à la Louvière, ça vous conviendrait...

La Zélie. J'sais pas, mon homme m'a enco' pas desserré les dents à ce propos-là... Et vous aussi, vous êtes joindant et vous avez les reins solides pour acheter...

La Mère Bachu. Vous n'y pensez pas, la Zélie... A not' âge. quand bientôt six pieds de terrain, ça sera assez pour nous loger jusqu'à la fin des siècles... Faudrait qu'on soye bien bêtes pou' se mettre enco' plus la corde au cou... D'abord les terrains de la Louvière, ça ne vaut pas les quatre ers d'un chien... La Zélie. Que vous dites... Ça m'étonnerait bien si le Père Bachu n'en avait pas l'envie... Tant qu'à nous, ça ne nous gêne pas... Nous en avons déjà une indigestion de terrains...

La Mère Bachu. C'est comme nous... La Lisbeth ne pourra pas se défaire de ce qu'elle a... ce sera bien fait... Je m'en vas...

La Zélie (à son homme). Devine voire qui que c'est...

SCÈNE III

Je viens de recevoir la visite d'une belle dame...

Le Boquin.

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C'est bien sûr la Cayatte... Paç'qu'elle a les côtes en long, elle voudrait empêcher les autres de travailler pour qu'on voye pas sa paresse... Mais, ma foi non, c'est la Mère Bachu...

La Zélie.

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Le Boquin.

Pas possible... L'est comme les renards quand y z'entrent dans les maisons, c'est pas pour y faire du bien... Qu'est-ce qu'elle t'a dit... La Zélie. J'ai pas eu besoin de mettre des lunettes pour voir où qu'elle voulait en venir... Elle a essayé de me tirer les vers du nez à propos du terrain de la Louvière... Elle l'a déclabaudé pour que te ne mises pas dessus et afin que le Père Bachu l'achète pour des grimaces...

Le Boquin.

-

Je m'en doutais, c'est des avale tout crû... C'est pis que des chiens enragés, ça mordrait partout... Et qu'est-ce que t'as dit à la vieille... J'n'ai rien dit pour pas me tromper... D'abord c'est toi que ça

La Zélie.

regarde...

Le Boquin.

Oui, ça me regarde... J'aime pas que les blancs bonnets mettent leurs si et leurs quoi hors de leur cuisine... Elle t'a bien sûr raconté que son homme ne voulait plus rien acheter...

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• La Zélie.

Et t'as avalé ça comme du lait doux...

Pour qui que te me prends... J'voudrais que te leur tendes un piège parce qu'y sécheraient comme des pruneaux si on avait le terrain... Le Boquin. C'est bon, je verrai le marchand de biens... S'y avait moyen de les endormir et de les prendre au lacet sans qu'y s'en doutent... Ça me ferait plus plaisir qu'un écureuil qui mange des noisettes... Tâche toujours pas d'en parler... Les cancans des femmes, ça se répand plus vite que l'éclair...

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La Zélie. C'est bon, quand j'ai envie de me taire, je ne parle pas plus qu'un morceau de bois...

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Oui, elle faisait l'âne pour avoir des sons... Elle m'a dit qu'elle ne savait rien, que son Boquin ne lui en avait pas parlé, qu'y n'en

voulaient point, eccœtera...

Le Père Bachu. V'là ce qui me tracassait... J'étais comme une âme en peine en piochant nos lisettes... Je sentais le goût comme un furet... s'y t'on dit qu'y n'en veulent point, c'est qu'y z'en veulent... C'est comme les chats qui se cachent pour attraper les souris... Eh ben, pisqu'y sont francs comme des bourricots qui aiment mieux reculer que d'avancer, foi de Père Bachu, c'est pas pour eusses le terrain de la Louvière, faudrait qu'y z'aient beaucoup de foin dans leurs bottes pour me l'enlever... t'entends, c'que j'te dis, Victorine...

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devrais au moins clore ton ouverture et laisser parler les amateurs... On n'est pas ici pour entendre des choses qui défrisent les gens de bonne famille...

Le Père Bachu.

Le Père Noirot.

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Le Crieur. N'allez pas si fort, vous allez faire déraper l'auto... M. Cahin vous payera à boire tout à l'heure avec son bénef... Attention à vos entonnoirs... Eh ben, Père Bachu, faut pas que je vous arrête... Dites 550... j'aime pas de poireauter des heures entières... C'est bon quand j'allais voir ma petite Caroline...

Le Père Bachu.

-

Je mets les 550, mais c'est fini... Du moment que le Boquin n'en veut pas, je ne veux pas me ruiner...

Le Crieur. Te vois Boquin, le tort que ta mauvaise langue a fait à not' commerce... Te vas mettre les marchands de biens su' la paille... S'y a une justice dans ce bas monde, te seras foudroyé, un de ces quatre matins, par le tonnerre et par les éclairs et te ne me verras pas à ton enterrement... Allons, c'est bien dit, bien fini... Le terrain n'atteint pas sa valeur, il est retiré de la

vente...

La Mère Bachu.

SCÈNE VII

Alors te v❜las revenu baguettes blanches... C'est pas

naturel... Y a à boire et à manger dans c't'affaire-là...

Le Père Bachu.

C'est moi qui ai donné le plus, je l'aurai...

Le Père Noirot arrive tout essoufflé.

Le Père Noirot.

SCÈNE VIII

Eh ben, en v'là enco' une histoire qui n'est pas piquée des vers... Figurez-vous que le Boquin avait donné, avant la vente, 650 francs du marchand, en sournois, pour l'avoir sans miser... Et il lui a donné... Le Père Bachu. - Ah le salaud... quel toupet...

terrain au

La Mère Bachu. - J'te l'avais bien dit qu'y fallait se méfier... Les gens-là ne

sont pas catholiques...

Le Père Noirot.

plus salé que

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Y ne le payera pas dans l'aut' monde... Avec les frais, c'est

de la saumure..,

Le Père Bachu.

La Mère Bachu.

A not' âge on a assez de terre...

Bien sûr, pisqu'on peut plus se faire servir... Mais je

l'aurais voulu pour faire enrager le Boquin et la Zélie...

Julien PERETTE.

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