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cinquante partisans déterminés tiennent les défilés de l'Argonne, six mille paysans ont répondu à l'appel du tocsin », des lettres de Defrance et de Piré. Il lisait Je suis assailli par des paysans qui me demandent des armes et de la poudre pour marcher à l'ennemi. Le sang français se fait sentir dans toutes les veines, et je crois le moment arrivé où l'Empereur se servira de la Nation... Rien ne serait si facile que d'établir dans trois jours l'insurrection dans tout le Bassigny. Le feu se communiquerait rapidement à la Lorraine, à l'Alsace, à la Franche-Comté, à la Bourgogne. Toutes les têtes sont montées. On a vu passer des colonnes immenses emmenant le résultat des pillages. Les paysans veulent reprendre leurs bestiaux, leurs effets; ils veulent se venger des coups qu'ils ont reçus, des outrages faits à leurs femmes et à leurs filles... (1) › Oudinot rendait compte que les populations de la Meuse, de la Moselle et des Vosges, déjà en partie armées et insurgées, attendent et réclament le signal de la levée en masse pour se délivrer des troupes qui ravagent leur territoire. Il demandait même l'autorisation de se mettre à leur tête.

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Depuis le 15 mars, Napoléon avait envisagé de sacrifier Paris. Son instinct de général l'incitait à prendre ce parti. Mais, pressentant que le sort de l'Empire était lié à celui de sa capitale, il résolut de prendre le conseil de son entourage. Caulaincourt et Maret exposèrent de puissants arguments politiques; Berthier, Ney, les généraux, appuyèrent leur avis sur des considérations militaires et peut être personnelles : il fallait sauver Paris.

Napoléon céda.

Mais, tandis qu'il donnait l'ordre de mise en marche de l'armée, il n'abandonnait pas l'idée de cette insurrection. paysanne sur laquelle il avait fondé ses espoirs. Comme il se demandait quels hommes seraient capables de la réaliser, il se souvint d'un officier lorrain réputé pour sa bravoure : c'était le porteétendard du régiment de Chasseurs à cheval de la Vieille-Garde, Joseph-NicolasNoël Brice. Il le fit venir, lui exposa ses vues et le chargea d'ameuter ses compatriotes. J.-N. Brice accepta, sans hésiter, la mission qu'on lui confiait. Il demanda seulement que son frère, Charles-Nicolas, officier au même régiment, fut appelé à l'honneur de partager son sort.

La nuit même de ce 27 mars, les deux frères, déguisés en voituriers, la blouse bleue cachant l'uniforme, la casquette remplaçant le colback, quittaient le bivouac de Saint-Dizier, sur une carriole de paysans. C'est dans cet équipage que, passant audacieusement au travers des détachements ennemis, ils parvinrent à leur village natal.

(1) Arch. Guerre. Piré à Berthier; 26 mars.

Une famille de soldats

Les frères Brice étaient de Lorquin, dans l'arrondissement de Sarrebourg, en Lorraine.

Lorquin est un chef-lieu de canton, simple village bâti en bordure des prés où se rejoignent la Sarre Blanche et la Sarre Rouge. La côte qui le domine au nord, conduit à un plateau au-delà duquel de vastes étangs sommeillent à l'ombre des bois. Vers le Sud, la vue s'étend vers le moutonnement infini de la montagne vosgienne. C'est une succession de croupes gréseuses qui montent, coiffées de forêts, jusqu'à la puissante masse du Donon. La grand'route de Sarrebourg à Blâmont, une des voies d'accès qui conduisent d'Allemagne en France, passe à quelques kilomètres de Lorquin. Eile se modèle sur les plis d'un sol capricieux, car la contrée qu'elle traverse est tourmentée et d'aspect plus maussade que pittoresque.

Nicolas Brice, le père des deux officiers de la Garde impériale, quittant le village de Létricourt, sur les bords de la Seille, où était le berceau de sa famille, était venu, en 1780, s'installer à Lorquin, comme régent des écoles, chantre et marguillier de la paroisse. Ces titres s'appliquaient à une situation modeste. Régent des écoles, cela signifiait simplement magister d'une classe mixte où il instruisait, de la Toussaint à Pâques, dans une même salle, les filles et les garçons dont les parents consentaient à payer cinquante sous l'an pour leur faire apprendre à lire, à écrire et à compter. L'été, les écoliers glanaient à la moisson; l'automne, ils menaient le bétail à la vaine pâture. Les loisirs du régent lui permettaient de cultiver son jardin et un champ dont les produits l'aidaient à vivre. Comme il tenait l'orgue à l'église et chantait aux mariages, aux décès, il ajoutait quelques écus à ses maigres émoluments. Il n'était cependant pas à plaindre, car il avait fait un heureux mariage. Il avait épousé Jeanne-Ursule Thiry, fille d'un marchand tanneur de Lorquin, qui apprêtait les peaux de bêtes, dans sa tannerie de la Guinguette, sur la Sarre Blanche. Seulement la famille Thiry était nombreuse, ce qui excluait la fortune. Un de ses beaux-frères, laissant la tannerie à son aîné, avait même dû s'enrôler à dix-sept ans, comme canonnier au régiment royal de Grenoble-Artillerie. Ce beau-frère, Nicolas-Marin Thiry, ainsi lancé dans l'aventure militaire, devait exercer une influence capitale sur la destinée des enfants du régent des écoles.

Car le ciel bénissait l'union de cet excellent homme. Un fils lui naquit, le 24 décembre 1783, à une heure du soir. Le curé de Lorquin et Laneuveville le baptisait, le même jour, sous les noms de Joseph-Nicolas-Noël. Le parrain était son oncle maternel, Joseph-Marin Thiry, le tanneur, et la marraine, la fille de

celui-ci, Anne Thiry. Un second fils. Charles-Nicolas, était inscrit, le 23 juin 1785, au registre de la paroisse comme filleul de Charles Aubry, notaire royal, contrôleur des actes à Badonviller, son oncle par alliance, et de son épouse, Marie-Rose Thiry.

Ces enfants sont les frères Brice, les partisans (1).

Ils grandirent au milieu de l'effervescence révolutionnaire. Les idées républicaines s'étaient répandues dans les villages de la campagne lorraine. Les gamins qui écoutèrent leurs parents répéter et commenter les mots magnifiques de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen devaient, toute la vie, les entendre résonner à leurs oreilles.

Au voisinage de la frontière, l'enthousiasme populaire se traduisait surtout par des manifestations belliqueuses. La création de la milice citoyenne, en août 1789, souleva d'unanimes transports de joie, car elle signifiait que les citoyens sauraient défendre leur liberté. Les hommes valides se mirent à jouer au soldat. Quel passionnant spectacle, quel fertile exemple pour des bambins que de voir les gens d'âge faire l'exercice, chaque dimanche, sous les ordres des vétérans !

Un des instructeurs de la compagnie de Lorquin était Marin Thiry. Rentré dans ses foyers sans avoir pu dépasser le rang de simple canonnier, il sut se faire valoir dans cette troupe improvisée lorsqu'elle marcha, en septembre 1790, contre les régiments révoltés de la garnison de Nancy (2). Bientôt, cédant à la nostalgie du métier, il reprenait du service au régiment de Royal-Liégeois, à Phalsbourg. Dès lors, sa carrière connut un rapide essor. Sergent-major au régiment devenu la 101 demi-brigade, il passait, le 9 novembre 1792, comme maréchal des logis chef aux HussardsEgalité qui formèrent le 14 chasseurs. Peu après, il était nommé adjudant sous-lieutenant. Le 1er février 1793, il obtenait le grade de capitaine. Sa vocation s'était révélée en changeant d'arme Marin Thiry était un sabreur. A Quiberon, il tailla en pièces une colonne de quatre à cinq cents émigrés et mérita, pour cet exploit, l'arme d'honneur que la République décernait aux braves. Sa renommée emplissait le village de Lorquin. Sa famille s'enorgueilissait de compter un héros. Les enfants du régent apprirent à lui vouer une admiration magnifique.

Cependant le pays lorrain vivait dans une constante angoisse. Dès les premiers

(1) Un dernier fils, Nicolas-Louis, né le 7 janvier 1791 devait suivre la trace de ses ainés ; mais sa carrière militaire fut courte. Vélite chasseur à cheval, le 18 juillet 1809; sous-lieutenant, le 12 août 1810 au 22° chasseurs à cheval; lieutenant au 24° chasseurs, le 7 mars 1813; tué le 27 décembre 1813, près de Nimègue; décoré le 1er janvier 1814.

(2) Arch. Guerre. Dossier Thiry. Attestation des habitants de Lorquin.

mois de 1792 on s'attendait à la guerre. Le 26 avril, les cloches sonnèrent pour convoquer les populations à la lecture de la déclaration des hostilités. Le 11 juillet, l'Assemblée Nationale déclarait la patrie en danger : le décret fut solennellement proclamé dans toutes les communes. Les volontaires s'inscrivirent en masse aux cris de Vivre libres ou mourir ! - Leurs bataillons, à peine formés, furent dirigés sur la frontière. Nombre d'entre eux prirent la route de Biâ mont à Sarrebourg qui passe près de Lorquin (1). Les habitants du village se portaient à leur rencontre; les enfants les escortaient jusqu'à l'étape. L'anxiété croissait d'heure en heure. Le 16 août, le Directoire de la Meurthe faisait savoir que vingt mille Autrichiens entraient en France par Sarreguemines. Bientôt celui de la Meuse annonçait la chute de Longwy, la capitulation de Verdun et le glorieux suicide de Beaurepaire. C'est alors que le Conseil général de la Meurthe prescrivit la mise en activité des citoyens de quinze à soixante ans. Certains districts organisérent des compagnies de Bons Chasseurs ou de Francs Chasseurs. La victoire de Valmy, les succès de Dumouriez apaisèrent les inquiétudes. Les cloches sonnaient encore à toute volée, mais leurs accents célébraient le salut de la patrie.

L'année suivante, la France courut le plus grand péril. Les ennemis l'attaquaient par toutes ses frontières. La Convention ordonna la levée en masse : elle prescrivit la mise en réquisition permanente de tous les hommes et même des femmes, des vieillards, des enfants. On entendait partout le cri répété de : Vive la Nation! et le chant du: Ça ira! Chaque village arborait son drapeau coiffé d'un bonnet de paysan en laine rouge. Ce n'étaient qu'embrassades, acclamations, serments. Des gamins pleurèrent parce qu'ils n'avaient pas l'âge d'entrer dans les tambours et les trompettes.

Nos armées purent épargner au territoire les outrages de l'ennemi. Mais les générations qui vécurent leur enfance au milieu de ce branle-bas de combat devaient garder dans leur coeur la passion de l'héroïsme. La République, chassant devant elle les rois et les princes, agrandissait le domaine de la Liberté. Les noms des victoires et des généraux qui les remportaient battaient le rappel dans les cerveaux. Les fils du régent des écoles de Lorquin, éblouis par la fortune militaire de Marin Thiry, le sabreur de Quiberon, brûlaient de s'engager pour conquérir leur part de gloire et d'honneurs. Et c'est ainsi qu'un paisible magister de village fit souche de soldats.

Ce fut le cadet, Charles-Nicolas, qui se présenta le premier à l'enrôlement. Il n'avait pas dix-huit ans quand il se fit inscrire. le 13 février 1803, à la 83o demi

(1) Le 6• et le 7o bataillon des Vosges la suivirent le 14 et le 15 août 1792. (Félix Bouvier),

brigade d'infanterie. Il fut réformé, cinq mois après, lorsqu'on s'aperçut qu'il n'avait pas l'âge réglementaire.

L'aîné, Joseph-Nicolas-Noël, entrait comme volontaire au 14 chasseurs à cheval, le 9 mars 1803. Il comptait à peine dix-neuf ans. Le régiment qu'il avait choisi était celui où son oncle tenait, depuis le 1er brumaire an VIII, un emploi de chef d'escadrons.

Le nouvel engagé était un garçon robuste, de belle taille et de bonne mine. Son visage, légèrement marqué de la petite vérole, présentait des traits réguliers. et fins. Ses yeux gris brillaient d'un éclat net qui signifiait la décision et la franchise. On vantait la douceur de son caractère, mais on ne manquait pas d'ajouter qu'elle se doublait d'une résolution et d'une tenacité assez communes chez les Lorrains. A défaut de fortune, le régent des écoles lui avait transmis son savoir. Aussi pouvait-il passer pour cultivé au milieu de soldats qui maniaient plus aisément le sabre que la plume. Son écriture, parfaitement régulière, non sans élégance, dénote la spontanéité de la pensée, la rectitude du jugement, l'égalité d'humeur.

Sa prestance, son instruction, l'ardeur qu'il apportait au métier militaire, et, certainement, l'appui de son oncle, lui permirent de franchir rapidement les premiers grades. Au bout de quatre mois, le 6 juillet 1803, il était brigadier; le 17 septembre, fourrier; le 23 novembre, maréchal des logis. Il se trouvait à l'armée des Côtes de l'Océan, à l'époque de sa nomination au grade de maréchal des logis-chef (29 juillet 1804). C'est en cette qualité qu'il fit, l'année suivante, sa première campagne de guerre à l'armée d'Italie. Il combattit à Caldiero et fignra à la prise de Vicence. En juillet 1806, Marin Thiry, ayant été nommé chet d'escadrons au régiment de Chasseurs de la Garde, avec rang de major dans la ligne, Joseph Brice dut faire la remise de ses galons pour l'y suivre. Mais cet abandon de grade était presque un avancement, tant il était difficile d'être admis dans ce corps d'élite.

Chasseurs à cheval de la Garde Impériale

Le régiment des Chasseurs à cheval constituait la Garde-particulière de l'Empereur. Il provenait des Guides de l'Armée d'Orient, que Napoléon avait attachés à sa personne pendant la campagne d'Egypte. Ces guides étaient devenus, en 1800, les Chasseurs à cheval de la Garde consulaire. En 1804, ils formèrent le régiment des chasseurs à cheval de la Garde impériale, portant la culotte de peau de daim, le dolman vert à brandebourgs aurore, la pelisse écarlate, bordée de fourrure noire et garnie de quatre-vingt-seize boutons d'or.

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