Et nous en éprouvons les internes Refforts;
Nous l'aimons, nous voulons qu'il fubfifte, qu'il dure, Et nous l'avons nommé proprement notre Corps. Ce font des mains,des bras, des yeux qui m'appartiennent. Je m'apperçois toujours que je fuis agité
Des changemens qui lui furviennent ̧ Et j'éprouve fouvent qu'il fuit ma Volonté. Tantôt il obéit, tantôt l'Ame est sajette, Et par leur Liaison fecrette,
A tous les Mouvemens que l'un peut recevoir
L'autre auffi fe fent émouvoir.
De cet accord en Nous vient la pente groffiere, Par où font confondus l'Efprit & la Matiere. Comme nous ne faurions jamais nous fouvenir, Que d'agir fans le Corps l'Ame ait été capable, Nous croyons ne pouvoir jamais les defunir ; L'Erreur eft prefque inévitable,
De les croire tous deux de Nature femblable. Loin de fe diftinguer de l'Etre corporel, L'Efprit s'aviliffant se fait materiel.
Baffes préventions dans le Berceau reçûes ! Avec un foible Corps dès l'Enfance engagez, A fuivre fes befoins à toute heure obligez, Notre Ame & la Matiere ont été confondues; Et nous avons à tort donné le Sentiment
Au Corps qui n'en étoit que le feul Instrument.
Tous ces traits diftinguez qui font la difference
Que dans les Corps on croit trouver,
Tout ce qu'en Eux nous penfons obferver, N'exifte proprement que dans l'Ame qui pense. Autant que dans les Corps peuvent être comptez D'Attributs & de qualitez,
Autant dans notre Efprit nous devons reconnoître De divers Attributs & de manieres d'Etre., Et toutes ces Modalitez,
Ces differens Etats que les Objets font naître, Des Organes touchez fimples ébranlemens Deviennent dans l'Esprit nos propres
En tout ce qu'il éprouve, & Chaleur, & Froidure, Saveur, Odeur, & Son, & Couleur, & Piquure, Il ne connoît d'abord que Les Perceptions; Un Principe fecret fait nos Senfations.
Que fi l'on peut prétendre à fçavoir davantage, Et chercher dans les Corps par quelles Actions Nous viennent ces impreffions;
Ces connoiffances font l'Ouvrage
De nos Raifonnemens, de nos Refléxions.
Dans les Proprietez à notre Efprit données Ne mêlons donc jamais rien de materiel; Et dans l'Etre corporel
Ses qualitez à part foient auffi difcernées.
Car enfin qui pourra jamais fe propofer
De mefurer une Ame, ou de la diviser ? Et veut-on que d'un Corps arangeant les parcelles, Quelque agitation qu'on fe figure en Elles, Une Ame connoiffante ait pû s'en compofer? Comment en tous les Sens ces parcelles placées Deviendront-elles des Pensées ?
L'Efprit lui-même ainfi voudroit-il s'abufera
En qualité d'Esprit, j'entens, affirme, nie; Je puis aimer, hair, douter, déliberer, Me repentir, craindre, efperer,
Point de matiere ici, l'idée en eft bannie. L'Esprit n'est point aigu, ni chaud, ni coloré, En rond, en cube il n'eft point figuré; Mais une autre Nature à la fienne eft unie.. C'est un Corps qui fe peut divifer & mouvoir, Et dont les traits changeans peuvent s'appercevoir. Que ce Corps, devenu plus leger, ou plus rare, En fubtiles Vapeurs s'affemble, ou fe fepare, Pour un Etre penfant peut-on le recevoir ? Sentiment, ni Raifon peut-il s'y concevoir ? Non, fur tout ce qu'il eft privé de connoiffance, Jamais avec l'Esprit il ne fçauroit avoir
Conformité, ni reffemblance,
Et dans tous leurs effets on void leur difference.
C'est ce que nous devons fans ceffe examiner. Etre Matiere, ou Corps, c'eft avoir des Parties, Qu'on puiffe defunir, arranger, ou borner. Etre Efprit, c'eft fentir, choifir, & difcerner, C'eft refléchir fur les chofes fenties, Se connoître foi-même, entendre, & raifonner.
Le Corps, mû, compofé, par là doit fe diffoudre, Changer & s'exhaler, & fe réduire en poudre. L'Esprit eft fimple & fans divifion;
De partage il eft incapable;
Donc en lui-même il eft inalterable, Exemt de changement & de corruption,
JE te fens en moi-même, ô Puissance înfinie !
Par tout prefente, ag iffante en tous lieux. Toi, qui de la Terre & des Cieux
Animes les Beautez, & regles l'Harmonie.
, par qui les flambeaux de la Nuit & du Jour Dans le Cercle des Temps ont commencé leur tour. Efprit, qui dans le nôtre exprimes ton Image, Auteur de la nature, inftruis-nous de fes Loix; Dévoile-nous ce grand Ouvrage,
Qu'a fait naître ta feule voix.
Si, dans ce beau Projet qui me preffe & m'enflâme, L'Etude & la Retraite ont fait mes vrais plaisirs; Si, loin des vulgaires defirs,
Les foins de te connoître ont occupé mon Ame, Sois favorable aux Efforts innocens,
Par qui ma Raifon & mes Sens
Ont tâché de trouver des Lumieres fidelles; Ouvre-moi des Routes nouvelles
Et propice à mes vœux, fais que je puiffe aller Des Connoiffances naturelles
A ces Veritez éternelles
Qu'il t'a plû de nous réveler.
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