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Ou troublé de Vapeurs, ou par le temps, ufé;
Alors c'est un Vaiffeau fans Voile & fans Cordage,
Dont le Nocher ne peut plus faire usage.

Mais le feul Corps fouffre ces changemens.
Un Corps feul eft fujet à ces dérangemens.

Ce

Un mauvais Inftrument jamais ne sçauroit rendre, d'un Maître habile on auroit lieu d'attendre. Entre les mains d'un Arion fçavant,

que

Que le Lut foit brifé, les Cordes foient rompues,
Il prend pour les toucher des peines fuperflues;

Bien le Chantre ait comme auparavant
que

Cet Art que nous avons admiré fi fouvent.

L'Ame eft unie au Corps, tant que le Corps refpire: Mais quand les Inftrumens, quand les Corps font gâtez, Sont épuisez d'efprits, troublez, déconcertez,

Elle ne peut

fur Eux exercer fon Empire.

Dans un Corps périffant ne pouvant plus agir,
Sans en partager la ruine,

Elle abandonne enfin l'inutile Machine,

Qu'elle ne fçauroit plus régir.
ရာ

Souvent un Mal foudain cause la Défaillance,
De fa Raifon, de fon Intelligence;

Son feu divin, fans paroître au-dehors,

Nous femble enfeveli fous le débris du Corps;

Mais elle ne perd pas fa veritable Effence;
Semblable en quelque forte à la Clarté des Cieux,
Que d'obscures Vapeurs dérobent à nos Yeux.
Quoi! lorfque nous voyons dans les affreux Orages
Le Jour enfeveli fous l'amas des Nuages,

Que du Sein de Thetis, & du fond des Marais
S'élevent des brouillards épais,

Que le vafte Horifon tout couvert de Tenebres,
Imitant de l'Enfer les Cavernes funebres,

Abîme en ce Cahos les Etres confondus,
Dira-t-on pour cela que le Soleil n'est plus ?

ရာ

Lorfque cet Aftre même au milieu de fa Courfe;
Lui qui de la Lumiere est la feconde Source,
Void par l'Aftre inconstant qui lui doit fes Beautez,
Ses propres feux interceptez,

Dira-t-on que fa flâme, & fi pure, & fi vive,
Toujours en elle-même également active,
Parcequ'un Corps opaque a pû nous la couvrir,
En s'éclipfant vient de mourir.

ရာ

N'avons-nous pas des Yeux dans une Nuit obfcure, Et de voir les Objets avons-nous le pouvoir ?

Non, tant que l'obscurité dure,

Tant qu'ils font dans la Nuit nous ne pouvons rien voir.

Mais quoi des Maux du Corps l'Ame fe fent frapée!
Comment dans fa foibleffe eft-elle enveloppée ?
On veut approfondir, on cherche la Raison
De leur étroite liaison.

Qui produit ce Mélange, & de quelle maniere
L'Efprit eft joint à la matiere ?

ရာ

L'homme eft le compofé d'un Efprit & d'un Corps ; De tous les deux à part nous avons connoiffance, Nous en fçavons la difference,

Et dans leur union nous cherchons quels rapports,
De Sujets fi divers fait la correfpondance.
Que découvrons-nous ? l'Ame pense;
Le Corps reçoit des mouvemens.

Il faut donc établir fur ces deux fondemens
Leur Concert & leur Alliance.

Que l'un puiffe être meu, l'autre puiffe penser
Au gré des Nœuds qui les uniffent.

L'Ame fe doit intereffer

A l'état de ce Corps par qui les Sens agillent';
Et le Corps doit de fon côté

Avoir des mouvemens dont l'Ame s'apperçoive,
Et dont il faut qu'elle reçoive

De la douleur, ou de la volupté,
Par rapport au maintien de leur Societé.'

Le Corps fe meut au gré de la Pensée,

Sur l'état de fon Corps l'Ame peut s'émouvoir;

A l'égard l'un de l'autre employant ce pouvoir,
La Loi de l'Union entre eux eft exercée.
L'Ame, comme on l'a dit, n'a qu'à s'appercevoir
Du changement qui dans le Corps peut naître;
Et le Corps n'a qu'à recevoir

L'impreffion que l'Esprit peut connoître.
Mouvement & Penfée ont ainfi leurs rapports;
Le Corps agit fur l'Ame, & l'Ame für le Corps.
Ainfi fans fe confondre ils feront joints ensemble;
Ce qui par leur Nature en eux eft divifé,

Par des Actes communs dans l'Homme fe raffemble,
Et fait de tous les deux un parfait compofé.

Par ces deux rapports neceffaires

Nos Sentimens ont fait nos Craintes, nos Defirs.
Les chofes qu'à fon Corps l'Ame trouvoit contraires,
Ou qu'elle trouvoit falutaires,

Même dès le Sein de nos Meres,

Firent obfcurément des douleurs, des plaifirs.

Mêmes impreffions, d'abord peu

démêlées,

Par le cours des Efprits se font renouvellées ;

Le Cœur qui s'en laisse saisir,

Se ferre à la douleur, fe dilate au plaisir.

Notre Ame unje au Corps par cet Organe inftruite,
Sur ce qui le regarde a le droit de choisir,
Elle en a le Régime, elle en a la Conduite,

Reffent la Crainte, ou forme le Defir,

Portée

Portée à la recherche, & portée à la fuite.
Nos premieres fenfations

Dans la fuite ont caufé toutes les paffions,
Dont l'habitude à la fin nous entraîne,
L'Amour des voluptez, & l'horreur de la peine.
Ces Penchans, ces Averfions,

Redoublant leurs impreffions,

Deviennent dans l'Efprit, & l'Amour, & la haine.
C'eft la condition humaine.

Ils reglent notre volonté,

Sur ce qui nous paroît nuifible, ou convenable,
Ou plaifant, ou defagréable.

Objets que l'Homme fuit, ou dont il est flatté
Avec intelligence, & choix, & liberté.

Nous fentons nos Instincts, & nos Defirs contraires. Les Actes de l'Esprit font libres, volontaires. Le Corps foumis à d'autres Loix

Se meut fans liberté, fans choix.

Notre Ame par les Sens trop vivement touchée,
Eft dans fes paffions affujettie au Corps;

Mais quand elle veut bien, elle en est détachée;
Et fuit les plus nobles transports.

Même les paffions de leurs défauts purgées

En vertus fe trouvent changées,

Et par les grands Objets qui leur font proposez,
Des Defirs les plus purs nos cœurs font embrasez.

S

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