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de guerre, mais dans un pur esprit de fiscalité. honteux est devenu impossible en vertu des droits constitutionnels des peuples. Spécialement la Suisse a dû renoncer à l'usage de pareils marchés, connus autrefois sous le nom de conventions militaires, comme inconciliables avec la neutralité perpétuelle qui lui a été garantie par les puissances européennes. 2

Il y a une autre question sur laquelle les anciens auteurs sont tombés dans une grave erreur. Ils ont prétendu que le neutre avait le droit de permettre au belligérant le passage de ses armées sur le territoire neutre toutes les fois qu'il en avait besoin ou qu'il le jugeait à propos, et que le souverain neutre ne pouvait le refuser sans commettre une injustice. Non-seulement le passage de troupes armées sur le territoire neutre n'est pas un droit, mais encore la concession du passage constituera, de la part du neutre, une violation de ses devoirs qui donne à l'autre partie un juste motif de le traiter en ennemi. 3 Le neutre ne doit pas non plus permettre que ses ports, ses rades ou ses mers territoriales servent de station aux bâtiments des puissances belligérantes, ni que ces dernières y embarquent de l'artillerie ou des munitions de guerre. П doit veiller avec soin à ce que l'un des belligérants n'arme dans ses ports aucun bâtiment de guerre, ni aucun corsaire. De pareilles concessions ne peuvent se concilier avec les lois d'une stricte neutralité. Car il est difficile d'empêcher qu'elles n'exercent quelque influence sur le sort de la guerre. Presque

1 Une excellente exposition historique et théorique de la question se trouve dans Oke Manning p. 170. V. aussi Hautefeuille t. I, p. 433. Phillimore III, 109. Halleck § 14 ibid.

2 Bury, dans la Revue internationale. t. II, p. 636.

3 La plupart des publicistes allemands se sont prononcés avec Vattel (III, § 119 suiv.) en faveur d'un droit de passage innocent (passagium innocuum), p. ex. Martens dans son Précis du droit des gens § 310. 311. L'auteur lui-même du présent ouvrage, bien que convaincu du peu de fondement de cette opinion, ne s'est peut-être pas exprimé sur ce point d'une manière assez nette dans la première édition. Dès lors il n'a pas hésité à adopter sans réserve l'opinion opposée qui a trouvé d'excellents défenseurs dans Hautefeuille (t. I, p. 424. 447), Oke Manning (p. 182) et Arendt (p. 121). Pando au contraire (p. 461) soutient encore l'ancienne théorie.

toujours elles augmenteront les forces de l'un des belligérants, lui donneront des chances de succès et, par conséquent, nuiront dans la même proportion à l'autre. Presque toujours la situation du territoire neutre se prête plus facilement aux opérations de guerre de l'une que de l'autre partie. Leur en accorder simultanément le passage, c'est en réalité ouvrir le territoire neutre à des hostilités ou favoriser une partie contre l'autre. Le souverain neutre doit donc s'abstenir en général des actes qui, dans les circonstances au milieu desquelles ils se produisent, ne se présentent pas avec le caractère d'innocuité parfaite. En ce cas la bonne foi et la prudence exigent de lui une entente préalable avec l'autre belligérant.1

L'autorisation accordée aux sujets paisibles d'un belligérant de séjourner dans le territoire neutre, l'entrée passagère des bâtiments de guerre dans ses ports et rades, les fournitures qui leur sont faites en bois, agrès et objets nécessaires pour réparer les avaries qu'ils ont souffertes, soit par accidents de mer, soit dans un combat, ne présentent pas un caractère aussi dangereux. Néanmoins le neutre doit exiger que ces bâtiments quittent ses ports dès que leur séjour prolongé paraîtra se rattacher à quelque combinaison de guerre.2

La validité des aliénations en pays neutre des biens conquis par l'un des belligérants, par une de ces voies connues sous le nom de butin ou de prise, après que la prise de possession est devenue inattaquable d'après les règles internationales, ne peut faire l'objet d'aucun doute. Plusieurs traités

1 Moser (Versuche t. X, p. 238) disait déjà dans le même esprit: ,,On ne doit pas permettre le passage d'armées ou de corps d'armée entiers sur le territoire neutre. Autrement on s'expose, selon les circonstances, à perdre la qualité de neutre. Accorder le passage à l'une des parties et le refuser à l'autre, c'est évidemment un acte de partialité. Lorsque le libre passage profite seulement à l'une des parties, sans pouvoir profiter à l'autre, celle-ci peut exiger certainement que le neutre le refuse au premier."

2 Jouffroy (Droit marit. p. 92) et Hautefeuille (t. I, p. 461) regardent dans ces cas comme illicite la fourniture d'armes et de munitions de guerre. Pando (p. 467) professe la même opinion. Ne serait-il pas cruel de livrer des combattants désarmés à l'ennemi? D'ailleurs la vente en territoire neutre a toujours été considérée comme un acte parfaitement licite.

contiennent une stipulation expresse à ce sujet. Mais rien n'oblige le neutre à autoriser ces aliénations. Aussi, tandis que certains traités les admettent, d'autres les proscrivent-ils formellement.1 Toutefois la création sur le territoire neutre d'un lieu d'entrepôt destiné à recevoir ces sortes d'objets, devrait être regardée comme un acte d'hostilité. Il faut en dire autant de la mise en possession d'un neutre dans des terres conquises, dont le vainqueur ne peut disposer valablement qu'après la conclusion de la paix (§ 132).

§ 148. Nous venons de retracer les lois rigoureuses qui doivent présider aux relations des nations neutres avec les belligérants. En thèse générale les mêmes principes devront encore servir de règle à la conduite des individus de chaque nation neutre et par conséquent ces derniers sont tenus de s'abstenir de tout acte contraire aux obligations fondamentales du droit de neutralité (§ 146). C'est pour cela qu'ils sont soumis à plusieurs restrictions de la liberté du commerce (§ 151 et suivants); qu'ils ne peuvent non plus prendre du service militaire dans les armées de terre et de mer d'un belligérant contre l'autre; qu'enfin ils ne doivent leur prêter aucun secours considérable en proportion avec celui qui constituerait une lésion de la neutralité de la part du gouvernement neutre lui-même (§ 147). Anciennement on en jugeait autrement. Tant qu'il n'y avait que des troupes mercenaires, les particuliers pouvaient librement, soit individuellement, soit en bandes ou compagnies sous quelque,, condottiere", entrer au service de l'un ou de l'autre belligérant. Cette faculté formait même un des éléments de la bonne liberté allemande.2 Pareillement il était admis de prendre une lettre de marque comme corsaire sous le pavillon d'un belligérant. Tout cela ne convient plus aux moeurs et aux institutions des États modernes. Les gouvernements ne permettent plus à leurs sujets l'enrôlement sous les drapeaux des parties en guerre ni la participation à la course maritime. Ils se croient même

1 Vattel III, 7, 132. Bynkershoek, Quaest. I, 15. de Steck, Handelsund Schifffahrtsvertr. p. 176. Pando p. 467. Ortolan (II, p. 270) s'est prononcé pour la négative.

2 V. le recès de l'Empire de 1570 § 4.

obligés d'interdire aux citoyens de porter aide ou secours aux belligérants de l'une ou de l'autre manière et d'appliquer aux contrevenants les peines légitimes, s'il y a lieu. Mais ils ne sont pas responsables de tout dommage causé à un belligérant par les contraventions de leurs sujets; ils ont seulement à surveiller les actes contraires aux règles de la neutralité et à empêcher les infractions manifestes.1

Droits des neutres.

§ 149. L'état de guerre survenu entre deux nations impose seulement aux droits fondamentaux des autres certaines restrictions résultant des devoirs spéciaux de la neutralité. Ces droits ainsi modifiés se résument dans les propositions suivantes:

Premièrement: Inviolabilité du territoire neutre, plein exercice des droits de souveraineté dans le territoire neutre.

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1 Ce sujet a causé bien des réclamations et des contestations pendant et après les dernières guerres. Les questions qui s'y rattachent sont discutées par M. Westlake et M. R. Jaequemyns dans la Revue du droit internat. t. II, p. 636. 700. ss. Par le traité anglo-américain de Washington, signé le 8 Mai 1871, les deux gouvernements ont adopté les règles suivantes: ,, Le gouvernement neutre est tenu 1° d'user de toute vigilance pour empêcher, dans sa juridiction, l'équipement et l'armement de tout vaisseau qu'il a des motifs raisonnables de croire destiné à croiser ou de faire la guerre contre une puissance avec laquelle il est en paix: et aussi d'employer la même vigilance à empêcher de quitter le domaine de sa juridiction tout vaisseau destiné à croiser ou faire la guerre, comme il a été dit ci-dessus; 2o De ne permettre à aucun des belligérants de faire de ses ports ou de ses eaux la base de ses opérations maritimes contre l'autre, ni de s'en servir pour augmenter ou renouveler ses approvisionnements militaires, ses armes ou pour recruter des hommes; 3° D'employer toute vigilance dans ses propres ports et dans ses eaux, et, à l'égard de toute personne dans sa juridiction, d'empêcher toute violation des obligations et des devoirs qui précèdent." Ces règles ne formeront à la vérité que la base du jugement à rendre par le tribunal arbitral qui doit être constitué à Genève pour l'affaire de l'Alabama. Néanmoins comment pourrait-on méconnaître la justesse et l'équité desdites règles en général? Comparez au reste la Revue des deux mondes, tome 49 (1871) p. 795-810. Bluntschli, dans la Revue Internat. II, (1870) p. 452 ss. La question des dommages ne nous intéresse pas ici.

Le territoire neutre devient par là un asile naturellement ouvert aux sujets des belligérants, lorsqu'ils s'y présentent isolément1 et que leur présence n'implique pas une faveur accordée à l'un des belligérants au détriment de l'autre. Il y a encore plus. Lorsqu'un corps armé fuyant devant son ennemi vient se réfugier dans un pays neutre, il y est reçu et est traité avec humanité, mais les troupes sont éloignées du théâtre de la guerre; on les peut faire sortir du pays d'une manière seulement non préjudiciable à l'ennemi; en un mot on remplit les devoirs d'humanité à l'égard des individus, sans accorder un asile ou un lieu de rassemblement à l'armée prise comme un corps. Lorsqu'au contraire des navires des puissances en guerre se présentent devant un port neutre, et qu'ils y sont admis, on leur permet seulement d'acheter les vivres nécessaires, de faire les réparations indispensables et de reprendre la mer pour se livrer de nouveau aux opérations de guerre. En tout cas le gouvernement neutre peut prendre des mesures convenables pour empêcher des actes d'hostilité qui pourraient se commettre entre les parties belligérantes sur son territoire, par exemple, en faisant sortir la plus faible la première et en retenant la plus forte pour un temps suffisant, au moins de 24 heures, pour donner le devant à la première. S'il y a déjà un commencement d'hostilités, il peut, et doit même s'il le peut, les réprimer de toutes ses forces et contraindre le vainqueur à se défaire des fruits de sa victoire, faire relâcher les prisonniers et faire restituer le butin et les prises faites par lui. Le vainqueur n'est pas même en droit de continuer dans le pays neutre la poursuite de l'ennemi battu ou chassé. Seulement si l'État neutre a fourni à l'un des belligérants des troupes auxiliaires

2

1 Wheaton, Intern. Law IV, 3, 11. Ortolan II, 239. Hautefeuille I, 473. Principalement: Lud. Ern. Püttmann, de jure recipiendi hostes alienos. Lips. 1777.

2 Moser, Vers. X, 1, 159. 311. de Martens, Völkerr. § 307. Klüber § 258, note b. Ortolan II, 248. de Pistoye et Duverdy, Prises maritimes I, 108. Hautefeuille I, 474. II, 91. 137.

3 Wheaton, Intern. Law IV, 3, 6 et 7. Nau, Völkerseerecht § 235. Ortolan II, 255. 278. et Duverdy I, 22. Phillimore III, 457. Halleck

de Martens, Caper § 18. Pando p. 465. de Pistoye XXII, 6 s.

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