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pourrait encore revendiquer les choses comprises dans sa propriété contre leur détenteur actuel même après la cession à lui faite par un traité de paix. Sans doute le possesseur et ses ayant droit auront alors à se prévaloir des avantages de leur possession acquise par l'effet légitime de la guerre; ils auront à examiner les titres du revendiquant et à contester leur validité; ils pourront peut-être aussi réclamer un dédommagement équitable pour les frais et autres sacrifices de la guerre en compensation des avantages gagnés sans guerre par le véritable propriétaire. En dernier lieu la question deviendra tout-à-fait politique et devra être résolue ou par transaction ou par l'épée.

II. Interrègne et usurpation.

§ 185. Lorsqu'un souverain belligérant parvient à s'emparer du territoire ennemi en tout ou en partie, il laisse ou subsister le status quo, en se bornant à l'avantage matériel de l'occuper militairement (§ 131 et suiv.), ou bien il institue un gouvernement provisoire nouveau. Sans avoir l'intention bien arrêtée de soumettre d'une manière permanente le pays conquis à sa domination, le vainqueur peut pourtant y exercer les droits du pouvoir souverain en instituant un gouvernement provisoire pour servir à ses intérêts pendant l'occupation. Enfin il peut aussi prendre possession parfaite du pouvoir souverain et se subroger à l'ancien souverain, avec l'intention bien arrêtée d'exclure ce dernier pour toujours de la rentrée au pouvoir. C'est le cas de l'usurpation proprement dite.1

L'usurpation met quelquefois un terme à l'existence politique d'un État, soit par suite de son incorporation dans le territoire du vainqueur, soit par suite d'un démembrement.

1

V. la littérature concernant l'usurpation proprement dite dans de Kamptz, Lit. § 312; surtout Sam. de Cocceji, Dissert. de regimine usurpatoris. Fref. Viadr. 1702 (et son Comment. sur Grotius I, 4, § 15). Ludwig Schaumann, Die rechtlichen Verhältnisse des legitimen Fürsten, des Usurpators und des unterjochten Volkes. Cassel 1820. Pfeiffer, Das Recht der Kriegseroberung in Bezug auf Staatscapitalien. Cassel 1823. Comparez la feuille périodique Némésis X, 2, 127 suiv. Phillimore III, 603. Zöpfl, Grundsätze des deutschen Staatsrechts. Lpz. 1863. § 204-210.

D'autres fois l'État conquis continue à exister comme indépendant, et il subit seulement un changement dans la personne de son souverain.

Les actes de l'usurpateur ont incontestablement, par rapport aux nouveaux sujets soumis de fait à son autorité, la même force que ceux d'un souverain légitime. Car l'État a besoin d'un pouvoir souverain, et le possesseur de celui-ci, quel qu'en soit le titre, peut seul l'exercer d'une manière efficace (§ 13). D'ailleurs le conquérant n'est dans ses actes aucunement astreint à la constitution précédente du pays conquis, ainsi que le soutiennent plusieurs publicistes.1 Il est seulement tenu de respecter les droits généraux de l'homme, ainsi que les droits privés acquis de ses sujets par l'effet des lois en vigueur. Mais il a la faculté de régler d'une manière absolue les conditions des rapports publics entre lui et ses nouveaux sujets. Il a la pleine disposition des biens appartenant à l'État conquis; il peut en changer arbitrairement la législation et l'administration. Les formes d'administration précédemment établies ne subsistent que tant qu'il lui plaît de les maintenir. Toutefois c'est un état de choses violent qui ne pourra porter aucun préjudice aux droits du souverain précédent, tant qu'il n'y a pas renoncé ou que son rétablissement est possible.2 A son égard le droit de postliminie subsiste dans toute sa force, comme à l'égard de tous ceux qui se trouvent hors du territoire occupé ou qui continuent à résister au pouvoir usurpateur. Ils conservent leurs droits précédents en tant qu'ils n'ont pu être atteints par les actes du gouvernement intermédiaire.

1 Zachariae, 40 Bücher vom Staat. IV, 1, p. 104. Les opinions soutenues autrefois par cet auteur dans son ouvrage intitulé: Ueber die verbindende Kraft der Regierungshandlungen des Eroberers. Heidelb. 1816. s'y trouvent considérablement modifiées.

2 Chr. Gottl. Schwarz, De jure victoris in res incorpor. Altorf. 1720 thès. XXVII:,,Invasor quem usurpatorem vocant, ex victoria in subjectos nanciscitur exercitium juris regii, quod in ipsa possessione et administratione consistit, quia illi ipsi devicti subjectique cives victori non possunt non praestare obsequium. Interim rex injuste expulsus retinet salvum et intactum jus regni." V. aussi Cocceji, à l'endroit cité et Halleck XXXII, XXXIII.

Les règles indiquées au § 23 et 49 s'appliquent également aux rapports internationaux de l'État usurpé avec les États étrangers. De l'autre côté les règles établies au § 25 seront applicables pour les engagements contractés par l'ancien souverain.

§ 186. Le caractère et le pouvoir d'un gouvernement purement provisoire institué par le vainqueur dépendent surtout du but que le conquérant s'est proposé lors de son institution. Car il est évident qu'il ne dépend en aucune façon du souverain dépossédé et qu'aucun lien ne le rattache au pouvoir précédemment établi. Les lois de la guerre déterminent seules ses droits et ses devoirs. Il y a lieu cependant d'établir une distinction entre les deux cas suivants:

I. Tant que le conquérant n'a pas l'intention bien arrêtée et les moyens nécessaires pour garder le territoire conquis, il peut à la vérité s'assujettir l'administration du pays, et empêcher le souverain expulsé d'y exercer aucune influence et de s'en approprier les ressources. C'est une sorte de séquestration du pouvoir souverain dans l'intérêt du conquérant sans responsabilité envers le souverain ennemi. L'exercice du pouvoir souverain continuera dans les formes et d'après les règles antérieurement établies, sous la surveillance du conquérant et sauf les changements qu'il lui plaira d'introduire dans l'administration.

En ce sens la Cour de cassation de France, par un arrêt en date du 22 juin 1818, a jugé que l'occupation d'un territoire sans une réunion formelle n'en rend pas les habitants sujets du vainqueur.1

II. Il en est autrement, dès que le conquérant a l'intention bien arrêtée de garder le territoire occupé et d'en disposer au besoin. En ce cas l'établissement d'une administration, bien que provisoire d'abord, est le commencement d'une prise de possession complète du pouvoir souverain et le premier pas de l'usurpation (§ 185). L'administration est signalée par l'exercice des divers droits de souveraineté au nom du conquérant. C'est ce qui est arrivé, par exemple, dans l'Électorat

1 Ortolan I, p. 315.

de Hesse, lorsque Napoléon I prit possession de ce pays en 1806. Des administrations analogues furent instituées en 1813 et en 1814 par les puissances alliées.1

La juridiction de ces autorités ne s'étend pas au delà du territoire occupé par l'ennemi: elle ne s'étend pas à la portion du territoire non occupée par lui, à moins qu'il n'ait conservé l'état de possession antérieur et qu'il n'ait apporté aucun changement dans l'ordre des choses établi. C'est surtout lorsqu'il s'agit de l'exécution des jugements rendus par des tribunaux du territoire occupé, que la question présente un grand intérêt pratique. Le traité de Westphalie (chap. IV. art. 49) admettait en pareil cas une révision des jugements.2

III. Droit de postliminie.3

§ 187. La paix remet souvent les choses dans leur premier état. Le postliminie produit des effets analogues: c'est-à-dire, les personnes et les choses prises ou occupées par l'ennemi, rentreront régulièrement dans leur condition antérieure, quand elles sont délivrées de la puissance du vainqueur. Cependant cette restitution n'a lieu qu'à l'égard des droits en eux-mêmes; elle n'abolit en aucune façon les faits matériels de la possession et de la jouissance hostile intermédiaire, ni les conséquences légales qui en découlent. Tout ce qui est cédé à l'ennemi par le traité de paix, tout ce qu'il s'est approprié

1 Schweikart, Napoleon und die Curhessischen Staatsgläubiger. p. 25 suiv Les particularités de la pratique anglaise et américaine sont expliquées par Halleck au chap. XXXII.

2 de Dalwigk, Juristische Aufsätze. Frankfurt 1796. no. II. p. 25.

3 Ouvrages: les commentateurs du titre des Digestes: De captivis et postliminio reversis (49, 15), et du Codex: De postliminio reversis et redemptis (8, 51). d'Ompteda § 328. de Kamptz § 313. Henr. Cocceji, De jure postliminii. 1683, et: De postliminio in pace et amnestia. 1752. (Exercitat. cur. I, no. 46. 78). J. H. Boecler, De pace Argentina. 1713. Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, 16. Grotius III, 9. Vattel III, chap. 14. Pando p. 404 suiv. Comparez aussi sur le jus postliminii romain les publications de Hase, Das jus postlim. und die fictio legis Corneliae. Halle 1851, et de H. Ed. Young, De jure postlim. quod ad res pertinet. Berolini 1854.

valablement d'après les lois de la guerre est et demeure aliéné.1

Le droit de postliminie s'applique aux rapports publics comme aux rapports privés. Il repose sur le principe qu'il y a des droits légitimes qui ne peuvent se perdre par le seul fait de la guerre. Il produira ses effets même après la paix, à moins qu'il n'ait été convenu autrement par une clause expresse ou implicite.2 Enfin ce droit n'a pas besoin de la sanction des lois intérieures: il existe par lui-même, mais les lois peuvent en modifier ou en restreindre les effets.

Le droit des gens de l'ancien monde, nommément celui des Romains, n'accordait au postliminie les effets sus-dits qu'exceptionnellement et par une sorte de fiction légale, parceque l'occupation hostile valait le titre de propriété, auquel devait être dérogé par un nouveau titre, soit par la reprise de la possession antérieure, soit par voie de restitution légale. A la vérité les dispositions des lois romaines se rapprochent en grande partie des principes modernes; mais il y en a d'autres qui se rattachent uniquement aux particularités des coutumes anciennes et au droit de la cité romaine. Aussi est il reconnu depuis longtemps que les règles du droit romain concernant le postliminie ne sont plus d'une autorité positive pour les États et 'les souverains d'aujourdhui, pas même dans les pays où les Codes de Justinien ont encore force de droit écrit.3

Droit de postliminie au profit des nations et de leurs souverains.4

§ 188. Si le souverain reprend, soit pendant la guerre, soit lors de la conclusion de la paix, le territoire qui avait été

1 Ziegler, De juribus majestatis. I, 33, § 83.

2 Les anciens publicistes, égarés par les dispositions obscures du droit romain, n'admettent cette règle qu'avec de nombreuses modifications. Vattel est tombé en contradiction avec lui-même, ainsi qu'il résulte d'une comparaison du § 214 avec le § 216 de son traité.

3 V. déjà Grotius à l'endroit cité § 15 et 19.

4 Franc. Hotomannus, An civitas bello capta, si in libertatem vindicetur, jure quoque suo pristina omnia recuperet? (Quaest. illustr. no. 5.)

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