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appelle les miasmes humains, par l'acide carbonique, par les ptomaïnes respiratoires, etc.; le publiciste, célébrant avec une sorte d'enthousiasme poétique les bienfaits de l'air des champs, de l'air chargé de cet ozone, de cet oxygène électrisé, condensé, qui est le réparateur (il serait plus exact de dire le purificateur) par excellence; de l'air embaumé par ces principes odorants dont l'action thérapeutique, notamment sur le système nerveux, est si considérable; de l'air balayé par ces vents dont l'action tonique, contondante, est analogue à celle de la vague! En vain augmentera-t-on la durée des loisirs des enfants. Si on les retient dans leurs cours étroites, humides ou dans « ces préaux poudreux où leurs pieds frappent le sol aride avec une inexorable monotonie », on ne fera rien de bon. Il faut absolument, chaque jour, les emmener à l'air libre; l'air pur, « sur les vertes pelouses entourées de haies vives, parsemées d'arbres, illuminées de soleil ».

Cette «< ozonisation de la jeunesse » est essentielle, elle doit tout primer. Il y faut pourvoir coûte que coûte. Il faut créer à la campagne des champs de jeux. Et l'auteur en donne les plans, très ingénieux, et les devis, très raisonnables, Il faut relier ces champs scolaires aux villes par des tramways Decauville. Et il indique le coût de premier établissement, les frais d'entretien et d'exploitation. - Quel dommage que ce soit un peu cher! Mais, enfin, peut-être pourrait-on faire cette économie en plaçant le champ de jeux sur une ligne de fer existant déjà? Peut-être le champ de jeux lui-même ne serait-il pas indispensable? A la rigueur, pour « ozoniser » nos enfants, l'ozone (ou plutôt l'air pur), qui ne coûte rien, ne suffirait-il pas ? - C'est possible; mais ce n'est pas certain; car, pour agir, il faut souvent des prétextes d'agir. Les bonnes raisons ne suffisent pas. Que de gens n'iraient jamais à la campagne s'ils n'y possédaient pas une petite maison!

IV. Après cette excellente apologie du grand air, l'auteur passe à la théorie des jeux actifs proprement dits. Cette partie est une sorte de philosophie des jeux scolaires, et tout l'ouvrage s'y rapporte comme à

un centre.

En fait de jeux actifs, dit l'auteur, on n'a rien inventé depuis l'antiquité, et on n'avait rien à inventer. Il a parfaitement raison. Sur ce point, comme sur bien d'autres, les Grecs avaient déjà tout dit. Quoi de plus profond, en effet, et de plus exact que la théorie de la gymnastique telle que Platon l'a souvent exposée, et notamment au 7e livre des Lois? Le but est de réaliser le type idéal de la forme humaine. Or, cet idéal a un double aspect la force et la beauté. Ni la beauté ne suffit sans la force, ni la force sans la beauté. Ce ne sera donc pas assez de viser à la puissance des muscles; il faudra obtenir aussi la gràce des mouvements. De là deux sortes d'exercices : les uns tendront vers la force, procéderont de la lutte et prépareront l'homme aux travaux de la guerre; leur ensemble constituera la «< palestrique ». Les autres tendront vers l'élégance, procéderont du mouvement rythmé, de la danse, et prépareront l'homme aux joies de la paix; leur ensemble constituera l'«< orchestique ».

L'auteur reprend à son compte toute cette théorie. Il l'expose avec netteté, avec complaisance, sans oublier surtout cette terminologie grecque qui a pour lui tant d'attraits. Mais puisqu'il voulait faire de cette division platonicienne le pivot de son système, nous regretterons

qu'il ne l'ait pas approfondi davantage. Il nous aurait charmés si, à sa facon originale, il avait recherché la racine psychologique de ces systèmes d'exercices, et l'avait trouvée dans deux instincts de notre nature, également puissants, également irréductibles. D'une part, l'instinct de résistance, destiné à protéger par la lutte l'intégrité de l'être: d'autre part, l'instinct de sympathie, destiné à accroître par la séduction la puissance de l'être. De là une double série d'exercices et de jeux : exercices et jeux de combat et de discorde; exercices et jeux de paix et d'harmonie. C'est sur cette division fondamentale qu'il fallait étayer la classification des jeux. Malheureusement, l'auteur n'a pas été fidèle à son propre principe. Des deux ordres de jeux, il n'en a retenu qu'un seul. Soit dédain, soit inadvertance, il a rejeté « l'orchestique », les jeux <«< civils », et n'a songé qu'à « la palestrique », aux jeux «< militaires ». Sa classification repose exclusivement sur l'idée de lutte.

D'après lui, il y aurait quatre catégories de jeux actifs :

1o La Gymnique, ou lutte contre la mollesse, contre soi-même;

2o La Machetique, ou lutte contre les autres hommes;

3o La Proégétique, ou lutte contre les terrains (catégorie trop étroite, il fallait dire lutte contre les éléments: la terre, l'eau, l'air et le feu); 4o La Cynégétique, lutte contre les animaux.

Les mots grecs ne répondent pas toujours très exactement aux définitions, mais enfin cette division est très originale, très ingénieuse; malheureusement elle est incomplète. Il n'est pas possible de classer tous les jeux actifs dans ces quatre cadres. Il fallait absolument ajouter la série d'exercices reposant sur l'accord et sur l'harmonie. Or, comme ces jeux sont importants et ne peuvent être passés sous silence, l'auteur en fera entrer quelques-uns de vive force dans ces catégories. Ils y usurperont une place qui ne leur convient pas ; ils feront négliger ceux dont on aurait dû parler, et nous allons voir que toute l'exposition en sera quelque peu troublée.

1o La Gymnique est, par définition, la lutte contre soi-même, l'effort contre les organes faibles ou rebelles. Ici devraient donc figurer presque exclusivement tous les mouvements méthodiques qui se rapportent à la gymnastique athlétique et même à la gymnastique orthopédique.

Le mot de jeu, appliqué à ces exercices difficiles, semble sans doute à l'auteur un peu forcé ; il en paraît embarrassé; il explique qu'ils ne deviennent des jeux qu'à la condition expresse d'être pratiqués librement; et il passe trop rapidement sur cette partie si importante de l'éducation physique. Il fallait insister, montrer qu'il y avait là aussi des jeux, mais des jeux d'un ordre spécial, jeux athlétiques, jeux savants, qui ne convenaient ni à tous les tempéraments ni à tous les âges, mais qui pouvaient avoir un attrait puissant et une utilité incontestable. Par contre, c'est avec étonnement que nous voyons intervenir ici, et la boxe, et la savate, et la lutte, et surtout la danse. Quels rapports ces jeux et ces exercices ont-ils avec « la lutte contre soimême »? Ajoutons vite que l'auteur parle avec un charme infini de la danse antique et moderne. Et nous ne pouvons nous empêcher de regretter qu'en placant ce développement dans un chapitre qui ne le comportait pas, il ait été forcé de nous l'écourter quelque peu.

2o La Machétique doit comprendre tous les jeux qui se rapportent au combat de l'homme contre l'homme. On s'attend donc naturellement à voir

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paraître ici la lutte corps à corps, la boxe et les jeux qui en dérivent, comme la savate, la barette ou foot-ball, et toutes les escrimes, fleuret, sabre, canne, et bâton, etc. Point du tout; c'est à un autre chapitre que l'auteur s'en occupe, et c'est pour les proscrire, ou peu s'en faut. Les escrimes, selon lui, ne seraient pas à encourager dans les écoles, comme exercices aristocratiques, coûteux et restreints à un trop petit nombre; les luttes, comme jeux de rustres, exercices « brutaux », pas assez «< distingués »>. - Nous ne pouvons souscrire à des arrêts. Nous estimons au contraire que toutes les escrimes, tous ces jeux si profitables pour l'éducation du caractère et de la volonté et pour le développement de la force et du courage, peuvent et doivent être étendus à tous les élèves, dans nos écoles, comme ils sont imposés à tous les soldats dans nos régiments. L'enseignement mutuel en peut rendre la pratique très aisée et peu coûteuse. Quant aux luttes, aux jeux violents, si propres à créer l'endurance et le sang-froid, la brutalité qu'on leur reproche n'est pas en eux, mais dans ceux qui les pratiquent. Qu'y a-t-il donc de si distingué à avoir peur d'un coup de poing et, au besoin, à n'ètre capable ni de le recevoir ni de le rendre? D'ailleurs, dans toutes les batailles il y a place pour la courtoisie; c'est affaire de règle et d'organisation.

Ayant donc en quelque sorte éliminé ces exercices, qui se rapportaient si directement au sujet de ce chapitre, l'auteur, avec une dextérité ingénieuse, les remplace par ce qu'il appelle jeux balistiques et jeux tactiques. Mais ici l'analogie avec la guerre n'existe que dans les mots. La « balistique », c'est l'art de lancer le ballon, le disque, le palet, la paume. La « tactique », c'est l'art de se mouvoir en formant des figures, des évolutions, etc. En quoi donc tous ces jeux simulent-ils la lutte de l'homme contre l'homme? Ce sont des exercices d'adresse, de grâce, d'agilité; des jeux d'élégance et non des jeux de force.

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Cette réserve faite, reconnaissons encore tout le charme et tout le sens pratique de ce développement sur ces jeux balistiques et tactiques la balle; la paume amplifiée; la sphéromachie ou lutte du ballon à la main; la transformation de la balle au mur en tir à la balle sur des buts fixes ou mobiles; les courses à pied courses de têtes et courses à la bague; les carrousels à pied avec combinaisons de quadrilles... Tout cela est parfaitement intéressant, pratique, applicable partout, sans aucun frais. Lisez surtout tout le passage relatif à l'organisation de la petite guerre vous sentirez tout de suite que, pour parler ainsi de la petite guerre, il faut avoir fait la grande et la

connaître à fond.

3o La Proégétique, dit l'auteur, renferme tous les jeux ou exercices dont la marche ou la course constituent la base. Définition trop étroite, semble-t-il. Ne vaudrait-il pas mieux dire, reprenant une définition antérieure: Ce sont les jeux par lesquels l'homme lutte contre la «< nature »? Ce chapitre traite, excellemment du reste, des marches, des promenades et de leurs diverses variétés promenades topographiques, promenades télégraphiques (l'auteur aurait pu ajouter les promenades géologiques, botaniques, etc.); marches d'entraînement; excursions; ascensions; courses plates; courses d'obstacles; sauts. Il décrit avec esprit les jeux qui dérivent de la course, l'ostracinde « ou

jeu de la coquille (toujours renouvelé des Grecs) et surtout les barres, jeu qui est «< plus que tout autre l'image de la guerre et que des importations étrangères menacent d'un oubli immérité ».

Après les jeux dans lesquels l'homme lutte contre le terrain et ses obstacles, ne serait-ce pas ici le lieu de parler du combat contre l'eau et les vents, de la natation, du canotage, etc.? L'auteur s'en est occupé ailleurs, mais un peu superficiellement. Nous aurions aimé à lui voir ici se développer largement ses vues et donner carrière à son talent sur ces excellents exercices, si dignes d'être encouragés à tous égards. 4o La Cynegétique forme la quatrième et dernière série des jeux scolaires. Nous trouvons encore ici, comme disent les philosophes, que le mot n'est pas adéquat à l'idée. Il ne s'applique qu'aux exercices de chasse, et c'est là un simple détail de l'idée générale qui devrait inspirer tout ce chapitre la lutte de l'homme contre la bête. L'équitation et les exercices gymnastiques qui en dérivent; les exercices de tir, au fusil, à l'arc; tout cela, traité à cette place, aurait donné du corps à ce chapitre. Au lieu de cela, l'auteur, toujours avec beaucoup d'agrément, parle de la simulation de la chasse par des piétons chasse à courre, chasse à vue, rallie-papier, chasse au cerf, etc. En somme, ces jeux n'ont de la chasse que le nom ce sont des ombres de chasseurs poursuivant des ombres de lièvres. Au fond, il s'agit encore de simples courses à pied qui devraient figurer dans la catégorie précédente...

V. La cinquième et dernière partie du mémoire est consacrée aux moyens les plus propres à faire connaître les jeux, à en inspirer le goût, et à les faire entreprendre et durer.

C'est à un autre endroit du mémoire qu'il faut aller chercher encore la philosophie de ce dernier développement. Elle se trouve au chapitre VIII intitulé: Ressources passionnelles. Chapitre curieux qui ne s'inspire plus de Platon, mais de Fourier, et non pas tant de ses idées que de ses formes de langage.

Les sentiments qu'il faut éveiller chez les enfants appartiennent à deux « séries passionnelles » : celle de la « pugnacité », qui est le goût de la lutte, et celle de l'amour-propre, qui est l'amour de la récompense et de la louange. Ces passions sont fécondes, dit l'auteur; et il a raison. Pour les susciter, il faut demander le concours de la presse, des journaux et des livres. Il faut créer des épreuves <«<< ludiques »>, trimestrielles et annuelles; inventer des distinctions, des ornements, des titres, pour les individus, et des distinctions collectives pour les écoles. Il faut créer dans les établissements des salles d'honneur où les exploits des lauréats seront inscrits sur les murs. Il faut instituer des joutes et des concours publics, au canton, au département, à la région; et cela à l'occasion des fêtes locales ou nationales. On pourrait même, dans les fêtes, honorer les lauréats par une sorte de triomphe analogue à l'ovation qui est faite aux vainqueurs du tir dans les régiments d'artillerie. « Quelques vertes guirlandes, des fleurs, des drapeaux, un peu de musique. Il n'en faut pas davantage pour organiser partout, à peu de frais, de jolies fêtes et des fêtes utiles, où la jeunesse développerait ses facultés physiques, son instruction, ses sentiments patriotiques. Tout le monde y gagnerait. »

Tous ces conseils sont justes, pratiques, et émanent d'un mora

liste qui connaît bien le cœur de l'homme et celui de l'enfant; ce qui est la même chose, ou peu s'en faut.

On a vraiment quelque honte, Messieurs, de donner une réduction si décolorée d'une œuvre qui a tant de caractère et d'accent. On voudrait pouvoir s'arrêter à chaque page, citer les mots heureux, les expressions pittoresques qui abondent. Mais il faut bien finir. En somme, deux impressions jaillissent de cette lecture: la première, · c'est qu'on a affaire à un esprit vraiment original. Original par l'alliance étrange d'une imagination vive, poétique, délicate, avec un jugement tout viril et militaire; original par la recherche constante des principes moraux et philosophiques, jointe à la préoccupation des «< voies et moyens » et du «< dispositif »; original par le style très particulier, plein de néologismes ingénieux, amusants; de tournures libres, parfois aisées jusqu'à l'incorrection, et qui ne sentent jamais l'écrivain de profession. La seconde impression, c'est que l'inspiration maîtresse de ce livre est un patriotisme ardent, quoique très contenu et très discret dans son expression. On pourrait appliquer au patriotisme ce qu'on a dit des grandes douleurs : il est muet. Celui de l'auteur ne se répand pas en protestations, mais on le sent, on le devine partout; il vous échauffe, vous pénètre et vous gagne. Et c'est peut-être ce qu'il y a de meilleur dans ce travail.

Il est un foyer d'idées généreuses, très propres à allumer dans les cœurs un goût passionné pour les exercices et les jeux. Par contre, nous l'avons dit, l'œuvre du docteur Lagrange est une source abondante d'idées et de renseignements indispensables pour éclairer le zèle des néophytes et bien diriger leurs efforts. Lequel des deux aura le mieux servi la cause de l'éducation physique? La Commission ne s'est pas prononcée; ou plutôt, elle a décidé que les deux candidats, à des titres divers, avaient également mérité le premier prix; et ne pouvant le doubler, elle l'a partagé. Cela fait, on a brisé le cachet qui avait provisoirement protégé l'anonymat de l'auteur du mémoire ; on a révélé le nom du général Lewal, et personne ne s'est plus étonné de tous les mérites de l'Agonistique (1).

PROJET DE LOI SUR LA CONSTITUTION D'UNIVERSITÉS

Nous avons publié dans notre dernier numéro le projet de loi sur la constitution d'Universités présenté au Sénat dans la séance du 22 juillet 1890 au nom du gouvernement de la République; on croit devoir

(1) Le Rapport ajoute qu'il s'est révélé en outre, parmi les nombreux candidats, des mérites qui, sans avoir le même éclat, ont paru cependant dignes du plus grand intérêt. C'est pourquoi la Commission a décidé de distraire du prix une somme de 2000 francs et de la répartir entre cinq personnes, sous la forme de cinq seconds prix de 400 francs. Les titulaires de ces récompenses sont: 1o M. le colonel Docx, de Bruxelles, inspecteur de la gymnastique dans les écoles de l'État belge: 2o M. Désiré Séhé, professeur de gymnastique à Paris; 30 M. Mathieu, directeur de l'école normale de Châlons; 4° M. Thiéry, principal du collège de Remiremont; 50 M. Michel, instituteur public dans le département du Finistère.

REVUE DE L'ENseignement.

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