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étoient si fort éclairés, que ces lumières faisoient naître un nouveau jour dans l'obscurité de la nuit.

Leurs majestés étant arrivées, n'eurent pas plus tôt pris leurs places, que l'une des deux îles qui paroissoient aux côtés de la première, fut toute couverte de violons fort bien vêtus. L'autre, qui étoit opposée, le fut en même temps de trompettes et de timbaliers, dont les habits n'étoient pas moins riches.

Mais ce qui surprit davantage, fut de voir sortir Alcine de derrière un rocher, portée par un monstre marin d'une grandeur prodigieuse.

Deux des nymphes de sa suite, sous les noms de Célie et de Dircé, parurent au même temps à sa suite; et se mettant à ses côtés sur de grandes baleines, elles s'approchèrent du bord du rond d'eau; et Alcine commença des vers auxquels ses compagnes répondirent, et qui furent à la louange de la reine, mère du roi.

ALCINE, CÉLIE, DIRCÉ.

ALCINE.

Vous, à qui je fis part de ma félicité,
Pleurez avecque moi dans cette extrémité.

CÉLIE.

Quel est donc le sujet des soudaines alarmes

Qui de vos yeux charmants font couler tant de larmes ?

ALCINE.

Si je pense en parler, ce n'est qu'en frémissant.
Dans les sombres horreurs d'un songe menaçant,
Un spectre m'avertit, d'une voix éperdue,
Que pour moi des enfers la force est suspendue,

Qu'un céleste pouvoir arrête leur secours,

Et que ce jour sera le dernier de mes jours.

Ce que versa de triste, au point de ma naissance, Des astres ennemis la maligne influence,

Et tout ce que mon art m'a prédit de malheurs,
En ce songe fut peint de si vives couleurs,
Qu'à mes yeux éveillés sans cesse il représente
Le pouvoir de Mélisse et l'heur de Bradamante.
J'avais prévu ces maux; mais les charmants plaisirs
Qui sembloient en ces lieux prévenir nos desirs,
Nos superbes palais, nos jardins, nos campagnes,
L'agréable entretien de nos chères compagnes;
Nos jeux et nos chansons, les concerts des oiseaux,
Le parfum des zéphyrs, le murmure des eaux,
De nos tendres amours les douces aventures,
M'avoient fait oublier ces funestes augures,
Quand le songe cruel dont je me sens troubler
Avec tant de fureur les vint renouveler.

Chaque instant, je crois voir mes forces terrassées,
Mes gardes égorgés, et mes prisons forcées;

Je crois voir mille amants, par mon art transformés,
D'une égale fureur à ma perte animés,

Quitter en même temps leurs troncs et leurs feuillages,
Dans le juste dessein de venger leurs outrages;
Et je crois voir enfin mon aimable Roger

De ses fers méprisés prêt à se dégager.

CÉLIE.

La crainte en votre esprit s'est acquis trop d'empire. Vous régnez seule ici, pour vous seule on soupire; Rien n'interrompt le cours de vos contentements

Que les accents plaintifs de vos tristes amants: chassés de nos campagnes,

Logistille et ses gens,

Tremblent encor de peur, cachés dans leurs montagnes;
Et le nom de Mélisse, en ces lieux inconnu,
Par vos augures seuls jusqu'à nous est venu.
DIRCÉ.

Ah! ne nous flattons point: ce fantôme effroyable
M'a tenu cette nuit un discours tout semblable.

ALCINE.

Hélas! de nos malheurs qui peut encor douter!
CÉLIE.

J'y vois un grand remède, et facile à tenter:
Une reine paroît, dont le secours propice
Nous saura garantir des efforts de Mélisse.
Partout de cette reine on vante la bonté;
Et l'on dit que son cœur, de qui la fermeté
Des flots les plus mutins méprisa l'insolence,
Contre le vœu des siens est toujours sans défense.

ALCINE.

Il est vrai, je la vois. En ce pressant danger,
A nous donner secours tâchons de l'engager.
Disons-lui qu'en tous lieux la voix publique étale
Les charmantes beautés de son ame royale;
Disons que sa vertu, plus haute que son rang,
Sait relever l'éclat de son auguste sang,

Et

que
de notre sexe elle a porté la gloire
Si loin, que l'avenir aura peine à le croire,

Que du bonheur public son grand cœur amoureux
Fit toujours des périls un mépris généreux;

Que de ses propres maux son ame à peine atteinte,

Pour les maux de l'État garda toute sa crainte.
Disons que ses bienfaits, versés à pleines mains,
Lui gagnent le respect et l'amour des humains,
Et qu'aux moindres dangers dont elle est menacée,
Toute la terre en deuil se montre intéressée.
Disons qu'au plus haut point de l'absolu pouvoir,
Sans faste, sans orgueil sa grandeur s'est fait voir;
Qu'aux temps les plus fâcheux sa sagesse constante
Sans crainte a soutenu l'autorité penchante,
Et, dans le calme heureux par ses travaux acquis,
Sans regret la remit dans les mains de son fils.
Disons par quels respects, par quelle complaisance,
De ce fils glorieux l'amour la récompense.
Vantous les longs travaux, vantons les justes lois
De ce fils reconnu pour le plus grand des rois,
Et comment cette mère, heureusement féconde,
Ne donnant que deux fils, a donné tant au monde.
Enfin faisons parler nos soupirs et nos pleurs,
Pour la rendre sensible à nos vives douleurs;
Et nous pourrons trouver au fort de notre peine
Un refuge paisible aux pieds de cette reine.

DIRCÉ.

Je sais bien que son cœur, noblement généreux,
Écoute avec plaisir la voix des malheureux,
Mais on ne voit jamais éclater sa puissance
Qu'à repousser le tort qu'on fait à l'innocence.
Je sais qu'elle peut tout; mais je n'ose penser
Que jusqu'à nous défendre on la vit s'abaisser.
De nos douces erreurs elle peut être instruite,
Et rien n'est plus contraire à sa rare conduite.

Son zèle si connu pour le culte des dieux
Doit rendre à sa vertu nos respects odieux;
Et, loin qu'à son abord mon effroi diminue,
Malgré moi je le sens qui redouble à sa vue.

ALCINE.

Ah! ma propre frayeur suffit pour m'affliger :
Loin d'aigrir mon ennui, cherche à le soulager,
Et tache de fournir à mon ame oppressée
De quoi parer aux maux dont elle est menacée.
Redoublons cependant les gardes du palais:
Et s'il n'est point pour nous d'asile désormais,
Dans notre désespoir cherchons notre défense,
Et ne nous rendons pas au moins sans résistance.

Alcine, mademoiselle du Parc.
Célie, mademoiselle de Brie.

Dircé, mademoiselle Molière.

Lorsqu'elles eurent achevé, et qu'Alcine se fut retirée pour aller redoubler les gardes du palais, le concert des violons se fit entendre, pendant que, le frontispice du palais venant à s'ouvrir avec un merveilleux artifice, et des tours venant à s'élever à vue d'œil, quatre géants d'une grandeur démesurée vinrent à paroître avec quatre nains, qui, par l'opposition de leur petite taille, faisoient paroître celle des géants encore plus excessive. Ces colosses étoient commis à la garde du palais, et ce fut par enx que commença la première entrée du ballet.

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