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Le malheur jufques là peut-il humilier?

Je venois.. quel aveu ! je venois vous prier
De foutenir mes pas au bout de ma carriere..
De me placer enfin, pour traîner ma mifere,
Au rang.. avec des fanglots, de domeftique.

MÉLANIE avec des larmes.

Arrêtez.. vous, fervir! Non, Madame.. à vos maux tout fçaura compatir; C'est vous, qu'on fervira. Je donnerois ma vie, Pour dérober vos jours à cette ignominie. L'amitié.. la tendreffe.. on effuyera vos pleurs. Qui ne s'attendriroit, hélas! fur vos malheurs ?

LA COMTESSE D'ORCÉ en l'embraane.

'Ah ! je vous dois déjà de la reconnaissance : Mais, mon honneur s'oppofe à votre bienfaifance; Je fçaurai m'abaiffer, fervir enfin.. mourir,

Sans que mon infortune ait jamais à rougir.

Les dons, de quelque main qu'ils foient offerts, Madame, Offenfent la nobleffe & la fierté de l'ame.

J'expire.. & ce qui rend le trait plus afsaffin, Madame.. avec des pleurs. c'eft un fils.. qui me perce le fein. MÉLANIE avec un cri.

Un fils! le monftre affreux! & quelle ame affez dure Peut trahir à ce point le fang & la nature ?

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LA COMTESSE D'ORCÉ.
Oui.. c'eft un fils, un fils par ce fein allaité,
Madame; il fut à peine en mes bras apporté,
Qu'il réunit mes foins, mes craintes, mes caresses,
Le tendre amour de mere, & toutes fes faibleffes;
Je lui facrifiai les plaifirs & les rangs,

Mon pere, mon mari, tous mes autres enfants;
Pour un feul de fes jours je me fuffe immolée,
Et mourant à fes yeux, j'euffe été confolée ;
Je ne voyois, n'aimois, n'adorois que ce fils..
Ses freres, au tombeau, de mon époux fuivis,
Lui laifferent des droits qu'appuya ma tendresse :
De fon feul intérêt je m'occupois fans ceffe;
Que dis-je ? avec ces droits je cédai tous les miens,
Et maître de mon cœur, il le fut de mes biens.
Mes moindres revenus, tout devint fon partage,
Tout; je ne demandois que l'unique avantage

De vivre près de lui, près de lui de mourir,

Et que ce fils fi cher eut mon dernier foupir.
Les penchants trop marqués d'une ame corrompue
Sous des traits embellis fe montroient à ma vue;
Envain tout m'éclairoit : j'aimois à m'abuser;
Tant l'amour maternel fçait nous en impofer!

Je

Je n'appercevois pas dans ma folle tendreffe,
Que ce fils égaroit fa coupable jeunesse,
Qu'aux plus honteux excès de la perverfité
Il joignoit l'avarice & l'inhumanité..
Qu'il étoit un ingrat. Enfin il fe marie :
Une femme fouvent, dans une ame endurcie,
Porte cette douceur, cet attendrissement,
Principe des vertus, fource du fentiment :
Son époufe, au contraire encor plus inhumaine,
Échauffa contre moi les poifons de fa haine;
Ce fils, fur qui j'avois épuifé mes bontés,
M'accabla de mépris, d'horribles duretés,
Unit l'infulte amere au plus cruel outrage,
Des pleurs qu'il fit couler, détourna fon visage..

En pleurant.

Il me chaffe, quel mot ! de ce même château,
Séjour de mes ayeux, notre commun berceau :

Il me chaffe. Si quelques perfonnes, qui fans doute auroient peu vécu, pouvoient penfer affez bien de la nature humaine, pour foupçonner d'invraisemblance ce caractère odieux, on leur répondroit par un trait emprunté non d'un roman, mais des petites affiches de Paris, du 2 Février de la présente année 1767. » La » nommée Anne de Laloy femme de Jean d'Uron, eft morte le » 14 Janvier au village de Vaux-fur-Seine, près Melun, âgée

J'embraffe fes genoux ; éplorée & mourante, Je m'écrie: O mon fils! une mere expirante, » Une mere à vos pieds n'implore qu'un bienfait, Seul prix de cet amour, qui pour vous a tout fait » Le trépas va bientôt terminer mes miferes:

Que je meure du moins dans le lit de mes peres! Il ne m'écoute pas : « Vous, qu'a nourri mon sein, > Vous voulez donc, mon fils.. que j'expire de faim! Je vous ai donné tout ; en proye à l'amertume,

20

Je n'ai gardé.. qu'un cœur que le chagrin confume. - Vous aurez des enfants; je devrois fouhaiter..

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Ah! puiffent-ils, cruel, ne vous pas imiter!

Sa femme, en ce moment, plus barbare peut-être,
Me force de quitter les lieux qui m'ont vu naître,
Où s'attachoient encor mes regards expirants..
Ciel ! & j'ai pu furvivre à ces coups accablants!
Que vous dirai-je, enfin ? tout s'éclipse à ma vue;
Je cours chez une amie, & je fuis méconnue ;

» de 99 ans 3 mois & 2 jours; elle n'a ceffé de travailler à la » culture des terres qu'environ trois mois avant fon décès, & elle a fini fes jours dans une étable à vaches où on lui permettoit par charité de fe retirer. Elle a eu 3 enfants ou petits enfants, & elle en laisse 53 vivants ». Les peres & meres ont-ils jamais offert des exemples d'une pareille inhumanité ?

Traînant envain partout les horreurs de mon fort,
J'arrive en ce féjour.. pour y trouver la mort!
MÉLANIE.

Non, vous ne mourrez point ; vous aurez deux amies, Que pour vous confoler le ciel a réunies ;

Lá Comtefe pleure avec plus d'amertume.

Vous gémiffez! vos pleurs, en repouffant ma main Avec plus d'amertume inondent votre fein!

LA COMTESSE D'ORCÉ.

Ah! Madame, la fource en doit être éternelle.
Vous connaiffez mes maux & ma douleur mortelle t
Apprenez donc mon crime, & jugez fi je puis
Mettre fin à mes pleurs, à mes cruels ennuis;
Ce fils.. ce même enfant, qui m'arrache la vie..
Eut une fœur..

MÉLANIE avec un nouvel intérêt,

Parlez...

LA COMTESSE D'ORCÉ.

Elle étoit embellie

De tous ces agréments, dont l'affemblage heureux Touche encor plus le cœur, qu'il ne féduit les yeux ; Pour me plaire,grand Dieu, tes mains l'avoient formée; Je lui fermois mon fein, & j'en étois aimée ;

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