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J'y rentre, pour jamais n'être au monde rendue,
Pour nourrir les douleurs d'une amante éperdue,
Pour expirer en proye à de fombres fureurs.
On m'avoit dit, hélas ! que l'objet de mes pleurs,
Que tout ce que j'aimois n'étoit plus .. il refpire,
Voit ce jour, qui bientôt va cesser de me luire,
Mon pere, & je devrois.. je devrois moins fouffrir..
Mes tourments.. c'en eft fait.. je ne puis.. que mourir.
Non, je ne puis me vaincre, effacer de mon ame
Cette image gravée avec des traits de flamme;
Non, je ne puis haïr, détefter mes forfaits;

Omon pere.. en pleurant. je l'aime encor plus que jamais.
Euphémie a la tête baiffée fur fes deux mains jointes.
THEOTIME.

Que je reffens vos maux, ô chere infortunée !
Ahl je dois compatir à votre deftinée;

Si vous fçaviez.. moi-même ainfi que vous troublé..
Dans mon cœur..dans mon cœur vos larmes ont coulé.
Oui, je pleure avec vous; j'appris trop à vous plaindre.
Trifte reffouvenir, c'eft à moi de vous craindre !
Je m'égare, ma fœur.. il nous faut furmonter
Cette compaffion, qui pourroit vous flatter ;
La voix de mon devoir à regret vous découvre
Le précipice affreux, qui fous vos pas s'entr'ouvre;

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Rejettez cet amour, fource de tant d'erreurs,
Dont les plus doux transports font même des fureurs;
Il eft crime fouvent, prefque toujours faiblesse :
Il eft pour vous l'excès d'une coupable ivresse.
Ma fœur, je vous l'ai dit : Dieu feul doit entraîner
Nos penchants, nos efprits, lui feul nous dominer,
Nous détromper enfin des menfonges du monde ;
Sur Dieu feul, le bonheur, le pur amour se fonde,
Et vous, vous fon épouse, au pied de ces autels,
Vous traînez le parjure & des liens mortels!

Il lui montre l'autel.

Ce tabernacle faint, où Dieu même repose,
Ce voile, ce bandeau, tout contre vous dépofe;
Ces murs, ces murs témoins du trouble où je vous vois,
Tout, pour vous accufer, femble élever la voix ;
Tout va porter aux cieux, vos larmes, votre honte;
Ce Dieu, ce Dieu jaloux, il vous demande compte:
Il lève fa balance, y pèse fes bontés,

Vos chûtes vos refus, vos infidélités;

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Que lui répondrez-vous?

EUPHEMIE troublée.

Arrêtez, ô mon pere;

Pour appaiser le ciel, dites, que faut-il faire ?

Je me foumets à tout.

L'oublier!

THÉOTIME avec attendriffement:

Oublier cet objet..

EUPHEMIE.

THEOTIME.

Effacer jufques au moindre trait

D'une image trop chere à votre ame attendrie,
Éloigner, en un mot, à Dieu feul afservie,
Tout ce qui peut flatter un penchant dangereux,
Et trahir vos efforts dans ce combat douteux.

EUPHEM I E.

Quoi! du monde & des fens pour jamais féparée;
Sur les bords du tombeau, de mes pleurs enivrée,
Je ne pourrois garder, fans offenfer les cieux,
De faibles monuments d'un amour malheureux!.

THÉOTIME d'un ton touchant

Le moindre fouvenir eft un crime, fans doute.

EUPHEMIE avec nobleffe & chaleur.

Je ne veux point tromper ce Dieu qui nous écoute. Eh bien ! cruel.. Mon pere, arrachez-moi le cœur.

Elle met la main dans son sein.

Voici ces monuments.. de la plus vive ardeur,

Des lettres chaque jour de mes pleurs arrofées,

Dans mon fein.. dans mon ame en fecret déposées;

Elle tire de fon fein un paquet de lettres qu'elle tient à la main. D'un trop fatal amour cher & feul aliment..

Il faut donc tout m'ôter, tout, combler mon tourment.

Donnant les lettres.

Les voici c'eft envain que je les facrifie :

:

Ecrites dans mon cœur.. ah! j'en perdrai la vie.
N'importe. Mon trépas, ciel, va te défarmer!
Lifez, voyez, jugez fi je devois aimer..

Pendant ces derniers vers, Théotime jette la vue fur les lettres & tombe fans connaifance.

Vous ne répondez point.. parlez.. mon ame émue..

Mon pere..

Elle lève fon voile.

Dieu ! la mort fur fon front répandue.

Dieu, le puniriez-vous de fentir mes malheurs?

Elle court à lui.

Secourons-le.. Dans ce moment, Théotime a la tête entierement hor's

de fon habillement.

Sinval! je ne puis.. je me meurs.

Elle va tomber à son tour évanouie fur fa chaife.

THEOTIME revenant à lui par degrés;

ouvre enfin les yeux, les tourne fur Euphémie, & court se jetter avec précipitation à ses pieds, en lui prenant la main qu'il arrose de ses larmes. Conftance m'eft rendue ! ô ma chere Conftance! Jefuis à tes genoux ! avec fureur. Que le ciel s'en offenfe:

Tous mes ferments, mes vœux, mes liens font rompus. O ma religion.. je ne la connais plus..

EUPHÉMIE reprenant fes fens.

Sinval! c'eft vous, Sinval !. elle retombe dans fon accablement. THE OTIME toujours à fes genoux.

Oui, c'est moi qui t'adore,

Que l'amour, la douleur, depuis dix ans dévore ;
C'eft moi, qui n'ai ceffé d'aimer, de te pleurer;
C'eft moi..qui veux dumoins à tes pieds expirer.
EUPHEMIE.

En jettant les yeux de tous côtés.

Ah! Sinval!. dans quels lieux le deftin nous rassemble!
Ne pouvant être à nous..ah!. nous mourrons ensemble.
THÉOTHIME.

Non, tu ne mourras point.. tu vivras.. tu vivras
Pour me voir adorer tes vertus, tes appas..

EUPHEMIE.

Que dis-tu, malheureux? quelle erreur nous égare? Regarde, tremble, & vois tout ce qui nous fépare.

THEOTIME je relevant avec préci

pitation..

Nous ferons réunis.. rapidement. Sans pouvoir t'oublier,

Au ministère faint, j'ai couru me lier.

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