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Dans l'affaire d'Oropos en particulier, la responsabilité du ministre de la guerre, Soutzo, paraissait engagée* (1), et aussi d'après ce qui fut dit plus tard, celle de Coumoundouros et celle de Spiro-Milio*, tous des hommes de la Russie.

En prévision d'une enquête possible, le 24 avril 1870, le lendemain des funérailles, le ministre de la Guerre donna sa démission*. Un peu plus tard, le ministre de Russie, Novikow, était envoyé à Vienne*.

Entre temps, le 12 mai 1870, une convention avait été signée par le ministre de la justice grec Saravas et par Erskine, ministre d'Angleterre. Cet accord était qualifié, dans l'acte même, comme <<< une concession faite de la part du gouvernement hellénique pour constater l'empressement qu'il met à découvrir la vérité tout entière ». Les délégués du gouvernement anglais obtenaient l'autorisation de participer extrajudiciairement à l'instruction de l'affaire. Ils pouvaient interroger les prisonniers et les témoins, prendre connaissance « de tous les documents constituant le dossier du procès ou y ayant rapport », enfin intervenir même comme témoins (2).

En outre, des pièces furent communiquées à Londres par Braïlas Armeni (3). Et même les délégués britanniques purent suivre et surveiller l'instruction judiciaire, ingérence que n'avait pas prévue la convention du 12 mai (4). Clarendon se plut à reconnaître la bonne volonté du gouvernement grec (5).

Mais bientôt des obstacles sérieux entravèrent la marche de l'enquête. Les brigands arrêtés furent tous condamnés à mort dès la première séance; Erskine dut intervenir pour faire ajourner leur exécution*, en vue de prolonger de quelques jours leur interrogatoire. Après leur exécution qui eut lieu le 18 juin*, le représentant du tsar insista pour que l'enquête prît fin* (6). Zaïmis annonça son intention de démissionner et de remanier le cabinet, en y

(1) Cf. WATBLED, op. cit., p. 28-29.

(2) Convention du 12 mai 1870, datée d'Athènes. (3) Rap. grec de Florence, 14 mai 1870.

(4) Gouv. grec à Erskine, Athènes, 31 déc. 1870.

(5) Rap. grec de Londres, 7 juin 1870.

faisant entrer quatre membres de l'opposition, ce qui équivalait à la mise à néant de l'enquête*. A son tour, Valaoritis donna sa démission (1). Le ministère se disloqua. Deligeorges devint président du conseil ; un de ses premiers actes fut de suspendre le contrôle exercé sur l'enquête par les délégués anglais*. Il ne put pas empêcher le contrôle de reprendre, mais la Russie intervint à Rome pour que l'Italie renonçât à suivre l'enquête de son côté (2).

Pendant que la Grèce bataillait avec Erskine qui ne voulait rien voir que son enquête et que les indemnités à obtenir* (3), la question bulgare progressait à Constantinople sous les auspices de la Russie*. La Porte semblait de plus en plus décidée à se passer de l'assentiment du patriarche au firman du 11 mars*. Et de grandes fêtes panslavistes étaient données à Odessa pour le fondement de l'Église bulgare (4). L'hellénisme n'en pouvait mais.

Sur ces entrefaites, une autre occasion se présenta des plus favorables au panslavisme, une occasion que la Russie n'avait pas créée, mais qu'elle n'empêcha pas non plus de se produire, la guerre franco-allemande, événement que nous considérons justement comme marquant en Occident un tournant décisif, mais qui a sa place aussi bien en Orient dans l'avant-guerre du panslavisme (5).

Les circonstances s'étaient succédé de telle sorte sous les auspices de la Russie que la Grèce n'était aucunement préparée à tirer un avantage quelconque du conflit qui se déchaînait, elle qui l'attendait depuis longtemps comme une occasion favorable à son développement territorial.

Depuis la conférence de Paris, la Grèce avait désarmé. Elle

(1) Dans sa lettre de démission, du 10 juil. 1870, Valaoritis fait allusion aux obstacles mis à la marche de l'instruction.

(2) Inst. grecques à Florence, 20 août, et rap. grec de Florence, 3 et 9 sept. 1870. (3) Rap. aut. d'Athènes, 3 sept. 1870.

(4) Rap. grec de Pétersbourg, 30 mai 1870.

(5) Le 19 juil. 1870, Ignatiew écrivait : « La déclaration de guerre de la France à la Prusse a eu en Orient un immense retentissement. » D'après TROUBETZKOï, Les préliminaires de la conférence de Londres, p. 124.

avait rendu meilleures ses relations avec la Porte. Bien des questions les divisaient encore. Mais la question de la nationalité, la plus importante de toutes, était comme en sommeil. Sur la question du brigandage, qui restait à l'ordre du jour*, une question subsidiaire s'était greffée, celle des casernes. Le gouvernement grec avait appris le 13 mai 1870 que la Porte faisait construire des casernes à sa frontière, sur un emplacement dont il lui contestait la possession (1). Mais ce nouveau litige ne semblait pas pouvoir entraîner de complications graves.

La Grèce ne songeait plus à reformer contre la Turquie la coalition des Balkans. Tandis que l'Angleterre essayait de détourner la Serbie d'une agression contre la Porte (2), le gouvernement hellénique donnait comme instruction à Ypsilanti de s'abstenir de toute démarche à Belgrade comme à Bucarest (3). Le même Ypsilanti d'ailleurs cherchait à convaincre l'Autriche de l'utilité qu'il y aurait pour elle à s'assurer éventuellement contre la Russie le concours de la Grèce (4). Quant à la Russie, elle ne semblait vouloir en cas de conflit rien faire espérer aux Hellènes. Le 30 mars 1870, Dragoumis, ministre grec, écrivait de Pétersbourg à son gouvernement : « Je pense que nous avons à nous préparer pour ne pas rester simplement spectateurs, si la guerre éclate en Occident... Mais il nous faut penser que, si la paix est troublée, ni la question crétoise ne sera résolue en notre faveur, ni les chrétiens soumis aux Turcs ne pourront obtenir rien d'avantageux (5). » La guerre éclate le 17 juillet.

A Athènes en particulier, l'impression est considérable. Le parti du mouvement s'agite avec Coumoundouros et Lombardo. Ils font venir Corakas, l'un des principaux chefs de l'insurrection. crétoise*. L'on signale la présence à Corfou des deux fils de Garibaldi* (6), qui songeraient à organiser un coup de main contre l'Épire. Quelques jours plus tard, par mesure de précaution, le

(1) Gouv. grec à Photiadès, Athènes, 3 juin 1870; inst. grec. à Const., 25 oct. 1870. (2) Rap. consul. grec de Belgrade, 26 mai 1870.

(3) Gouv. grec à Ypsilanti, 10 mai 1870.

(1) Rap. grec de Vienne, 18 août 1870.

(5) Rap. grec de Pétersbourg, 30 mars 1870.

gouvernement grec rappelle à leurs corps les hommes en congé*. Deligeorges devenu président du conseil, comme s'il voulait tirer parti de la question des casernes, fait réclamer à Aali une réponse catégorique (1).

Mais voici que Boutakoff, l'agent occulte de la Russie, arrive à Athènes*, où il est bientôt rejoint le 4 août par Sabourow, le nouveau ministre du tsar. La Russie entend que la Grèce reste tranquille (2). La France intervient dans le même sens auprès de la Turquie*, qui va se montrer momentanément conciliante dans l'affaire des casernes (3).

Donc la Grèce restera neutre, ou du moins elle attendra les événements.

Le 2 août 1870, le gouvernement grec remet à Baude sa déclaration de neutralité*. Le 17, le gouvernement britannique pressent le représentant hellénique à Londres sur l'adhésion éventuelle de la Grèce à l'entente des neutres (4). A la suite d'une démarche officielle du Foreign Office, le gouvernement hellénique donne son assentiment. « Ni l'Angleterre, ni la Grèce ne s'écarteront de la neutralité sans une préalable communication d'idées et un avis réciproque de tout changement de politique à l'égard de cette neutralité (5). »

Tout en restant neutre, la Grèce, qui nous est favorable, ne s'opposera pas au départ de volontaires pour la France*, jusqu'au moment où de Wagner, représentant de la Prusse, puis de l'Allemagne, attirera sur ce point l'attention du cabinet

d'Athènes (6).

La guerre tourne contre nous. Les défaites succèdent aux défaites. Elles causent aux Grecs une surprise générale*. Ils croyaient à l'invincibilité de la France impériale, d'autant plus qu'en Orient on n'avait presque jamais entendu parler de la Prusse*. L'empire est renversé. La république est proclamée. Troublé par les événe

(1) Inst. grecq. à Const., 30 juil. 1870.

(2) Rap. grec de Pétersbourg, 25 juil. 1870.

(3) Photiadès au gouv. grec, Athènes, 8 sept. 1870.

(4) Gouv. anglais au min. grec à Londres, 17 août 1870.

(5) Min. grec à Londres au gouv. anglais, 7 sept. 1870; cf. gouv. grec au roi Georges, Athènes, 25 août 1870.

(6) Wagner au gouv. grec, Athènes, 13 déc. 1870.

ments qui ont déjoué toutes ses prévisions, le gouvernement hellénique se sent porté à une certaine réserve dans ses rapports avec le nouveau gouvernement français*.

Cette réserve provient en grande partie de l'attitude du roi, que la grandeur de Napoléon avait impressionné, et qui s'imaginait que Bismarck rétablirait sur le trône l'empereur prisonnier (1). Elle provient aussi de l'attitude de la Russie qui conseille au cabinet d'Athènes la temporisation (2), et de celle du ministre d'Angleterre mal disposé à l'égard de la France*.

Aussi bien, Deligeorges voudrait amener le roi à reconnaître notre gouvernement dans le plus bref délai possible, ou du moins à entrer en rapports officiels avec lui (3). Le roi n'y consent que dans les premiers jours d'octobre*. Et c'est seulement le 17 du même mois que Phocion Roques, représentant de la Grèce en France, entrera officiellement en rapports avec Jules Favre, en vertu d'une dépêche datée du 22 septembre (4), mais dont il n'avait pu donner communication plus tôt.

En dépit des efforts tentés par le gouvernement de la Défense, la Prusse poursuivait ses succès. Depuis Sedan, l'Autriche ne songeait plus à intervenir. Surpris de l'inertie de l'Europe, qui semblait se désintéresser du conflit, les Grecs commençaient à s'inquiéter de ce qui pourrait se passer en Orient si la Russie prenait à son tour l'initiative*.

Belgrade annonçait que la Turquie armait, et rappelait aux Grecs l'entente conclue contre elle (5). On parlait de grands transports de troupes dans le sud de la Russie (6). Le 6 octobre, le bruit courait déjà que Gortchakof allait dénoncer le traité de Paris*.

Sur ces entrefaites fut fabriquée à Constantinople, comme pour alarmer la Serbie, la fausse nouvelle d'une alliance gréco-turque (7), alors que Deligeorges paraissait au contraire vouloir exploiter à

(1) Du roi Georges à son gouv., Patras, 29 sept. 1870.

(2) Inst. russes à Athènes, 15 sept. 1870.

(3) Deligeorges au roi Georges, Athènes, 14 et 29 sept. 1870.

(4) Phocion Roques à Jules Favre, Tours, 17 oct. 1870.

(5) Du 13 sept. 1870, rap. grec de Belgrade, et gouv. grec au roi.

(6) Gouv. grec au roi, Athènes, 26 sept. 1870.

(7) Rap. russes de Const. 19 oct., de Vienne, 25 oct.; rap. grec de Vienne, 24 oct.; aut.

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