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sions aller au delà. D'un autre côté, vu le mouvement national qui se manifeste en Grèce, le roi Georges mettrait sa dynastie en danger s'il dissolvait les troupes qu'il réunit en ce moment; or, la présence de ces troupes obligerait la Porte à maintenir de son côté ses forces dans cette direction, d'où il résulterait la diversion que vous désirez (1). »

Donc plus n'était besoin de l'alliance grecque. La Grèce s'était armée. Elle occupait 20.000 Turcs*. Elle ne pouvait pas ne pas rester armée. C'était tout profit pour la Russie, qui n'aurait pas obtenu un plus beau résultat en concluant une alliance formelle. Et la Grèce n'était pas traitée plus mal que la Serbie, Gortchakof ayant éconduit les Serbes de la même manière.

Ristitch et le prince Milan en étaient venus à projeter une entente séparée avec la Grèce, en dehors de la Russie (2).

La Grèce aima mieux conserver sa liberté d'action (3), en s'inspirant des conseils que l'Autriche lui donnait, conseils qui paraissaient d'accord avec les vues de la France et de l'Italie.

Le roi Georges voyait à Vienne le centre de l'Europe et de l'activité diplomatique (4). Il avait la plus grande confiance dans le gouvernement de François-Joseph. Et il considérait les intérêts de l'Autriche en Orient comme identiques à ceux de la Grèce. « C'est de l'empereur que j'attendrai le mot d'ordre, disait-il le 3 août 1877; c'est de l'Autriche-Hongrie que j'attends mon salut (5). »

L'Autriche, à ce moment, se montrait favorable à la Grèce. Andrassy semblait, lui aussi, regarder comme identiques les intérêts des deux pays. Il ne demandait pas mieux que de soutenir la cause hellénique. Et il continuait de songer à la Grèce pour le partage de la Turquie tandis que la Bulgarie subirait l'influence russe, que la Bosnie et l'Herzégovine reviendraient à l'Autriche, que la Serbie et le Monténégro lui seraient rattachés par une union

(1) Inst. russes à Athènes, tél., 31 oct. 1877.

(2) Rap. grec de Belgrade, 23 et 28 août 1877.

(3) Inst. grecques à Belgrade, 8 nov. 1877.

(4) Nous devons ce renseignement à l'obligeance de M. Lefèvre-Pontalis qui fut à Athènes l'un de nos plus distingués représentants.

(5) Rap. aut. d'Athènes, 3 août 1877. Cf. Memoires og Breve, udgivne af Julius Clausen, og P. Fr. Rist., XXIV, Nogle Erindringer af Balthasar Münter, I.

douanière, la Grèce serait largement agrandie et l'Autriche ferait en sorte de s'assurer son amitié (1).

Pour atteindre ces résultats, l'Autriche se proposait de n'entrer en scène que quand la chute de la Turquie serait imminente. Et c'est la même tactique qu'elle recommanda à la Grèce comme à la Serbie (2).

Le 30 août 1877, le gouvernement de Vienne adressait au comte Dubsky, son ministre à Athènes, des instructions très importantes. Dubsky devait mettre le roi Georges en garde contre la politique russe. La Grèce risquait de n'être qu'un instrument. Si elle entrait en lutte trop tôt contre la Turquie, elle pourrait l'amener à signer une paix qui ne serait qu'une paix russe, « qui ne tiendrait aucun compte des vœux de la nation hellénique ». Le mieux était que la Grèce se plaçât « sur la ligne d'une stricte neutralité, tout en proclamant sa ferme intention de sauvegarder ses propres intérêts,.. et en se réservant de n'intervenir dans le conflit qu'au moment où il serait prouvé que la Turquie est impuissante à maintenir, par ses propres forces, sa domination en Europe (3) ».

A quelque temps de là, Dubsky écrivait à Vienne : « Le roi se rend compte que la voie tracée par le gouvernement autrichien est la meilleure... (4). »

Melegari ne conseillait d'ailleurs pas autrement le ministre de Grèce à Rome : « La Grèce doit faire comme l'Italie, lui disait-il, se préparer sans ostentation, sans bruit, sans démonstration, en assurant (sic) toujours des intentions pacifiques (5). »

Decazes était dans les mêmes pensées. Voyant la Grèce sur le pied de guerre, dans une sorte de neutralité armée, il ne pouvait s'empêcher d'approuver son attitude : « Le gouvernement du roi Georges se place, écrivait-il, au même point de vue que nous pour apprécier ses intérêts*. »

Ainsi la Grèce put, sans y être amenée par la pression de l'Angleterre, se passer de déclarer la guerre à la Turquie, et même en venir

(1) Rap. dan. de Vienne, 20 août 1877.

(2) Ibidem.

(3) Inst. aut. à Athènes, 30 août 1877. (4) Rap. aut. d'Athènes, 7 sept. 1877.

à de meilleurs rapports avec elle, tout en restant armée, tout en étant prête à parer aux éventualités.

Après la tension que nous constations au mois d'août et au mois de septembre, nous en venons à une détente et comme à un apaisement (1).

La Turquie et l'Angleterre ont compris sans doute qu'elles n'avaient aucun intérêt à provoquer de la part de la Grèce le coup de force que la Russie attend. En outre, sur le théâtre de la guerre, la situation se modifie tous les jours un peu en faveur des armées du tsar qui enserrent Plevna d'une étreinte de plus en plus étroite.

Maintenant la Turquie se montre plus disposée à être satisfaite. Il a suffi que le nomarque et l'éparque d'Acarnanie aient été relevés de leurs fonctions, que quelques troupes aient été transférées de la frontière au camp de Thèbes, que le gouvernement grec ait décidé de remettre en vigueur la loi du 27 février 1871 sur le brigandage pour que la Porte exprimât sa satisfaction, pour qu'une certaine amélioration des rapports gréco-tures fût constatée par les puissances* (2).

Et afin qu'aucun nuage ne troublât plus ces relations, qu'elles pussent s'améliorer encore non seulement entre la Grèce et la Turquie, mais encore entre la Grèce et l'Angleterre, Server-pacha invitait Photiadès-bey à faire une démarche auprès du cabinet d'Athènes, et Derby chargeait Wyndham d'une même mission.

Wyndham devait expliquer à Tricoupi que ses instructions précédentes avaient pour but, non pas de restreindre les droits de la Grèce, nation indépendante, État souverain, ni de limiter en aucune manière sa liberté d'action, mais de persuader seulement le gouvernement grec de ne pas provoquer la Turquie. En inter

(1) Au mois de septembre, le ministère grec perdit son chef, l'amiral Canaris. Il ne fut pas remplacé momentanément comme président du Conseil. L'émotion fut considérable, d'après ASPREA, op. cit., t. II, p. 86, et LASCARIS, op. cit., p. 91. Mais il ne nous semble pas que la politique étrangère de la Grèce en ait été de beaucoup modifiée.

(2) Rap. angl. de Const., 8, 12 et 17 oct. 1877; cf. rap. angl. d'Athènes, 4 et 13 octobre 1877.

wenant ainsi, l'Angleterre n'avait été guidée que par ses sentiments amicaux à l'égard du royaume hellénique comme à l'égard de l'empire ottoman (1).

De son côté, Photiadès-bey présenta au ministre grec une note des plus conciliantes, expliquant pourquoi la Porte avait jugé hon de prier l'Angleterre d'intervenir (2). La Porte n'avait eu en vue qu'une démarche tout amicale*.

Tricoupi répondit au ministre ottoman par de pareilles protestations d'amitié. Suivant l'expression du ministre autrichien, il fit de doux reproches » à Photiadès et à Server-pacha, leur demandant de vouloir bien désormais s'adresser directement à Athènes pour le règlement d'affaires analogues* (3).

La Porte s'était déjà montrée conciliante en relâchant un bâtiment gree chargé d'armes, qui avait été saisi par les autorités de Préveza*.

Tricoupi déclara qu'il serait heureux d'apprendre encore le retrait des mesures d'interdiction prises par la Porte sur le golfe d'Arta et le rappel des troupes irrégulières qui avaient été envoyées en Thessalie et en Épire : « Nous n'en ferons pas l'objet de réclamations diplomatiques », aurait ajouté le ministre grec*.

Pendant quelques jours, ces bonnes dispositions s'affirmèrent. La Porte avait donné à Coundouriotis d'aimables assurances (4). Le gouvernement hellénique accordait des congés nombreux à ses soldats. De là à penser qu'il allait renvoyer les réserves*, qu'il allait s'arrêter dans ses préparatifs, que toutes les difficultés entre la Grèce et la Turquie allaient se régler à l'amiable, il n'y avait pas loin, surtout pour ceux qui en éprouvaient le désir impatient. Le cabinet de Londres et celui de Paris le pensèrent (5). Mais des nuages commençaient de se lever à l'horizon. Entre la Grèce et la Turquie, il y avait maintenant des « si » et des mais», des conditions et des réserves mêlées aux assurances mutuelles.

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(1) Inst. angl. à Athènes, 12 oct.; Wyndham au gouv. grec, 25 oct.; rap. italien d'Athènes, 26 oct. 1877.

(2) Rap. angl. d'Athènes, 15 oct. 1877.
(3) Rap. aut. d'Athènes, 19 oct.. 1877.
4) Rap. angl. d'Athènes, 25 oct. 1877.

Layard continuait de prêcher à Server la modération. Server répondait que son plus grand désir était de régler toutes les difficultés dans un esprit de conciliation, si la Grèce persistait dans són attitude pacifique (1).

De même, Tricoupi exprimait l'espoir que toutes les questions avec les Turcs se régleraient d'une manière favorable, mais il était effrayé que Server fît des réserves sur ce qu'il avait dit récemment à Coundouriotis (2).

Dans le fond, en dépit de toutes les assurances échangées et d'apparences plus favorables, la Grèce et la Turquie étaient aussi près de la rupture, sinon de la guerre, que quelques semaines aupa

ravant.

La Grèce poussait toujours ses préparatifs. Après avoir cherché en France un général pour commander ses forces de terre (3), le gouvernement hellénique pressentait, d'ailleurs sans succès, le cabinet de Paris pour obtenir un capitaine de vaisseau*. Elle faisait l'impossible pour acquérir des navires cuirassés*. Le roi passait des revues*. Il enviait peut-être les lauriers que le prince Charles de Roumanie avait conquis sous Plevna.

D'autre part, la Turquie continuait à se fortifier, notamment du côté de Punta; elle armait à Salonique les musulmans contre les Grecs*. Elle laissait ses troupes irrégulières dévaster les provinces grecques. Ce n'était pas un massacre général organisé comme l'avait été celui des Bulgares. Mais c'étaient des méfaits innombrables, pas assez criants pour révolter la conscience européenne, mais capables d'étouffer dans la population chrétienne tous les germes d'insurrection (4).

Le ministre turc à Athènes déplorait lui-même ces méfaits à tel point qu'il semblait désireux que, pour y mettre fin, les puissances intervinssent à Constantinople. Quant à Tricoupi, il en venait à

(1) Rap. angl. de Const.,, 21 et 28 oct. 1877.

(2) Rap. angl. d'Athènes, 25 oct. 1877.

(3) Toute une correspondance à ce sujet entre le gouv. grec et sa légation de Paris, surtout en septembre 1877. Il s'agissait du général Bourbaki, qui ne crut pas pouvoir accep ter, cf. LASCARIS, op. cit., p. 89.

(4) Rap. angl. d'Athènes, 13 déc. 1877. Tricoupi parle de 50 villages détruits en Thessalie.

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