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douros n'y manqua point*. L'opinion grecque s'était spontanément tournée vers nous. Et elle avait accueilli les concessions faites à la Grèce comme un succès inespéré*.

La disposition des esprits changea au bout d'une semaine. « La satisfaction, dit Tissot... a fait place à une certaine défiance et à une sorte de découragement*. » Il ajoute le 15 juillet : « Les Hellènes se plaignent tout haut d'avoir été trompés par l'Angleterre*. Des plaintes analogues étaient aussi formulées par le roi qui avait encore en main des lettres de Beaconsfield remplies de bonnes assurances et qui disait deux mois plus tôt qu'il n'espérait plus rien que de Dieu et de l'Angleterre*. Quant à Coumoundouros, il écrivait à Delyanni qui se proposait d'aller distribuer des remerciements dans toutes les capitales : « Ne croyez-vous pas que vos visites personnelles auprès des différentes cours suivraient de trop près les décisions prises par le congrès ? Faut-il nous en montrer entièrement satisfaits du moment que rien n'a été décidé pour Candie? Ici et à Constantinople, on n'en a pas été du tout content. Je ne partage pas ces sentiments, mais peut-être il ne serait pas bon que nous fissions preuve de tant d'enthousiasme, lorsque nous avons devant nous une longue route à parcourir (1). »

Oui, en vérité, la Grèce avait devant elle une très longue route à parcourir, une route hérissée d'écueils, parsemée d'embûches. Non seulement la Macédoine, les îles, la Crète, sans parler de Constantinople, étaient bien loin de sa portée, mais même l'Épire et la Thessalie, que le traité de Berlin semblait lui promettre, elle ne semblait pas près de pouvoir les obtenir. Le comte de Mouy a soutenu que la volonté des puissances était péremptoire et certaine, que la sincérité de ses collègues ne faisait aucun doute pour lui, mais il a été bien obligé de reconnaître que le congrès n'avait pris qu'une simple décision de principe (2). C'était même à peine une décision, c'était un avis exprimé, on engageait la Porte à le suivre. La Porte ne le suivrait sûrement pas. Les puissances interviendraient en médiatrices, mais elles s'abstiendraient de toute

(1) Gouv. grec à Delyanni, tél., 13 juil. 1878.

(2) DE MOUY, op. cit., p. 139. M. Gauvain, préface de LASCARIS, op. cit., p. 12, y voit « ce qu'on appelle en diplomatie une solution élégante », en tant qu'elle permet à toutes les

pression, ou bien elles imposeraient aux parties des sacrifices réciproques. Et la Grèce serait dans le cas ou bien de ne rien avoir, ou bien si les choses s'arrangeaient au mieux, d'avoir moins qu'on ne lui avait promis. Sa part serait toute petite et, pour l'atteindre la route serait bien longue à parcourir.

Mais au moins la Grèce voyait devant elle une route. L'hellénisme pouvait continuer sa carrière. Il n'était plus écrasé. Il n'avait plus devant lui le mur aveugle dressé par le traité de San-Stefano.

Qu'importait que la part de la Grèce fût petite ? L'hellénisme, espoir de la race, venait d'être sauvé.

Ce que voulait la Russie, nous le savons notamment par cet aveu de Skobeleff : « Ce n'est pas pour les chrétiens que la Russie est entrée en campagne ; le but réel, le seul, c'est la réalisation de l'idée slave, c'est la volonté d'imposer la suprématie slave, qui doit s'étendre sur la race slave au delà comme en deçà des Balkans, englober la Bulgarie, la Serbie, le Monténégro, de la mer Noire et du Danube à la mer Egée et à l'Adriatique, laissant quelques lambeaux à la Grèce, vis-à-vis de laquelle on se réserve d'aviser plus tard*. » « Nous ne leur aurions rien donné, » disait même à propos des Grecs Lobanoff, l'ambassadeur de Russie à Constantinople*.

A la suite du congrès de Berlin, non seulement la Grèce pouvait avoir l'espoir d'obtenir quelque chose, mais surtout, après avoir été menacé de mort, l'hellénisme renaissait. D'Athènes, on n'avait plus dans les yeux cette gigantesque Bulgarie qui mettait la Russie au centre de la péninsule des Balkans, qui coupait à la Grèce la route de Salonique et celle de la Thrace. On avait moins à redouter l'influence opprimante du clergé russe sur les populations chrétiennes de l'empire ottoman. Ce vieil empire pourrait avoir un autre successeur que l'empire des tsars. Et les Grecs de Turquie pourraient être émancipés par leurs frères...

Skobeleff avait beau annoncer que l'œuvre du slavisme continuerait, quoi que voulût ou quoi que fît l'Europe, qu'elle continuerait sans relâche, ou patiemment, ou violemment*.

Les Slaves sont tenaces, leur propagande est redoutable; ils sont l'infinité. Mais la Grèce, la pauvre petite Grèce n'est pas morte.

Elle a des protecteurs puissants qui ne songent presque jamais à leur rôle, mais dont la rivalité lui conserve la vie. L'Angleterre l'a cette fois sauvée de la Russie. La Russie et la France l'avaient en 1862 sauvée de l'Angleterre. Cet événement pourra se répéter. La Bulgarie ne restera peut-être pas toujours docile à la Russie, et le slavisme russe pourra être désavoué quelque jour par les Slaves des Balkans. Ce sera une tout autre situation politique. Et l'hellénisme s'avancera, comme s'il avait pour amie quelque divinité supérieure, qui lui garantirait l'avenir.

CHAPITRE III

LA RÉUNION DES IONIENNES
(1862-1865)

CHAPITRE IV

LE ROI ET L'HELLÉNISME

(1863-1866)

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