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siasme. « V. M., lui disait-elle, trouvera dans la nation grecque une réception enthousiaste, cette foi, cette affection et cet appui qui rendent les peuples heureux et les trônes glorieux (1). »

Et puis brusquement, à peine trois jours après, une guerre civile éclatait entre l'armée et la garde nationale, entre Bulgaris, l'ancien président du gouvernement provisoire, et son rival Coronaios. Parce que Bulgaris, chef des gens de la plaine, appartenait au parti anglais, la légation de France fut soupçonnée par certains d'avoir fourni des munitions à Coronaios* (2), chef du parti de la montagne.

Quoi qu'il en soit, les ministres des trois puissances jugèrent indispensable de concerter leur action.

Le 2 juillet, alors que les troupes adverses se livraient bataille, Bourée se rendit à la légation d'Angleterre avec plusieurs de ses collègues ; Scarlett ne pensait pas encore que le moment d'intervenir fût venu. Il s'y décida seulement après le départ de notre ministre, le feu ayant cessé. Il lui envoya un mot et revint le trouver après s'être mis d'accord avec le ministre russe* (3). A eux trois, sur le coup de 10 heures du soir, ils rédigèrent une première note << aux belligérants de la guerre civile ».

Au nom des puissances protectrices, ils les invitaient à une suspension d'hostilités de 48 heures, pendant lesquelles l'Assemblée nationale évoquerait tous les pouvoirs et prendrait les mesures nécessaires pour le rétablissement de l'ordre public (4).

Docilement, les deux partis acceptèrent cette proposition de suspension d'armes.

Les trois ministres en profitèrent pour envoyer le lendemain une seconde, puis une troisième note au président de l'Assemblée.

Par leur deuxième note, les trois ministres faisaient connaître que si les hostilités recommençaient, ils se retireraient à bord de leurs bâtiments respectifs, y appelleraient leurs nationaux et rompraient toutes relations « avec un pays où il est fait un si déplo

(1) Compte rendu de l'Assemblée nationale, 27 juin 1863.

(2) Rap. aut. d'Athènes, 11 juil. 1863.

(3) Rap. angl. d'Athènes, 4 juil. 1863.

(4) Première note des ministres des puissances 2 juil. 1863, 10 h. du soir Cf. LENORMANT, op. cit., p. 187.

rable emploi du courage et d'où le véritable patriotisme semblerait à jamais exilé (1) ».

La troisième note annonçait la décision prise par les trois ministres, avec l'adhésion du président de l'Assemblée, de placer dans l'hôtel de la Banque hellénique un corps de troupes composé par parties égales de détachements empruntés aux bâtiments des puissances amies et protectrices de la Grèce (2).

Un ministère de conciliation se forma avec Calligas comme ministre des Affaires étrangères. Les troupes des deux partis en lutte furent éloignées simultanément. Et comme par enchantement. Athènes redevint calme*.

Cependant, les désordres continuaient en Laconie et en Messénie. Les gens de l'Élide prétendaient refuser le paiement de l'impôt jusqu'à l'arrivée du roi. Des bandes se disaient autorisées à piller pour rétablir la dynastie de Bavière, et d'autres pour fonder la République*.

Il n'était pas sûr qu'à Athènes même l'ordre pût être mainte nu longtemps. A ce propos, un désaccord s'accusa bien vite entre les légations, sinon même entre les puissances (3).

Naguère encore, avant l'acceptation du Danemark, Bourée, sinon la France, semblait tout préparer pour une intervention, même pour une occupation, tandis qu'Elliot, Scarlett et peut-être l'Anglete rre avec eux, maintenaient de tout leur pouvoir une politique d'abstention. Maintenant que la candidature, surtout anglaise, du prince Guillaume a triomphé, et tandis que les membres du parti français l'emportent à Athènes*, les rôles se renversent : c'est Bourée qui se fait l'avocat de l'abstention, c'est Scarlett qui se fait le champion de l'intervention étrangère.

La politique anglaise ne se montre d'ailleurs pas sous le même aspect à Paris et à Athènes. A Paris, Cowley fait croire à Drouyn de Lhuys que l'Angleterre s'abstiendra*; il lui laisse ignorer que l'escadre anglaise est autorisée à débarquer des marins si l'ordre matériel est gravement troublé*. A Athènes, Scarlett parle un autre

(1) Seconde note des ministres, 3 juil. 1863.

(2) Troisième note des ministres, 3 juil. 1863 ; rap. aut. d'Athènes, 4 juil. 1863.

langage: « Il est certain, écrit Bourée, que, contrairement aux assurances de lord Cowley, la légation anglaise est autorisée à intervenir...* » Et Scarlett va jusqu'à déclarer, selon le témoignage du ministre autrichien : « Je ferais occuper Athènes militairement avec mes deux collègues, s'ils veulent s'associer à moi, sans eux s'ils ne le veulent pas (1). »

Les instructions données à Bourée lui prescrivent une attitude contraire. Il déclare que l'extrême limite de ses pouvoirs est dans la protection armée de la banque (2). « Nous devons exclure en principe le débarquement de troupes sur le territoire hellénique », lui écrit-on de Paris*. L'abstention lui est recommandée quand bien même la légation anglaise aurait des instructions contraires*.

Ainsi, tandis que l'Angleterre procède à un déploiement de forces, on note que la France se réserve de son mieux.

Le 9 juillet, une escadre anglaise se présente en vue d'Athènes. Scarlett déclare ne l'avoir pas appelée, tandis que des officiers de l'escadre soutiennent le contraire. Le lendemain, d'autres navires britanniques se montrent devant Patras et devant Lamia*. En félicitant Calligas de son arrivée au pouvoir, Scarlett le prévient que si l'ordre ne règne pas les Ioniennes ne seront pas cédées (3). Repoussant les suggestions de Bourée et de Bloudoff, Scarlett refuse de retirer les marins chargés de protéger la Banque* (4). Quand la Russie retire les siens, Scarlett veut les remplacer, ce que Bourée juge inutile (5). Les Britanniques interviennent à Patras. Bulgaris arbore un moment à Hydra le pavillon anglais*. Des incidents s'ensuivent entre Grecs et Anglais* (6).

La concurrence des légations s'accuse quand il s'agit d'attacher le général Kalergis à la personne du roi, quand il s'agit de choisir le commandant de la frégate Hellas, qui est finalement un membre du parti français*.

(1) Rap. aut. d'Athènes, 11 juil. 1863.

(2) Ibidem.

(3) Scarlett à Calligas, Athènes, 9 juil. 1863.

(4) Rap. aut. d'Athènes, 18 juil. 1863.

(5) Rap. aut. d'Athènes, 25 juil. et 1er août 1863.

(6) Caliigas à Scarlett, Athènes, 20 août 1863.

Cependant, pour d'autres questions, les légations doivent collaborer, notamment à propos du palais d'Othon qui est déclaré propriété nationale, et encore à propos de la correspondance de l'ancien roi, que le gouvernement grec se propose de publier contre le vœu des puissances (1).

L'entente des légations se resserre à l'approche de l'arrivée du roi pour empêcher les troupes éloignées de la capitale de profiter de l'occasion pour y rentrer (2). Scarlett, qui craint d'indisposer Calligas par son langage trop sévère, éprouve le besoin de se faire appuyer par Bloudoff et par Bourée. Les trois ministres ont un entretien avec Calligas. Scarlett se réserve «< avec quelque apparence de bouderie ». Bourée demande que chaque corps de troupes n'envoie pour saluer le roi qu'une délégation. Calligas l'approuve. Mais la Chambre est plus difficilement convaincue*. L'artillerie fait savoir qu'elle veut venir avec toute sa force, ou qu'elle ne viendra pas du tout (3). Scarlett passe aux menaces; des officiers anglais vont visiter les casernes comme pour préparer une occupation*. Bourée reçoit l'ordre de dire à l'amiral français « qu'il agisse de concert avec l'amiral anglais pour le maintien de l'ordre* ». La politique française évolue : « Notre attitude, écrit Drouyn de Lhuys, ne peut plus être vis-à-vis d'un gouvernement définitif et régulier ce qu'elle a dû être alors que nous nous trouvions en présence d'une autorité précaire et dont tous nos efforts eussent sans doute mal réussi à améliorer les conditions d'existence*. >>

D'après le cours des négociations à Londres, et d'après le cours des événements à Athènes, on peut juger des dispositions successives de la cour de Danemark quant à la fixation de la date à laquelle le roi Georges devait aller prendre possession de son royaume, et quant à la manière dont il devait se présenter à ses nouveaux sujets.

(1) Scarlett et Bourée à Calligas, Athènes, 29 et 30 sept. 1863; rap. aut. d'Athènes, 3 oct. 1863.

(2) Rap. aut. d'Athènes, 26 sept. 1863

On se souvient que la sixième des conditions mises par la cour de Danemark à son acceptation impliquait que le prince Guillaume resterait à Copenhague jusqu'à ce qu'il eût fait sa première communion et qu'il eût atteint l'âge de sa majorité. Paget ayant déclaré n'avoir pas d'avis à donner sur cette condition, Hall avait fait la contre-observation suivante: « Le gouvernement danois peut donc espérer que cet article ne rencontrera pas de difficulté et que par conséquent le prince restera en Danemark jusqu'à la fin de cette année. L'établissement d'une régence demeure réservé à un accord spécial ultérieur (1). »

La question de la régence fut la première résolue. Les Grecs qui s'inquiétaient de l'influence qu'un régent pourrait prendre sur l'esprit du roi s'empressèrent, nous l'avons vu, de le proclamer majeur. L'Angleterre et le Danemark craignaient plutôt de laisser sans conseil le jeune souverain. Le Morning Post avait indiqué dès le mois d'avril le prince Jean, frère puîné de Christian, comme régent possible. Le prince Jean, favorable aux Allemands, risquait de déplaire à la France. De son côté, Hall suggéra à Paget le choix du comte Sponneck, qui était son ennemi politique et qu'il désirait éloigner; Sponneck, très écouté de Christian, avait été ministre des finances de 1851 à 1854; il passait pour être plus ami de la France que de l'Angleterre* (2).

Sur le désir de Christian et de Russell lui-même* (3), ce fut Sponneck qui fut désigné finalement (4), non pas pour exercer officiellement la régence, mais simplement pour accompagner le jeune roi*, avec le titre de ministre intime d'État, « le plus haut, disait Sponneck lui-même, qui fût accordé à un sujet danois, si haut, ajoutait-il, que personne en Grèce ne saurait lui porter ombrage (5) ».

En même temps que le choix de Sponneck était décidé, la question se posait d'envoyer un agent danois à Athènes, en attendant

(1) Feuille des conditions déjà citée.

(2) Cf. Dansk biographisk lexikon.

(3) Inst. angl. à Copenhague, 17 juin 1863.

(4) KRIEGER, op. cit., t. II, p. 308, 16 juin 1863.

(5) Sponneck à Roufos, président du conseil hellénique, Copenhague, 1er sept. 1863; rap. aut. d'Athènes, 19 sept. 1863.

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