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ARISTE. Sans doute.

SCANARELLE. Signez donc; j'en fais de même aussi. ARISTE. Soit. Je n'y comprends rien.

SGANARELLE. Vous serez éclairci.

LE COMMISSAIRE. Nous allons revenir.

SCANARELLE, à Ariste. Or çà, je vais vous dire
La fin de cette intrigue.

(Ils se retirent dans le fond du théâtre.)

SCÈNE IX.

LÉONOR, SGANARELLE, ARISTE, LISETTE.

LÉONOR. O l'étrange martyre!

Que tous ces jeunes fous me paroissent fâcheux!
Je me suis dérobée au bal pour l'amour d'eux.
LISETTE. Chacun d'eux près de vous veut se rendre agréable.
LEONOR. Et moi, je n'ai rien vu de plus insupportable;

Et je préférerois le plus simple entretien

A tous les contes bleus de ces diseurs de rien.
Ils croyent que tout cède à leur perruque blonde,
Et pensent avoir dit le meilleur mot du monde,
Lorsqu'ils viennent, d'un ton de mauvais goguenard,
Vous railler sottement sur l'amour d'un vieillard;
Et moi, d'un tel vieillard je prise plus le zèle
Que tous les beaux transports d'une jeune cervelle.
Mais n'aperçois-je pas?...

SGANARELLE, à Ariste. Oui, l'affaire est ainsi.

(apercevant Léonor.)

Ah! je la vois paroître, et sa suivante aussi.

ARISTE. Léonor, sans courroux, j'ai sujet de me plaindre.
Vous savez si jamais j'ai voulu vous contraindre,
Et si plus de cent fois je n'ai pas protesté
De laisser à vos vœux leur pleine liberté :
Cependant votre cœur, méprisant mon suffrage,
De foi comme d'amour à mon insu s'engage.
Je ne me repens pas de mon doux traitement;
Mais votre procédé me touche assurément;

Et c'est une action que n'a pas méritée
Cette tendre amitié que je vous ai portée.

LÉONOR. Je ne sais pas sur quoi vous tencz ce discours;
Mais croyez que je suis de même que toujours,

Que rien ne peut pour vous altérer mon estime,
Que toute autre amitié me paroîtroit un crime,
Et que, si vous voulez satisfaire mes vœux,

Un saint noeud dès demain nous unira tous deux. ARISTE. Dessus quel fondement venez-vous donc, mon frère?... SGANARELLE. Quoi! vous ne sortez pas du logis de Valère?

Vous n'avez point conté vos amours aujourd'hui?
Et vous ne brûlez pas depuis un an pour lui?
LÉONOR. Qui vous a fait de moi de si belles peintures,
Et prend soin de forger de telles impostures?

SCENE X.

ISABELLE, VALÈRE, LÉONOR, ARISTE, SGANARELLE, UN COMMISSAIRE, UN NOTAIRE, LISETTE, ERGASTE.

ISABELLE. Ma sœur, je vous demande un généreux pardon,
Si de mes libertés j'ai taché votre nom.

Le pressant embarras d'une surprise extrême
M'a tantôt inspiré ce honteux stratagème:
Votre exemple condamne un tel emportement;
Mais le sort nous traita nous deux diversement.

(à Sganarelle.) Pour vous, je ne veux point, monsieur, vous faire excuse; Je vous sers beaucoup plus que je ne vous abuse.

Le ciel pour être joints ne nous fit pas tous deux.

Je me suis reconnue indigne de vos vœux;

Et j'ai bien mieux aimé me voir aux mains d'un autre,
Que ne pas mériter un cœur comme le vôtre.

VALERE, à Sganarelle.

Pour moi, je mets ma gloire et mon bien souverain
A la pouvoir, monsieur, tenir de votre main.
ARISTE. Mon frère, doucement il faut boire la chose:
D'une telle action vos procédés sont cause;
Et je vois votre sort malheureux à ce point
Que, vous sachant dupé, l'on ne vous plaindra point.
LISETTE. Par ma foi! je lui sais bon gré de cette affaire;
Et ce prix de ses soins est un trait exemplaire.

LÉONOR. Je ne sais si ce trait se doit faire estimer;

Mais je sais bien qu'au moins je ne le puis blâmer.
ERGASTE. Au sort d'être cocu son ascendant l'expose;

Et ne l'être qu'en herbe est pour lui douce chose.

SCANARELLE; Sortant de l'accablement dans lequel il étoit plongé. Non, je ne puis sortir de mon étonnement.

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Cette déloyauté confond mon jugement;
Et je ne pense pas que Satan en personne
Puisse être si méchant qu'une telle friponne.
J'aurois pour elle au feu mis la main que voilà.
Malheureux qui se fie à femme après cela!
La meilleure est toujours en malice féconde;
C'est un sexe engendré pour damner tout le monde.
J'y renonce à jamais, à ce sexe trompeur,

Et je le donne tout au diable de bon cœur.

ERGASTE. Bon.

ARISTE. Allons tous chez moi. Venez, seigneur Valère;
Nous tâcherons demain d'apaiser sa colère.

LISETTE, au parterre.

Vous, si vous connoissez des maris loups-garous,
Envoyez-les au moins à l'école chez nous.

FINA

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LES FACHEUX,

COMÉDIE-BALLET EN TROIS ACTES.-1661.

SIRE,

AU ROI.

'ajoute une scène à la comédie; et c'est une espèce de Fâcheux asinsupportable, qu'un homme qui dédie un livre. Votre Majesté en sait des nouvelles plus que personne de son royaume, et ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle se voit en butte à la furie des épitres dédicatoires. Mais bien que je suive l'exemple des autres et me mette moi-même au rang de ceux que j'ai joués, j'ose dire toutefois à Votre Majesté que ce que j'en ai fait n'est pas tant pour lui présenter un livre que pour avoir lieu de lui rendre graces du succès de cette comédie. Je le dois, Sire, ce succès qui a passé mon attente, non-seulement à cette glorieuse approbation dont Votre Majesté honora d'abord la pièce, et qui a entraîné si hautement celle de tout le monde, mais encore à l'ordre qu'elle me donna d'y ajouter un caractère de Fâcheux, dont elle eut la bonté de m'ouvrir les idées elle-même, et qui a été trouvé partout le plus beau morceau de l'ouvrage. Il

faut avouer, Sire, que je n'ai jamais rien fait avec tant de facilité ni si promptement que cet endroit où Votre Majesté me commanda de travailler. J'avois une joie à lui obéir qui me valoit bien mieux qu'Apollon et toutes les Muses; et je conçois par-là ce que je serois capable d'exécuter pour une comédie entière, si j'étois inspiré par de pareils commandements. Ceux qui sont nés en un rang élevé peuvent se proposer l'honneur de servir Votre Majesté dans les grands emplois; mais, pour moi, toute la gloire où je puis aspirer c'est de la réjouir. Je borne là l'ambition de mes souhaits; et je crois qu'en quelque façon ce n'est pas être inutile à la France que de contribuer quelque chose au divertissement de son roi. Quand je n'y réussirai pas, ce ne sera jamais par un défaut de zèle ni d'étude, mais seulement par un mauvais destin qui suit assez souvent les meilleures intentions, et qui sans doute affligeroit sensiblement,

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SIRE,

DE VOTRE MAJESTÉ,

Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et sujet,

J.-B. P. MOLIÈRE.

AVERTISSEMENT.

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amais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci; et c'est une chose, je crois, toute nouvelle, qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Je ne dis pas cela pour me piquer de l'impromptu et en prétendre de la gloire, mais seulement pour prévenir certaines gens qui pourroient trouver à redire que je n'aie pas mis ici toutes les espèces de fàcheux qui se trouvent. Je sais que le nombre en est grand, et à la cour et dans la ville; et que, sans épisodes, j'eusse bien pu en composer une comédie de cinq actes bien fournis, et avoir encore de la matière de reste. Mais dans le peu de temps qui me fut donné, il m'étoit impossible de faire un grand dessein, et de rêver beaucoup sur le choix de mes personnages et sur la disposition de mon sujet. Je me réduisis done à ne toucher qu'un petit nombre d'importuns, et je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit, et que je crus les plus propres à réjouir les augustes personnes devant qui j'avois à paroître ; et, pour lier promptement toutes ces choses ensemble, je me servis du premier nœud que je pus trouver. Ce n'est pas mon dessein d'examiner maintenant si tout cela pouvoit être mieux, et si tous ceux qui s'y sont divertis ont ri selon les règles. Le temps viendra de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'aurai faites, et je ne désespère pas de faire voir un jour, en grand auteur, que je puis citer Aristote et Horace. En attendant cet examen, qui peutêtre ne viendra point, je m'en remets assez aux décisions de la multitude, et je tiens aussi difficile de combattre un ouvrage que le public approuve que d'en défendre un qu'il condamne.

réjouissance la pièce fut composée, et cette fête a fait un tel éclat qu'il n'est pas nécessaire d'en parler; mais il ne sera pas hors de propos de dire deux paroles des ornements qu'on a mêlés avec la comédie.

Le dessein étoit de donner un ballet aussi; et comme il n'y avoit qu'un petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entr'actes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes baladins de revenir sous d'autres habits. De sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes, on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put, et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie; mais comme le temps étoit fort précipité, et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres. Quoi qu'il en soit, c'est un mélange qui est nouveau pour nos théâtres, et dont on pourroit chercher quelques autorités dans l'antiquité; et comme tout le monde l'a trouvé agréable, il peut servir d'idée à d'autres choses, qui pourroient être méditées avec plus de loisir.

D'abord que la toile fut levée, un des acteurs, comme vous pourriez dire moi, parut sur le théâtre en habit de ville, et, s'adressant au roi avec le visage d'un homme surpris, fit des excuses en désordre sur ce qu'il se trouvoit là seul, et manquoit de temps et d'acteurs pour donner à Sa Majesté le divertissement qu'elle sembloit attendre. En même temps, au milieu de vingt jets-d'eau naturels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a vue; et l'agréable Naïade qui parut dedans s'avança au bord du théâtre, et d'un air héroïque prononça les vers que M. Pellisson avoit faits, Il n'y a personne qui ne sache pour quelle et qui servent de prologue.

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