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MOLIÈRE, BRÉCOURT, LA GRANGE, DU CROISY,
MESDEMOISELLES DU PARC, BÉJART, DE BRIE,
MOLIÈRE, DU CROISY, HERVÉ.

MOLIÈRE, seul, parlant à ses camarades qui sont derrière le théâtre. Allons donc, messieurs et mesdames, vous moquez-vous avec votre longueur, et ne voulez-vous pas tous venir ici? La peste soit des gens! Holà, ho! monsieur de Brécourt!

BRÉCOURT, derrière le théâtre. Quoi?
MOLIÈRE. Monsieur de la Grange!

LA GRANGE, derrière le théâtre. Qu'est-ce?
MOLIÈRE. Monsieur du Croisy!

DU CROISY, derrière le théâtre. Plaît-il ?

MOLIÈRE. Mademoiselle du Parc!

MADEMOISELLE DU PARC, derrière le théâtre. Eh bien?

MOLIÈRE. Mademoiselle Béjart!

MADEMOISELLE BÉJART, derrière le théâtre. Qu'y a-t-il ?

MOLIÈRE. Mademoiselle de Brie!

MADEMOISELLE DE BRIE, derrière le théâtre. Que veut-on?

MOLIÈRE. Mademoiselle du Croisy!

MADEMOISELLE DU CROISY, derrière le théâtre. Qu'est-ce que c'est ?
MOLIÈRE. Mademoiselle Hervé!

MADEMOISELLE HERVÉ, derrière le théâtre. On y va.

MOLIÈRE. Je crois que je deviendrai fou avec tous ces gens-ci. Eh! (Brécourt, la Grange, du Croisy entrent.) Têtebleu! messieurs, me voulezvous faire enrager aujourd'hui?

BRÉCOURT. Que voulez-vous qu'on fasse? Nous ne savons pas nos rôles, et c'est nous faire enrager vous-même que de nous obliger à jouer de

la sorte.

MOLIÈRE. Ah! les étranges animaux à conduire que des comédiens! (Mesdemoiselles Béjart, du Parc, de Brie, Molière, du Croisy, et Hervé arrivent.)

MADEMOISELLE BÉJART. Eh bien! nous voilà. Que prétendez-vous faire? MADEMOISELLE Du parc. Quelle est votre pensée?

Mademoiselle dE BRIE. De quoi est-il question?

MOLIÈRE. De grace, mettons-nous ici; et puisque nous voilà tous habillés et que le roi ne doit venir de deux heures, employons ce temps à répéter notre affaire et voir la manière dont il faut jouer les choses. LA GRANGE. Le moyen de jouer ce qu'on ne sait pas?

MADEMOISELLE DU parc. Pour moi, je vous déclare que je ne me souviens pas d'un mot de mon personnage.

MADEMOISELLE DE BRIE. Je sais bien qu'il me faudra souffler le mien d'un bout à l'autre.

MADEMOISELLE BÉJART. Et moi, je me prépare fort à tenir mon rôle à la main.

MADEMOISELLE MOLIÈRE. Et moi aussi.

MADEMOISELLE HERVÉ. Pour moi, je n'ai pas grand' chose à dire. Mademoiselle du CROISY. Ni moi non plus; mais avec cela je ne répondrois pas de ne point manquer.

DU CROISY. J'en voudrois être quitte pour dix pistoles.

BRÉCOURT. Et moi, pour vingt bons coups de fouet, je vous assure. MOLIÈRE. Vous voilà tous bien malades d'avoir un méchant rôle à jouer! Et que feriez-vous donc si vous étiez en ma place?

MADEMOISELLE BÉJART. Qui, vous? Vous n'êtes pas à plaindre; car, ayant fait la pièce, vous n'avez pas peur d'y manquer.

MOLIÈRE. Et n'ai-je à craindre que le manquement de mémoire? Ne comptez-vous pour rien l'inquiétude d'un succès qui ne regarde que moi seul? Et pensez-vous que ce soit une petite affaire que d'exposer quelque chose de comique devant une assemblée comme celle-ci; que d'entreprendre de faire rire des personnes qui nous impriment le respect et ne rient que quand ils veulent? Est-il auteur qui ne doive trembler lorsqu'il en vient à cette épreuve? Et n'est-ce pas à moi de dire que je voudrois en être quitte pour toutes les choses du monde? MADEMOISELLE BÉJART. Si cela vous faisoit trembler, vous prendriez mieux vOS

précautions et n'auriez pas entrepris en huit jours ce que vous avez fait. MOLIÈRE. Le moyen de m'en défendre, quand un roi me l'a commandé? MADEMOISELLE BÉJART. Le moyen? Une respectueuse excuse fondée sur l'impossibilité de la chose dans le peu de temps qu'on vous donne, et tout autre, en votre place, ménageroit mieux sa réputation et se seroit bien gardé de se commettre comme vous faites. Où en serez-vous, je vous prie, si l'affaire réussit mal, et quel avantage pensez-vous qu'en prendront tous vos ennemis?

MADEMOISELLE DE BRIE. En effet, il falloit s'excuser avec respect envers le roi ou demander du temps davantage.

MOLIÈRE. Mon dieu! mademoiselle, les rois n'aiment rien tant qu'une prompte obéissance et ne se plaisent point du tout à trouver des obstacles. Les choses ne sont bonnes que dans le temps qu'ils les souhaitent, et leur en vouloir reculer le divertissement est en ôter pour eux toute la grace. Ils veulent des plaisirs qui ne se fassent point attendre, et les moins préparés leur sont toujours les plus agréables. Nous ne devons jamais nous regarder dans ce qu'ils desirent de nous; nous ne sommes que pour leur plaire, et, lorsqu'ils nous ordonnent quelque chose, c'est à nous à profiter vite de l'envie où ils sont. Il vaut mieux s'acquitter mal de ce qu'ils nous demandent que de ne s'en acquitter pas assez tôt, et, si l'on a la honte de n'avoir pas bien réussi, on a toujours la gloire d'avoir obéi vite à leurs commandements. Mais songeons à répéter, s'il vous plaît.

MADEMOISELLE BÉJART. Comment prétendez-vous que nous fassions si nous ne savons pas nos rôles?

MOLIÈRE. Vous les saurez, vous dis-je, et, quand même vous ne les sauriez pas tout-à-fait, pouvez-vous pas y suppléer de votre esprit, puisque c'est de la prose et que vous savez votre sujet?

MADEMOISELLE BÉJART. Je suis votre servante. La prose est pis encore que les vers.

MADEMOISELLE MOLIÈRE. Voulez-vous que je vous dise? vous devicz faire une comédie où vous auriez joué tout seul.

MOLIÈRE. Taisez-vous, ma femme, vous êtes une bête.

MADEMOISELLE MOLIÈRE. Grand merci, monsieur mon mari. Voilà ce que c'est! Le mariage change bien les gens et vous ne m'auriez pas dit cela il y a dix-huit mois.

MOLIÈRE. Taisez-vous, je vous prie.

MADEMOISELLE MOLIÈRE. C'est une chose étrange qu'une petite cérémonie soit capable de nous ôter toutes nos belles qualités, et qu'un mari et un galant regardent la même personne avec des yeux si différents! MOLIÈRE. Que de discours!

MADEMOISELLE MOLIÈRE. Ma foi! si je faisois une comédie, je la ferois sur

ce sujet. Je justifierois les femmes de bien des choses dont on les accuse, et je ferois craindre aux maris la différence qu'il y a de leurs manières brusques aux civilités des galants.

MOLIÈRE. Ah! laissons cela. Il n'est pas question de causer maintenant; nous avons autre chose à faire.

MADEMOISELLE BÉJART. Mais, puisqu'on vous a commandé de travailler sur le sujet de la critique qu'on a faite contre vous, que n'avez-vous fait cette comédie des comédiens, dont vous nous avez parlé il y a long-temps? C'étoit une affaire toute trouvée et qui venoit fort bien

à la chose, et d'autant mieux qu'ayant entrepris de vous peindre,
ils vous ouvroient l'occasion de les peindre aussi, et que cela auroit
pu s'appeler leur portrait à bien plus juste titre que tout ce qu'ils
ont fait ne peut être appelé le vôtre. Car vouloir contrefaire un co-
médien dans un rôle comique, ce n'est pas le peindre lui-même, c'est
peindre d'après lui les personnages qu'il représente et se servir des
mêmes traits et des mêmes couleurs qu'il est obligé d'employer aux
différents tableaux des caractères ridicules qu'il imite d'après nature;
mais contrefaire un comédien dans des rôles sérieux, c'est le peindre
par
des défauts qui sont entièrement de lui, puisque ces sortes de per-
sonnages ne veulent ni les gestes ni les tons de voix ridicules dans les-
quels on le reconnoît.

MOLIÈRE. Il est vrai; mais j'ai mes raisons pour ne le pas faire, et je n'ai pas cru, entre nous, que la chose en valût la peine; et puis il falloit plus de temps pour exécuter cette idée. Comme leurs jours de comédie sont les mêmes que les nôtres, à peine ai-je été les voir que trois ou quatre fois depuis que nous sommes à Paris; je n'ai attrapé de leur manière de réciter que ce qui m'a d'abord sauté aux yeux, et j'aurois eu besoin de les étudier davantage pour faire des portraits bien ressemblants.

MADEMOISELLE DU PARC. Pour moi, j'en ai reconnu quelques-uns dans votre bouche.

MADEMOISELLE DE BRIE. Je n'ai jamais ouï parler de cela.

MOLIÈRE. C'est une idée qui m'avoit passé une fois par la tête et que j'ai laissée là comme une bagatelle, une badinerie qui peut-être n'auroit pas fait rire.

mademoiselle dE BRIE. Dites-la-moi un peu, puisque vous l'avez dite aux

autres.

MOLIÈRE. Nous n'avons pas le temps maintenant.

MADEMOISELLE DE BRIE. Seulement deux mots.

mon

MOLIÈRE. J'avois songé une comédie où il y auroit eu un poète que j'aurois représenté moi-même, qui seroit venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la campagne. Avezvous, auroit-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire valoir un ouvrage? car ma pièce est une pièce... Eh!: sieur, auroient répondu les comédiens, nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons passé. Et qui fait les rois parmi vous ? Voilà un acteur qui s'en démêle parfois. Qui? ce jeune homme bien fait ? Vous moquez-vous? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre; un roi, morbleu! qui soit entripaillé comme il faut; un roi d'une vaste circonférence, et qui puisse remplir un trône de la belle manière. La belle chose qu'un roi d'une taille galante! Voilà déjà un grand défaut; mais que je l'entende

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