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nobles; cherche toujours jusqu'à ce que tu aies rencontré un visage qui ne te paroisse ressembler à rien autre qu'à un visage humain. C'est là l'homme que je cherche; salue-le de ma part et amène-le-moi. » Et le jeune page s'empressa d'aller, et, en entrant dans la chambre commune, il se mit à examiner les visages; et après un lent examen, trouvant le visage du poète Marlowe le plus beau de tous, il crut que c'étoit l'homme, et il l'amena à son maitre. La physionomie de Marlowe, en effet, ne manquoit pas de ressemblance avec le front d'un noble taureau, et le page, comme un enfant qu'il étoit encore, en avoit été frappé plus que de toute autre. Mais lord Southampton lui fit ensuite remarquer son erreur et lui expliqua comment le visage humain et proportionné de Shakspeare, qui frappoit peut-être moins au premier abord, étoit pourtant le plus beau. Ce que Tieck a dit là si ingénieusement des visages, il le veut dire surtout, on le sent, de intérieur des génies.

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Molière ne séparoit pas les œuvres dramatiques de la représentation qu'on en faisoit, et il n'étoit pas moins directeur et acteur excellent qu'admirable poète. Il aimoit, avons-nous dit, le théâtre, les planches, le public; il tenoit à ses prérogatives de directeur, à haranguer en certains cas solennels, à intervenir devant le parterre parfois orageux. On raconte qu'un jour il apaisa par sa harangue MM. les mousquetaires

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furieux de ce qu'on leur avoit supprimé leurs entrées. Comme acteur, ses contemporains s'accordent à lui reconnoître une grande perfection dans le jeu comique, mais une perfection acquise à force d'étude et de volonté. La nature, dit encore mademoiselle Poisson, lui avoit refusé « ces dons extérieurs si nécessaires au théâtre, surtout pour les rôles tragiques. Une voix sourde, des inflexions dures, une volubilité de a langue qui précipitoit trop sa déclamation, le rendoient de ce côté fort inférieur aux acteurs de l'hôtel de Bourgogne. Il se rendit justice et se « renferma dans un genre où ses défauts étoient plus supportables. Il eut « même bien des difficultés pour y réussir et ne se corrigea de cette voluabilité si contraire à la belle articulation que par des efforts continuels qui lui causèrent un hoquet qu'il a conservé jusqu'à la mort et dont il « savoit tirer parti en certaines occasions. Pour varier ses inflexions, il « mit le premier en usage certains tons inusités, qui le firent d'abord « accuser d'un peu d'affectation, mais auxquels on s'accoutuma. Non« seulement il plaisoit dans les rôles de Mascarille, de Sganarelle, d'Hali, etc., etc.; il excelloit encore dans les rôles de haut comique, tels a que ceux d'Arnolphe, d'Orgon, d'Harpagon. C'est alors que par la véa rité des sentiments, par l'intelligence des expressions et par toutes les « finesses de l'art, il séduisoit les spectateurs au point qu'ils ne distin

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guoient plus le personnage représenté d'avec le comédien qui le représentoit. Aussi se chargeoit-il toujours des rôles les plus longs et les plus « difficiles. » Tous les contemporains, de Visé, Segrais, sont unanimes sur ce succès prodigieux obtenu par Molière dès qu'il consentoit à déposer la couronne tragique de laurier pour laquelle il avoit un foible. Dans ce qu'on appelle les rôles à manteau où il jouoit, le seul Grandmesnil peut-être l'a égalé depuis. Mais dans le tragique aussi, sa direction, si ce n'est son exécution, étoit parfaite. La lutte qu'il soutint avec l'hôtel de Bourgogne, et dont l'Impromptu de Versailles constate plus d'un détail piquant, n'est autre que celle du débit vrai contre l'emphase déclamatoire, de la nature contre l'école. Mascarille, dans les Précieuses, se moque des comédiens ignorants qui récitent comme l'on parle; Molière et sa troupe étoient de ceux-ci. On croiroit dans l'Impromptu entendre les conseils de notre Talma sur Nicomède. Comme Talma encore, Molière étoit grand et somptueux en manière de vivre, riche à trente mille livres de revenu, qu'il dépensoit amplement en libéralités, en réceptions, en bienfaits. Son domestique ne se bornoit pas à cette bonne Laforest, confidente célèbre de ses vers, et les gens de

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qualité, à qui il rendoit volontiers leurs régals, ne trouvoient nullement chez lui un ménage bourgeois et à la Corneille. Il habitoit, dans la dernière partie de sa vie, une maison de la rue de Richelieu, à la hauteur et en face de la rue Traversière, vers le no 34 d'aujourd'hui.

Molière, arrivé à l'âge de quarante ans, au comble de son art, et, ce semble, de la gloire, affectionné du roi, protégé et recherché des plus grands, mandé fréquemment par M. le Prince, allant chez M. de La Rochefou cauld lire les Femmes Savantes et chez le vieux cardinal de Retz lire le Bourgeois-Gentilhomme, Molière, indépendamment de ses désaccords domestiques, étoit-il, je ne dis pas heureux dans la vie, mais satisfait de sa position selon le monde ? on peut affirmer que non. Éteignez, atténuez, déguisez le fait sous toutes les réserves imaginables; malgré l'éclat du talent et de la faveur, il restoit dans la condition de Molière quelque chose dont il souffroit. Il souffroit de manquer parfois d'une certaine considération sérieuse, élevée; le comédien en lui nuisoit au poète. Tout le monde rioit de ses pièces, mais tous ne les estimoient pas assez; trop de gens ne le prenoient, il le sentoit bien, que comme le meilleur sujet de divertissement:

Molière avec Tartufe y doit jouer son rôle.

On le faisoit venir pour égayer ce bon vieux cardinal, pour l'émoustiller un peu; Mme de Sévigné en parle sur ce ton. Chapelle l'appeloit grand homme, mais ses amis considérables, et Boileau le premier, regrettoient en lui le mélange du bouffon. On voit, après sa mort, de Visé, dans une lettre à Grimarest, contester le monsieur à Molière; et à son convoi, une femme du peuple à qui l'on demandoit quel étoit ce mort qu'on enterroit: << Eh! répondit-elle, c'est ce Molière. » Une autre femme qui étoit à sa fenêtre et qui entendit ce propos, s'écria: « Comment, malheureuse! il est bien monsieur pour toi.»-Molière, observateur clairvoyant et inexorable comme il étoit, devoit ne rien perdre de mille chétives circonstances qu'il dévoroit avec mépris. Certains honneurs même le dédommageoient médiocrement, et parfois le flattoient assez amèrement, je pense, comme, par exemple, l'honneur de faire, en qualité de domestique, le lit de Louis XIV. Lorsque Louis XIV encore, pour fermer la bouche aux calomnies, étoit parrain avec la duchesse d'Orléans du premier enfant de Molière, et couvroit ainsi le mariage du comédien de son manteau

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fleurdelisé; lorsqu'en une autre circonstance il le faisoit asseoir à sa table,

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