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AU P. BOUGEANT,

JÉSUITE.

De la paisible solitude
Où, loin de toute servitude,
La liberté file mes jours,
Ramené par un goût futile
Sur les délires de la ville,
Si j'en voulois suivre le cours,
Et savoir l'histoire nouvelle
Du domaine et des favoris
De la brillante Bagatelle,

La divinité de Paris,

Le dédale des aventures,
Les affiches et les brochures,
Les colifichets des auteurs,
Et la gazette des coulisses,
Avec le roman des actrices,
Et les querelles des rimeurs,
Je n'adresserois cette épître
Qu'à l'un de ces oisifs errants
Qui chaque soir sur leur pupitre
Rapportent tous les vers courants,
Et qui, dans le changeant empire
Des Amours et de la Satire,

Acteurs, spectateurs tour-à-tour,
Possédent toujours à merveille
L'historiette de la veille,
Avec l'étiquette du jour;

Je pourrois décorer ces rimes
De quelqu'un de ces noms sublimes
Devant qui l'humble adulateur
De ses muses pusillanimes
Vient étaler la pesanteur;
Si je savois louer en face,
Et, dans un éloge imposteur,
Au ton rampant de la fadeur
Faire descendre l'art d'Horace :
Mais du vrai seul trop partisan,
Mon Apollon, peu courtisan,
Préfère l'entretien d'un sage
Et le simple nom d'un ami,
Aux titres ainsi qu'au suffrage
D'un grand dans la pompe endormi.
Pour les protecteurs que j'honore
Que seroient mes foibles accents?

Ainsi que les dieux qu'on adore,
Ils sont au-dessus de l'encens.

C'est donc vous seul que sans contrainte,
Et sans intérêt, et sans feinte,
J'appelle en ces bois enchantés,
Moins révérend qu'aimable père,
Vous, dont l'esprit, le caractère,

Et les airs, ne sont point montés
Sur le ton sottement austère
De cent tristes paternités,

Qui, manquant du talent de plaire
Et de toute légèreté,

Pour dissimuler la misère

D'un esprit sans aménité,
D'une sagesse minaudière
Affichent la sévérité,

Et ne sortent de leur tanière
Que sous la lugubre bannière
De la grave formalité :
Vous, dis-je, ce père vanté,
Vous, ce philosophe tranquille,
De Minerve l'heureux pupille,
Et l'enfant de la Liberté ;
Comment donc avez-vous quitté
Les délices de cet asile

Pour aller reprendre à la ville
Les chaînes de la gravité?
Amant et favori des Muses,
Et paresseux conséquemment,
Je ne vous trouve point d'excuses
Pour avoir fui si promptement.
Le desir des bords de la Seine
Soudain vous auroit-il repris?
Non, aux lieux d'où je vous écris
Je me persuade sans peine

Qu'on peut se passer de Paris.
Héritier de l'antique enclume
De quelque pédant ignoré,
Et, pour reforger maint volume
Aux antres latins enterré,
Iriez-vous, comme les Saumaises,
Immolant aux doctes fadaises

L'esprit et la félicité,

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Des patriarches du collège

L'ennuyeuse immortalité?

Non, l'esprit des aimables sages
N'est point né pour les gros ouvrages
Souvent publics incognito;

Le dieu du goût et du génie

A rarement eu la manie

Des honneurs de l'in-folio.

Quoi! sur votre philosophie,

Que les rayons de l'enjouement

Faisoient briller d'un feu charmant,

La profane mélancolie

Auroit-elle, malgré les jeux,

Porté ses nuages affreux?
Martyr de la misanthropie,
Fuiriez-vous ce peu d'agréments
Qui nous fait supporter la vie,
Les entretiens où tout se plie
Au naturel des sentiments,

Les doux transports de l'harmonie,
Et les jeux de la poésie,

Enfin tous les enchantements
De la meilleure compagnie?
Et par quelle bizarrerie,
Anachoréte casanier,

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Pour aller encore essuyer L'éternité du vin de Brie, Auriez-vous quitté le nectar D'Aï, d'Arbois, et de Pomar? Non, vous tenez de la nature Un jugement trop lumineux; Vous avez trop cette tournure Qui fait et le sage et l'heureux, Pour vous condamner au silence, Loin de ces biens et de ces jeux Dont la tranquille jouissance, Proscrite chez le peuple sot, Distingue le mortel qui pense De l'automate et du cagot: Et quand l'esprit mélancolique Pourroit des ennuis ténébreux Dans une ame philosophique Verser le poison léthargique, Ce n'eût point été dans ces lieux, Dans un temple de l'alégresse, Que le bandeau de la tristesse

Se fût répandu sur vos yeux.

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