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La Renommée en ce moment

M'apprend que la Parque inhumaine,
Sur les tristes bords de la Seine,
Vient de plonger au monument
Des mortels le plus adorable',
L'ami de tout heureux talent
Et de tout ce qui vit d'aimable,
Le dieu même du sentiment,
Et l'oracle de l'agrément.

O toi, mon guide et mon modéle,
Durable objet de ma douleur,
Toi qui, malgré la mort cruelle,
Respires encor dans mon cœur,
Illustre Ariste, ombre immortelle,
Ah! si du séjour de nos dieux,
Si, de ces brillantes retraites
Où tes mânes ingénieux
Charment les ombres satisfaites
Des Sévignés, des Lafayettes,
Des Vendômes, et des Chaulieus,
Tu daignes, sensible à nos rimes,
Abaisser tes regards sublimes
Sur le deuil de ces tristes lieux,
Et si, de l'éternel silence
Traversant le vaste séjour,
Un dieu te porte dans ce jour

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La voix de ma reconnoissance,

Pardonne au légitime effroi,

Au sombre ennui qui fond sur moi,
Si, dans les fastes de mémoire,
Je ne trace point à ta gloire

De vers immortels comme toi.

Moi, qui voudrois en traits de flamme
Graver aux yeux de l'avenir

Ma tendresse et ton souvenir,
Comme ils resteront dans mon ame
Gravés jusqu'au dernier soupir,
J'irois dans le temple des Graces
Laisser d'ineffaçables traces
De cette sensible bonté,

L'amour, le charme de notre âge,
Ou, pour en dire davantage,
L'éloge de l'humanité :

Mais à travers les voiles sombres

Quand je te cherche dans les ombres,

Dans le silence du tombeau,

Puis-je soutenir le pinceau?
Que les beaux-arts, que le Portique,
Que tout l'empire poétique,
Où souvent tu dictas des lois,
Avec la Seine inconsolable,
Pleurent une seconde fois
La perte trop irréparable
D'Aristippe, d'Anacréon,

D'Atticus, et de Fénélon:

Pour moi, de ma douleur profonde Trop pénétré pour la chanter, N'admirant plus rien en ce monde Où je ne puis plus t'écouter, Sur l'urne qui contient ta cendre, Et que je viens baigner de pleurs, Chaque printemps je veux répandre Le tribut des premières fleurs; Et puisque enfin je perds le maître Qui du vrai beau m'eût fait connoître Les mystères les plus secrets, Je vais à tes sombres cyprès Suspendre ma lyre, et peut-être Pour ne la reprendre jamais.

A MA SOEUR

SUR MA CONVALESCENCE.

Toi, que la voix de ma douleur
A fait voler vers moi du sein de ta patrie,
Et qui, portant encor dans ton ame attendrie
Du spectacle de mon malheur

La douloureuse rêverie,

Après mon péril même en conserves l'horreur,

Renais, rappelle la douceur

De ton alégresse chérie,

Ma Minerve, ma tendre sœur.

Mais quoi! suis-je encor fait pour nommer l'alégresse,

Et pour en chanter les appas,

Moi qui, depuis deux mois de mortelle tristesse,
Ai vu sur ma demeure étinceler sans cesse

La faux sanglante du trépas ?

Par les songes du sombre empire,
Enfants tumultueux du bizarre délire,
Mon esprit si long-temps noirci
Pourra-t-il retrouver sous ses épais nuages
Les pinceaux du plaisir, les brillantes images,
Et lever le bandeau qui le tient obscurci?

Quand sur les champs de Syracuse

Un volcan vient au loin d'exercer ses fureurs,

Aux bords désolés d'Aréthuse

Daphné cherche-t-elle des fleurs?
Dans de mâles et sages rimes

Si de l'inflexible raison

Il ne falloit qu'offrir les stoïques maximes,
Ici plus que jamais j'en trouverois le ton:
Je sors de ces instants de force et de lumière
Où l'éclatante vérité,

Telle que le soleil au bout de sa carrière,
Donne à ses derniers feux sa plus vive clarté;
J'ai vu ce pas fatal où l'ame, plus hardie,
S'élançant de ses tristes fers,

Et prête à voir finir le songe de la vie,
Au poids du vrai seul apprécie

Le néant de cet univers.
Éclairé sur les vœux frivoles

Et sur les faux biens des humains,

Je pourrois à tes yeux renverser leurs idoles, Les dieux de leur folie, ouvrage de leurs mains, Et, dans mon ardeur intrépide,

De la vérité moins timide

Osant rallumer le flambeau,

Juger et nommer tout avec cette assurance
Que j'ai su rapporter du sein de la souffrance,
Et de l'école du tombeau.

Réduit, comme je fus, par l'arrêt inflexible
Et de la Douleur et du Sort,

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