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suivre, de pouvoir atteindre à l'essor de l'auteur du Misanthrope, osons du moins contempler son exemple; considérons le point d'où il est parti, les principes qui l'ont guidé, et les sources de sa gloire. Malgré le ton de raison et de bienséance dont la comédie du Menteur venoit de crayonner un modèle, le théâtre, quand Molière parut, étoit encore livré à la bouffonnerie, aux pointes, et à l'obscénité. Du sein de cette bassesse et du mauvais goût, Molière, éclairé par la nature, osa s'élancer courageusement loin des routes communes, et porté par les ailes du génie, il sut bientôt s'élever à une sphère nouvelle, d'où il donna aux hommes des préceptes, des modéles, et des plaisirs. Voilà son exemple, que nous enseigne-t-il? l'invariable principe de ne point se laisser subjuguer par le goût du temps, quand le vrai goût s'altère, s'éclipse, et touche au moment de sa chute. Il est à craindre que la manie des nouveautés, pour qui le luxe de nos jours multiplie si laborieusement les colifichets et les riens, et fait servir la magnificence à la petitesse, ne vienne également usurper au théâtre la place des objets vraiment nobles, vraiment utiles, n'y fasse succéder la gentillesse à la grandeur, les phosphores à la lumière, le néant à l'existence; il est à craindre. que, n'offrant plus sur la scène qu'une foule de petits tableaux plus ou moins neufs, on ne néglige totalement de peindre les grands caractères. Les demi

connoisseurs, qui nient tout ce qui les passe, prétendront que tous les grands caractères sont épuisés; qu'il n'est plus de ces couleurs primitives à offrir; et qu'il ne reste que des nuances légères à crayonner: langage de l'ignorance et de la médiocrité. Si l'on n'a plus à caractériser de ces ridicules grossiers d'un siècle moins éclairé, un monde tout nouveau ne reste-t-il point à peindre, à instruire, depuis qu'à la honte des hommes, les vices les plus funestes se sont polis, colorés, embellis au point de n'être plus que des sujets de plaisanterie? La carrière du comique ne s'étend-elle point de jour en jour, depuis la déraison s'accrédite sous le nom d'esprit, que que les prétentions de toute espèce font tant de petites renommées sans mérite, et que les ridicules même se croient l'air et le ton des graces? Osons donc arracher d'une main courageuse tous ces voiles imposteurs; portons le jour de la vérité par-tout où il manque encore; et si la révolution du théâtre et du goût est inévitable, ainsi que celle des mœurs, retardons-en du moins le moment funeste.

C'est à vous, monsieur, qu'on peut avec confiance en déférer l'emploi, et c'est à vous que j'en adresse les vœux et l'augure. La raison et la patrie nous appellent; éclairés par l'étude du monde, échauffés par l'amour du vrai, et réunis à ceux de nos contemporains qui se sont illustrés dans la carrière de Thalie, redoublons nos efforts pour y ra

mener ce bon sens, cette noblesse, cette chaleur, enfin cette force comique que les caractères peuvent seuls donner, par leur vérité, leurs effets, et leurs contrastes. Mais comme la leçon utile n'est jamais plus sûre de son succès que quand elle est présentée par le plaisir, cherchons à rappeler sur la scène le vrai ton de plaisanterie noble, heureuse, et sans effort, dont on se pique si aisément sans l'avoir, et ramenons cette véritable joie de l'ame, cette gaieté naturelle et sincère qui est si bonne et si rare. Par le choix de nos tableaux, par l'utilité de leur objet, par l'énergie et les graces de l'exécution, méritons, s'il se peut, le suffrage éclairé de notre auguste maître; méritons qu'au sortir des travaux qui pent chaque jour, pour la félicité publique, le père de la patrie, ses regards sublimes s'abaissent sur nos jeux. Quel succès plus intéressant pour nos ouvrages! quel prix plus cher et plus glorieux de nos veilles, que de délasser quelquefois, et de pouvoir amuser, dans ses nobles loisirs, le plus grand, le plus cher, et le plus heureux des monarques!

DE L'ÉLOQUENCE

DE LA CHAIRE

VERS LE MILIEU DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

Discours prononcé le 19 décembre 1754, par Gresset, directeur de l'Académie françoise, répondant au discours de réception de D'Alembert.

MESSIEURS,

Les esprits d'un ordre supérieur appartiennent à tout; également citoyens de l'empire des, lettres et de celui des sciences, ils passent du portique et du lycée au temple des muses et des beaux-arts, sans en ignorer la langue, et sans y paroître étrangers. Appelés par la nature, éclairés par le génie, ils s'élancent au-delà des barrières où rampe la foule des beaux esprits sans études, et des savants sans graces; nés pour être utiles et chers aux hommes, ils ouvrent des routes nouvelles dans le labyrinthe de la nature, ils étendent la sphère des idées, ils perfectionnent les arts, ils élévent des monuments immortels; et réunissant le savoir à l'agrément, la force et l'élégance, le don de bien penser et le talent de bien écrire, leurs ouvrages les annoncent, leurs

succès parlent, et il ne peut être pour eux de plus éloquent éloge que leur renommée.

Telle est, monsieur, la brillante destinée des grands talents, et la vôtre; et quand non seulement la France littéraire, mais toute l'Europe savante applaudit aux suffrages qui vous placent ici, la renommée ne me laisse rien à dire ; d'ailleurs la véritable philosophie ne reçoit qu'impatiemment le tribut des louanges. Supérieure à la vanité qui les desire, à l'adulation qui les prodigue, à la médiocrité qui les dispute, elle ne sait que les mériter, elle craint de les entendre, et par-là même elle force quelquefois l'envie à reconnoître le mérite et à le pardonner.

Dans un jour consacré à la gloire des talents et des succès, pourquoi faut-il mêler la voix de la douleur au langage des applaudissements? Vous avez tracé, monsieur, avec autant de vérité que d'énergie, l'image de l'illustre prélat1 que l'académie françoise vient de perdre. Mais nos regrets sont trop étendus, trop sensibles, et trop légitimes, pour ne point arrêter encore un moment nos regards sur son tombeau. Quelle perte l'éloquence vient de faire! et quel génie lumineux viendra dissiper les profondes ténèbres qui la couvrent?

Notre siècle n'a que trop de ces esprits médiocres,

M. de Surian, évêque de Vence.

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