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LA CHARTREUSE.

A M. D. D. N.

Pourquoi de ma sage indolence
Interrompez-vous l'heureux cours?
Soit raison, soit indifférence,
Dans une douce négligence,
Et loin des muses pour toujours,
J'allois racheter en silence
La perte de mes premiers jours;
Transfuge des routes ingrates
De l'infructueux Hélicon,
Dans les retraites des Socrates
J'allois jouir de ma raison,

Et m'arracher, malgré moi-même,
Aux délicieuses erreurs

De cet art brillant et suprême
Qui, malgré ses attraits flatteurs,
Toujours peu sûr et peu tranquille,
Fait de ses plus chers amateurs
L'objet de la haine imbécile

Des pédants, des prudes, des sots,
Et la victime des cagots:

Mais votre épître enchanteresse,
Pour moi trop prodigue d'encens,
Des douces vapeurs du Permesse
Vient encore enivrer mes sens.

Vainement j'abjurois la rime,
L'haleine légère des vents
Emportoit mes foibles serments.
Aminte, votre goût ranime
Mes accords et ma liberté;
Entre Uranie et Terpsichore
Je reviens m'amuser encore
Au Pinde que j'avois quitté:
Tel, par sa pente naturelle,
Par une erreur toujours nouvelle,
Quoiqu'il semble changer son cours,
Autour de la flamme infidéle
Le papillon revient toujours.

Vous voulez qu'en rimes légères
Je vous offre des traits sincères
Du gîte où je suis transplanté.
Mais comment faire, en vérité?
Entouré d'objets déplorables,
Pourrai-je de couleurs aimables
Égayer le sombre tableau
De mon domicile nouveau?

Y répandrai-je cette aisance,
Ces sentiments, ces traits diserts,
Et cette molle négligence

Qui, mieux que l'exacte cadence,
Embellit les aimables vers?

Je ne suis plus dans ces bocages
Où, plein de riantes images,
J'aimai souvent à m'égarer;

Je n'ai plus ces fleurs, ces ombrages,
Ni vous-même pour m'inspirer.
Quand, arraché de vos rivages
Par un destin trop rigoureux,
J'entrai dans ces manoirs sauvages,
Dieux! quel contraste douloureux!
Au premier aspect de ces lieux,
Pénétré d'une horreur secrète,
Mon cœur, subitement flétri,
Dans une surprise muette
Resta long-temps enseveli.
Quoi qu'il en soit, je vis encore;
Et, malgré vingt sujets divers
De regrets et de tristes airs,
Ne craignez point que je déplore
Mon infortune dans ces vers.
De l'assoupissante élégie
Je méprise trop les fadeurs;
Phébus me plonge en léthargie
Dès qu'il fredonne des langueurs;
Je cesse d'estimer Ovide

Quand il vient sur de foibles tons
Me chanter, pleureur insipide,

De longues lamentations:
Un esprit mâle et vraiment sage,
Dans le plus invincible ennui,
Dédaignant le triste avantage
De se faire plaindre d'autrui,
Dans une égalité hardie
Foule aux pieds la terre et le sort,
Et joint au mépris de la vie
Un égal mépris de la mort;
Mais sans cette âpreté stoïque,
Vainqueur du chagrin léthargique,
Par un heureux tour de penser,
Je sais me faire un jeu comique
Des peines que je vais tracer.
Ainsi l'aimable poésie,
Qui dans le reste de la vie
Porte assez peu d'utilité,
De l'objet le moins agréable
Vient adoucir l'austérité,
Et nous sauve au moins

Des ennuis de la vérité.

C'est

par

par cette vertu magique

Du télescope poétique

Que je retrouve encore les ris

Dans la lucarne infortunée

Où la bizarre destinée

Vient de m'enterrer à Paris.

la fable

Sur cette montagne empestée

Où la foule toujours crottée
De prestolets provinciaux

Trotte sans cause et sans repos
Vers ces demeures odieuses
Où regnent les longs arguments
Et les harangues ennuyeuses,
Loin du séjour des agréments;
Enfin, pour fixer votre vue,
Dans cette pédantesque rue
Où trente faquins d'imprimeurs,
Avec un air de conséquence,
Donnent froidement audience
A cent faméliques auteurs,

Il est un édifice immense
Où dans un loisir studieux
Les doctes arts forment l'enfance

Des fils des héros et des dieux :
Là, du toit d'un cinquième étage
Qui domine avec avantage
Tout le climat grammairien,
S'élève un antre aérien,
Un astrologique ermitage,

Qui paroît mieux, dans le lointain,
Le nid de quelque oiseau sauvage
Que la retraite d'un humain.

C'est pourtant de cette guérite, C'est de ce céleste tombeau, Que votre ami, nouveau stylite,

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