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Et se couchera dans les fleurs.

Pour prévenir la décadence
Du nouvel établissement,
Nul indiscret, nul inconstant,
N'entrera dans la confidence:
Ce canton veut être inconnu.
Ses charmes, sa béatitude,
Pour base ayant la solitude,
S'il devient peuple, il est perdu.
Les états de la république
Chaque automne s'assembleront;
Et là notre regret unique,
Nos uniques peines seront
De ne pouvoir toute l'année
Suivre cette loi fortunée
De philosophiques loisirs,
Jusqu'à ce moment où la Parque
Emporte dans la même barque

Nos jeux, nos cœurs, et nos plaisirs.

LES OMBRES.

A M. D. D. N.

Des régions de Sylphirie,
De ce séjour aérien

Dont ma douce philosophie
Sait bannir la mélancolie

En rimant quelque aimable rien,
Salut, santé toujours fleurie,
Solitude, et libre entretien
A la république chérie

Dont une tendre rêverie

M'a déja rendu citoyen.

Dans votre épître ingénieuse
Vous prétendez que le pinceau
Qui vous a tracé la CHARTREUSE
N'en a pas fini le tableau,
Et vous m'engagez à décrire
D'un crayon léger et badin
La carte du classique empire,
Et les mœurs du peuple latin.

A la gaieté de nos maximes
Pour ajuster ce grave objet,
Et ne point porter dans mes rimes
La sécheresse du sujet,

Écartons la muse empesée

Qui, se guindant sur de grands mots,

Préside à la prose toisée
Des poëtes collégiaux.
Je vous ai dépeint l'Élysée
Dans le plaisir pur et parfait
De mon ermitage secret:
Par un contraste assez bizarre,
Dans ce nouvel amusement,
Je vais vous chanter le Ténare,
Non sur un ton triste et pesant;
Ennemi des muses plaintives,
Jusque sur les fatales rives
Je veux rimer en badinant.

Un peuple de jeunes esclaves
Dans un silence rigoureux,

Des pleurs, des prisons, des entraves,

Un séjour vaste et ténébreux,
Des cœurs dévoués à la plainte,
Des jours filés par les ennuis,
N'est-ce point la fidéle empreinte
Du triste royaume des nuits?
N'en doutez point, ce que la fable
Nous a chanté des sombres bords,
Cette peinture redoutable

Du profond empire des morts,
C'étoit l'image prophétique

Des manoirs que j'offre à vos yeux,

Et l'histoire trop véridique

De leurs habitants malheureux.
Avec l'Érébe et son cortège
Confrontez ces antres divers,
Et dans le portrait d'un collège
Vous reconnoîtrez les enfers.
Tel étoit le vrai paralléle
Que dans cette dernière nuit
Un songe offroit à mon esprit :
Aminte, je me le rappelle;
Dans ce délire réfléchi

Je croyois vous conduire ici;
Et, si ma mémoire est fidéle,
Je vous entretenois ainsi :
Venez, de la docte poussière
Osez franchir les tourbillons;
Perçons l'infernale carrière
Des scolastiques régions :

Là, comme aux sources du Cocyte,
On ne connoît plus les beaux jours;
Sur cette demeure proscrite
La nuit semble régner toujours;
Là, de la charmante nature
On ne trouve plus les beautés;
Les eaux, les fleurs, ni la verdure,
N'ornent point ces lieux détestés;
Les seuls oiseaux d'affreux augure
Y forment des sons redoutés.

77

Dès l'abord de ce gouffre horrible
Tout nous retrace l'Achéron.
Voyez ce portier inflexible,
Qui, payé pour être terrible,
Et muni d'un cœur de Huron,
Réunit dans son caractère

La triple rigueur de Cerbère
Et l'ame avare de Caron :
Ainsi que ces ombres légères
Qui pour leurs demeures premières
Formoient des regrets et des vœux,
Les jeunes captifs de ces lieux
Voltigent auprès des barrières,
Sans pouvoir échapper aux yeux
De ce satellite odieux.

Entrons sous ces voûtes antiques
Et sous les lugubres portiques
De ces tribunaux renommés:
Au lieu de ces voiles funébres
Qui de l'empire des ténèbres
Tapissoient les murs enfumés,
D'une longue suite de thèses
Contemplez les vils monuments,
Archives de doctes fadaises,
Supplice éternel du bon sens.
A la place des Tisiphones,

Des Sphinx, des Larves, des Gorgones,
Qui du Styx étoient les bourreaux,

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