645974-121 SUR GRESSET. Les grands poëtes du siècle de Louis XIV avoient disparu, léguant, dans leurs immortels écrits, à la littérature du siècle qui s'ouvroit, de nobles sujets d'admiration, d'étude, et de découragement. Parmi les imitateurs de ces sages et brillants modėles, Rousseau le lyrique, moins riche en inspiration qu'en harmonie, mais dernier témoin des dernières clartés de ce beau siècle, faisoit entendre encore, sur les rives de la Dyle, des accents où se reproduisoient, souvent avec un rare bonheur d'expression, et l'audacieuse élégance d'Horace et la pompeuse mélodie des choeurs d'Esther et d'Athalie. Tandis que, mêlant à ces heureuses imitations du psalmiste les jeux d'une muse licencieuse, il se précipitoit vers son déclin, un nouveau phénomène s'étoit élevé sur l'horizon. Voltaire, déja fier d'une épopée donnée à la France et presque improvisée, déja maître de la scène tragique où il avoit fait parler éloquemment et les antiques douleurs d'OEdipe et les douleurs plus attendrissantes de Zaïre, jetoit à pleines mains, dans une multitude de poésies légères, ces fleurs d'imagination, cette verve d'esprit, ces graces lestes et familières, dont il avoit pris l'ha bitude au milieu des mœurs de la régence, et qui en retraçoient un peu le souvenir. Toutes les palmes littéraires sembloient déja devoir être son partage, tous les regards étoient dirigés vers lui, quand on vit roître l'ingénieux et brillant badinage de Ver-Vert. pa L'étonnement qu'excita l'apparition de ce petit poëme, la promptitude avec laquelle les éditions s'en multiplièrent, le suffrage de Paris qui s'étendit rapidement à l'étranger, les éloges de J. B. Rousseau qui, malgré l'humeur chagrine et jalouse qu'entretenoit en lui la rigueur de son exil, vantoit le VerVert comme un phénomène, dont l'auteur, ajoutoit-il, nous efface tous dès sa naissance1; les louanges plus tardives du roi de Prusse qui, comme poëte, célébra Gresset dans une ode, et comme roi, le pressa de venir embellir sa cour; tous ces témoignages divers d'une admiration décernée à l'auteur d'un si petit ouvrage pouvoient bien signaler une époque d'affoiblissement dans les lettres; mais ce petit ouvrage même révéloit à la France un talent très réel et un poëte vraiment original; car il n'avoit imité ni la burlesque épopée d'Homère, ni le Lutrin de Boileau, ni le poëme héroï-comique dont Pope avoit enrichi le Parnasse britannique. C'est en vain aussi qu'on eût cherché dans la couleur générale de son style quelque trace d'imitation. L'auteur n'avoit fait que suivre son heureux instinct. Il y avoit donc un fondement Lettre à M. de Lasséré, conseiller au parlement. |