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de célestes, de bêtes à manger du foin, etc., etc., c'est, il faut en convenir, le plus étrange aveuglement de l'esprit ou le plus inconcevable oubli des bienséances. D'Alembert, qui reçut à l'Académie le successeur de Gresset, prétend que ce langage extraordinaire fut écouté avec un silence respectueux et avec une sorte de douleur; je m'en rapporte plutôt au témoignage de Gresset lui-même, qui, dans une lettre destinée à accompagner l'envoi de son discours imprimé, parle de quelques murmures et d'une fermentation très sensible; et en vérité la chose ne pouvoit guère se passer

autrement.

L'auteur au reste, qui avoit alors soixante-cinq ans, n'étoit plus d'âge à faire son profit de la sévérité de cette leçon. Les murmures qui frappèrent son oreille l'avertirent si peu de ce que son langage avoit de ridicule que, dans la lettre dont je viens de parler, il explique l'étonnement du public en disant que sans doute on attendoit de lui un petit jargon aveɔ toutes les bombes du ton exalté, ou du moins avec tous les petits bouquets d'artifice, et tous les lampions du style moderne. Si c'eût été là ce qu'on attendoit de lui, le public auroit été servi à souhait, et il n'y auroit pas eu de quoi se récrier.

On est forcé d'avouer que le parti qu'avoit pris Gresset de fuir la capitale, et d'aller s'ensevelir dans les habitudes routinières d'une vie de province et dans la douce obscurité des soins du ménage, fut sans doute pour lui une époque de bonheur domes

tique, mais en fut une aussi de dégénération bien sensible pour son talent.

Les mêmes défauts de goût, les mêmes écarts qui viennent de nous frapper dans sa prose, s'étoient étendus à sa poésie. C'est dans les vers faits à Amiens qu'il nous parle

Des freluquets lilas ou verts

Et des oisons couleur de rose ;

c'est là qu'il craint de substituer

Les ronces du persiflage
Aux guirlandes de l'enjouement;

ou de

Déployer des pavots

Sur les roses de la patrie 2.

On sent tout de suite, au déclin de son goût et à l'appauvrissement de son imagination, qu'il n'a plus devant les yeux, ni ces grands modèles de ridicules que Paris lui offroit si complaisamment, ni les ressources qu'il puisoit pour les retracer dans les entretiens des hommes de lettres et même dans les conversations des gens du monde. Ses regards ne s'arrêtent plus que sur les travers imperceptibles, sur les obscures manies de quelques provinciaux désouvrés; et, quand il veut reproduire ces petites scènes

1 Vers sur un mariage.

* Vers sur l'effet produit par son discours.

minutieuses, il ne sait retrouver ni la finesse de sa touche, ni l'élégante pureté de ses couleurs.

Son talent étoit dans cet état d'affoiblissement quand il composa le Parrain magnifique, qui ne parut que trente-trois ans après sa mort. Il avoit à peindre l'avarice fastueuse d'un vieil abbé commandataire' qui, s'étant chargé de tenir un enfant sur les fonts de baptême, et se sentant dominé tout à-la-fois par ses goûts sordides et par le sentiment exagéré de sa dignité, ne trouve d'autre expédient pour satisfaire ces deux passions, que de faire tenir l'enfant par un fondé de pouvoir, exigeant que tous les honneurs dus à son rang fussent rendus à son représentant, et présumant bien que celui-ci seroit seul accusé de la mesquinerie que lui-même se proposoit de mettre dans les frais qu'occasione une pareille cérémonie.

Ce petit sujet pouvoit fournir quelques détails piquants; mais le chantre de Ver-Vert avoit perdu la fraîcheur et l'éclat de sa voix. A peine trouve-t-on dans le Parrain quelques lueurs foibles et pâles de son premier talent. Son style y est communément aussi lâche qu'entortillé. Il y prouve sur-tout que son esprit ne sait plus se borner; car il n'y avoit là que de quoi faire un conte de deux ou trois cents vers,

Il paroît que le modèle du Parrain magnifique étoit l'abbé de Pomponne, doyen des conseillers d'état, qui avoit tenu l'enfant d'un de ses fermiers, avec toute la mesquinerie que Gresset prête au personnage ridicule de son poëme.

et l'auteur a noyé son sujet dans l'étendue démesurée de dix chants.

On paroît regretter beaucoup la perte du Gazetin', autre petit poëme du même genre, écrit à peu près dans le même temps, et dont on n'a pu retrouver qu'une cinquantaine de vers avec le plan de l'ouvrage, qui a quatre chants. Voici en deux mots le sujet de cette petite production. Un homme goutteux, presque impotent, n'a d'autre consolation, d'autre amusement que la lecture des gazettes, dont il fait ses délices. Un matin que sa nièce et son domestique l'ont laissé seul dans son lit, occupé de sa lecture favorite, il en est distrait un moment par les gambades et les gentillesses de son jeune chien. Le petit animal saute sur le lit du malade, et disperse, d'abord avec assez de ménagement, l'amas de papiers dont son maître est entouré; mais bientôt encouragé par le plaisir que le malade semble prendre à ses jeux folâtres, le chien finit par se jeter sur un journal de Hollande, qu'il déchire à belles dents et qu'il laisse en morceaux. Le maître se livre au désespoir, et ne se console que lorsqu'on lui apporte la Gazette de France.

Pour tirer quelque parti d'un fond aussi pauvre, il eût fallu un art, une adresse, une mesure d'esprit et de goût qui semblent ne plus être le partage de

r

L'original du Gazetin étoit un M. Gossin, médecin.

Gresset. On s'aperçoit qu'il revient sur ses premières idées; mais il ne savoit plus ni deviner les ridicules qu'il avoit perdus de vue, ni choisir parmi ceux qui s'offroient à ses regards. Son talent se borne presque uniquement à répéter, sans pouvoir les rajeunir, ces petits tableaux de genre, ces petites scènes d'intérieur, dont ses pinceaux, guidés par une main plus Jeune et plus habile, avoient déja pris toute la fleur.

C'est par ce retour vers ses anciennes idées, et dans une inspiration tout aussi malheureuse, ce me semble, qu'il eut la pensée d'ajouter à Ver-Vert les deux nouveaux chants de l'Ouvroir et des Pensionnaires. Le sujet deVer-Vert, tel qu'il l'avoit traité à vingt-cinq ans, offre un ensemble complet et irréprochable. Il étoit difficile d'y rien ajouter sans en détruire les proportions. Ces deux chants, qu'il eût sans doute placés à la suite, ne pouvoient donc valoir que par le mérite des détails: ils ont été perdus, ou détruits par Gresset lui-même. Mais comme il en avoit fait des lectures publiques et particulières, il en est resté dans la mémoire des contemporains quelques vers, qui ont été recueillis par les derniers éditeurs de ses œuvres. Ces vers, ou plutôt ces lambeaux de vers, défigurés peut-être par l'infidélité de la mémoire qui les a transmis, ne peuvent donner aucune idée des deux morceaux dont ils faisoient partie.

Quel que soit le jugement qu'on porte des productions de Gresset qui n'ont été publiées qu'après sa mort, il faut reconnoître du moins que, s'il n'avoit

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