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loi, et sans les formalités qu'elle a prescrites. Quels sont ces cas où le domicile d'un citoyen peut légalement être violé ? Quelles sont les formalités qui environnent et protégent le citoyen dans cette violation même ?

L'inviolabilité du domicile, est, nous l'avons dit, le principe général; mais, à côté de ce principe, la loi a formulé quelques exceptions dont il importe de poser avec netteté l'étendue et les limites.

Pour déterminer ces cas exceptionnels, il faut distinguer si l'introduction a lieu pendant la nuit ou pendant le jour. Nul n'a le droit d'entrer pendant la nuit dans la maison d'un citoyen, si ce n'est dans les cas d'incendie, d'inondation ou de réclamation venant de l'intérieur de la maison 1. Il est évident que de telles exceptions, établies précisément dans l'intérêt des habitants de la maison, n'affaiblissent nullement la règle : l'inviolabilité de chaque maison pendant la nuit peut donc être considérée comme un principe absolu. 865. Mais ce principe n'étend pas sa protection jusqu'aux maisons ouvertes au public. Les articles 9 et 10 du titre 1o de la loi du 19-22 juillet 1791 portent : « A l'égard des lieux où tout le monde est admis indistinctement, tels que cafés, cabarets, boutiques et autres, les officiers de police pourront toujours y entrer, soit pour prendre connaissance des désordres ou contraventions aux règlements, soit pour vérifier les poids et mesures, le titre des matières d'or et d'argent, la salubrité des comestibles et médicaments... Ils pourront aussi entrer en tout temps dans les maisons où l'on donne habituellement à jouer des jeux de hasard, et dans les lieux livrés notoirement à la débauche. » L'art. 235 de la loi du 28 avril 1816 a ajouté à cette nomenclature les brasseries et distilleries en activité : « Les visites et exercices pourront être faits la nuit dans les brasseries, distilleries, lorsqu'il résultera des déclarations que ces établissements sont en activité. » Mais, dans ce dernier cas, le pouvoir des employés est limité au temps de l'activité.

1. L 5 fruct. an III, art. 359; 1. 28 germ. an VI, art. 131; 1. 22 frim. an VII, art. 76.

Quelques doutes s'étaient élevés sur le sens de ces expressions toujours, en tout temps, dont s'est servie la loi du 19-22 juillet 1791 : l'assemblée législative déclara, par un décret du 24 septembre 1792, que ces termes attribuaient aux officiers de police le droit d'entrer même pendant la nuit dans les maisons ouvertes au public.

Mais que faut-il entendre par la nuit ? Où commence-t-elle, où s'arrête-t-elle dans l'intention de la loi ? Cette question se trouve résolue, à l'égard de l'introduction dans les maisons particulières, par le décret du 4 août 1806, portant: «< Le temps de nuit, où l'art. 131 de la loi du 28 germinal an VI défend à la gendarmerie d'entrer dans les maisons des citoyens, sera réglé par les dispositions de l'art. 1037 du Code de procédure civile. » En conséquence, la prohibition d'entrer dans les maisons particulières, si ce n'est dans les cas que nous venons d'énumérer, existe, savoir: depuis le 1er octobre jusqu'au 31 mars, avant six heures du matin et après six heures du soir; et depuis le 1er avril jusqu'au 30 septembre, avant quatre heures du matin et après neuf heures du soir 1.

Mais cette disposition ne saurait s'appliquer à l'introduction des officiers dans les maisons ouvertes au public. En effet, tout le pouvoir de ces officiers se puise dans les art. 9 et 10 du titre 1er de la loi du 19-22 juillet 1791, dont nous avons rapporté les textes; or, il nous semble résulter de ces articles que le droit de visite est subordonné pendant la nuit à l'ouverture même de ces lieux, c'est-à-dire qu'il ne peut être exercé que pendant le temps qu'ils sont ouverts au public. Cela ressort clairement de ces expressions mêmes de la loi, à l'égard des lieux où tout le monde est admis indistinctement; car il serait étrange de supposer que le droit de visite de ces officiers pendant la nuit put être la conséquence de l'admission du public pendant le jour. C'est donc lorsque le lieu est ouvert à tout le monde, que la loi a voulu qu'il fût

1. La loi anglaise définit la nuit en termes beaucoup plus vagues; elle existe lorsque l'aube ou le crépuscule ne permet pas de distinguer la face d'un homme, to discern a man's face, though the sun be set or not risen.

également ouvert aux officiers publics. Cette interprétation, que la Cour de cassation a formellement consacrée 1, se trouve d'ailleurs confirmée, soit par l'art. 235 de la loi du 28 avril 1816, qui dispose que les employés peuvent se présenter chez les débitants de boissons pendant tout le temps que les lieux de débit seront ouverts au public; soit par l'article 129 de la loi du 28 germinal an VI, qui autorise la gendarmerie à visiter les auberges, cabarets et autres maisons ouvertes au public, même pendant la nuit, jusqu'à l'heure où lesdites maisons doivent être fermées d'après les règlements de police 2.

866. Le principe de l'inviolabilité du domicile reçoit des exceptions plus nombreuses pendant le jour. La loi a formulé ces exceptions dans cette seule règle : <<< On peut entrer dans le domicile d'un citoyen pour un objet spécial déterminé par une loi, ou par un ordre émané d'une autorité publique 3. »>

L'exécution de cette faculté a lieu lorsqu'il s'agit d'exercer une surveillance, ou de procéder à des vérifications prescrites par la loi; de mettre à exécution soit des ordres d'arrestation, soit des condamnations à des peines corporelles; enfin, d'opérer des visites domiciliaires pour découvrir les traces d'un crime, d'un délit ou d'une contravention. Examinons dans quelles limites ce pouvoir doit être exercé.

L'article 8 du titre Ier de la loi du 19-22 juillet 1791 autorise les officiers de police municipale à pénétrer dans les maisons des citoyens pour la confection des états de recensement, pour la vérification des registres des logeurs, pour l'exécution des lois sur les contributions directes.

1 Cass., 12 nov. 1830, Journ. du dr. crim., 1830, p. 24.

2. ** Comp. cass., 22 nov. 1872; Bull., no 284: arrêt décidant que le refus du cabaretier d'ouvrir aux gendarmes qui se présentent pour dresser procès-verbal, même pendant la nuit, constitue une contravention à l'arrêté préfectoral, d'ailleurs légal et obligatoire, qui donne aux gendarmes le droit de pénétrer à toute heure du jour ou de la nuit, dans les cabarets et autres lieux publics, alors qu'il y a grave présomption d'infraction à l'heure de la fermeture des lieux publics.

3. Lois 5 fruct. an III, art. 359; 28 germ. an VI, art. 131; 22 frim. an VIII, art. 76.

Ces mêmes officiers peuvent entrer dans les maisons ouvertes au public pour y vérifier les poids et mesures, le titre des matières d'or et d'argent, la salubrité des comestibles et des médicaments 1, pour y constater les contraventions aux règlements 2, enfin pour y surveiller les désordres qui peuvent s'y commettre, et rechercher les personnes qui auraient été signalées à la justice 3.

867. Les ordres d'arrestation, c'est-à-dire les mandats d'amener, les mandats d'arrêt, les ordonnances de prise de corps et les jugements et arrêts de condamnation, ne donnent pas aux agents qui en sont porteurs le droit d'entrer dans toutes les maisons où ils suspectent que l'individu objet de la perquisition peut se trouver ce droit n'existe qu'à l'égard du domicile même du prévenu ou du condamné. Cela résulte positivement des articles 36 et 37 du Code d'instruction criminelle, de l'article 131 de la loi du 28 germinal an VI, et de l'article 185 de l'ordonnance du 29 octobre 1820; ce dernier article porte: « Lorsqu'il y aura lieu de soupçonner qu'un individu déjà frappé d'un mandat d'arrestation, ou prévenu d'un crime ou délit pour lequel il n'y aurait pas encore de mandat décerné, s'est réfugié dans la maison d'un particulier, la gendarmerie peut seulement garder à vue cette maison, ou l'investir en attendant l'expédition des ordres nécessaires pour y pénétrer et y faire l'arrestation de l'individu réfugié. » Ce dernier cas rentre alors dans les règles relatives aux visites domiciliaires.

Le législateur a abusé quelquefois des visites domiciliaires; une loi du 10 août 1792 les autorise pour la recherche des armes qui se trouvent chez les citoyens; une loi du 28 août 1792, pour constater la quantité des munitions et le nombre des armes; une loi du 4 mai 1793, pour vérifier la quantité des grains et farines; une loi du 26 thermidor an VII, pour l'arrestation des embaucheurs, des émigrés et des brigands. L'art. 359 de la constitution du 5 fructidor an III posa en

1. Loi 19-22 juillet 1791, t. 1er, art. 9.

2. Ibid.

3. Ibid., art. 129; loi 28 germ. an VI,

règle « qu'aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu qu'en vertu d'une loi, et pour la personne ou l'objet expressément désigné dans l'acte qui ordonne la visite ». La loi soumet les visites à des règles différentes, suivant qu'elles ont pour objet l'intérêt général de la répression des crimes et des délits, ou l'intérêt spécial du fisc.

868. Aux termes de l'article 87 du Code d'instruction criminelle, le juge d'instruction a le droit de se transporter d'office, ou sur la réquisition du procureur de la République, dans le domicile du prévenu, pour y faire les perquisitions et les recherches utiles à la manifestation de la vérité. Ce droit peut même s'étendre, d'après l'article 88, aux autres lieux où le juge présumerait que les objets indicateurs ont été déposés; mais c'est à ce magistrat seul que la loi délègue la délicate mission de faire de telles perquisitions : le procureur de la République et ses auxiliaires ne peuvent y procéder que dans le seul cas de flagrant délit, et leur pouvoir est restreint sous un double rapport: il faut, pour qu'ils puissent agir, que le fait de flagrant délit soit qualifié crime par la loi (art. 32 et 40); et ils ne sont autorisés à pénétrer que dans la seule maison du prévenu (art. 36 et 40). Les formalités que le juge d'instruction, le procureur de la République et les officiers de police judiciaire doivent accomplir dans ces opérations, sont indiquées par les art. 38 et 39 du Code d'instruction criminelle 1.

869. L'intérêt du fisc a fait accorder le même droit, dans certains cas, aux gardes forestiers, aux préposés de l'administration des contributions indirectes, aux préposés des douanes.

L'art. 161 du Code forestier, après avoir prescrit aux gardes. de suivre les objets enlevés par les délinquants jusque dans les lieux où ils auront été transportés, ajoute: « Néanmoins, ils ne pourront s'introduire dans les maisons, bâtiments, cours adjacentes et enclos, si ce n'est en présence soit du juge de paix ou de son suppléant, soit du maire du licu ou de son adjoint, soit du commissaire de police. » La question s'est

1. V. notre Traité de l'instr. crim., t. IV, nos 1800 et suiv.

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