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voix, n'a pas été adopté ; et le président a déclaré qu'il était renvoyé à la Commission. (Séance du 13 avril).

964. Une nouvelle rédaction a été apportée à la séance du 17 avril (Moniteur du 18). En voici le texte, qui est entré définitivement dans la loi :

Art. 222. Lorsqu'un ou plusieurs magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire, lorsqu'un ou plusieurs jurés auront reçu, dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de cet exercice, quelque outrage par paroles, par écrit ou dessin non rendus publics, tendant dans ces divers cas à inculper leur honneur ou leur délicatesse, celui qui leur aura adressé cel outrage sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans. Si l'outrage par paroles a lieu à l'audience d'une Cour ou d'un tribunal, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans.

Cette troisième rédaction n'a donné lieu à aucune objection.

M. Ernest Picard a dit : « La Commission, pour donner satisfaction à notre commentaire et pour renverser la jurisprudence, a rédigé l'article en ajoutant aux mots outrage reçu cette phrase: Celui qui leur aura adressé cet outrage », afin de bien limiter la peine au cas où la personne qui a outragé adresse directement l'outrage aux magistrats et l'adresse intentionnellement. Cela est bien entendu, et avec cette interprétation nous sommes de l'avis du Conseil d'Etat. Il est bien entendu que ces mots écrit non rendu public sont limités à ce qui est lettre missive ou l'équivalent d'une lettre missive, et que jamais, quand l'écrit privé n'aura pas été adressé directement et volontairement au magistrat, la loi pénale ne pourra l'atteindre. Nous aimerions à entendre cette déclaration de la part des organes du Gouvernement. »

M. de Parieu « Jamais il n'y a eu de dissidence sérieuse sur cette circonstance qu'il fallait l'intention de faire arriver l'outrage au magistrat pour qu'il y eût délit commis. Il est évident que dans le Conseil d'Etat nous l'avons compris ainsi. Je me suis expliqué constamment en ce sens, lorsque l'art. 222 était en discussion pour la première fois. Par conséquent, lorsque la rédaction préparée par les efforts nouveaux de la Commission et du Conseil d'Etat est plus prononcée en ce sens et plus claire que la précédente, la déclaration demandée est superflue. Elle est dans tous les cas renouvelée si elle était nécessaire. » L'art. 222 a été adopté (séance du 17 avril.

Il nous semble que cette longue discussion n'a pas été inutile. Elle révèle les inquiétudes qu'avait suscitées dans le Corps législatif cette incrimination nouvelle, et l'intention, très nettement exprimée, d'en restreindre la portée, en ce qui concerne l'auteur du dessin ou de l'écrit, au seul cas où l'auteur a voulu l'adresser ou le faire adresser au fonctionnaire. Il ne pourra invoquer comme excuse ni le défaut de publicité, ni les moyens détournés qu'il aurait employés pour faire parvenir l'injure à celui qui en est l'objet, mais ce ne sera pas assez pour l'application de la loi de prouver qu'il est l'auteur de cet outrage, il faudra établir que, par une espèce de voie de fait qui remplace la parole, il l'a d'une manière quelconque adressé à la personne outragée. Il est inutile de rappeler que l'outrage ne peut d'ailleurs exister que lorsqu'il a pour objet l'exercice de la fonction. La circulaire du ministre de la justice ajoute : « Dans le cas de non-publicité, vous devrez considérer la plainte préalable de l'offensé comme une condition indispensable que la prudence, à défaut de la loi, impose à l'exercice de l'action publique, dont vous restez toujours maître d'apprécier l'opportunité. »

965. Le premier élément du délit est que la personne outragée soit revêtue de la qualité indiquée par la loi. Or, que faut-il entendre par les magistrats de l'ordre administratif et judiciaire ? En général, la dénomination de magistrat de l'ordre administratif appartient aux fonctionnaires administratifs qui ne sont ni officiers ministériels, ni agents de la force publique : tels sont les préfets, les maires et leurs adjoints. La jurisprudence a reconnu la même qualité aux commissaires de police ; elle l'a refusée aux membres de la chambre des députés 2, aux percepteurs des contributions 3. Les magistrats de l'ordre judiciaire sont tous les juges, tous les membres du ministère public; ainsi les maires et leurs adjoints et les commissaires de police.

1. Cass., 30 juill. 1812, Bull. n. 177, 9 mars 1837.

2. Cass., 20 oct. 1820, Bull. n. 138.

3. Cass., 25 juill. 1821, Bull. n. 144.

rentrent encore dans cette catégorie, lorsqu'ils exercent les fonctions du ministère public près les tribunaux de police. Mais les officiers de police judiciaire doivent-ils être rangés dans cette classe ? La question ne peut s'élever qu'à l'égard des officiers de gendarmerie et des gardes champêtres et forestiers. Or, ces fonctionnaires se trouvant déjà qualifiés commandants ou dépositaires de la force publique, cette qualité absorbe celle de magistrat, et fait obstacle à ce qu'ils puissent être considérés sous ce deuxième rapport.

La jurisprudence a fait encore application de l'art. 222, en les classant parmi les magistrats de l'ordre administratif, aux présidents des assemblées électorales, « attendu que, lorsqu'ils sont installés en cette qualité, ils sont incontestablement des dépositaires de l'autorité publique, soit qu'ils doivent leur mandat aux fonctions administratives ou judiciaires dont ils sont revêtus, soit qu'ils le doivent, dans les cas déterminés par les lois, à l'élection des citoyens qui en ont reçu de la loi la mission 2; « aux maires, lorsqu'ils président le conseil municipal, puisque c'est en leur qualité de maire qu'ils remplissent cette fonction 3. Mais elle n'a pas reconnu cette qualité au président d'une société de secours mutuels, quoiqu'il soit nommé par le Chef du pouvoir exécutif, et elle a décidé que l'outrage qui lui était adressé ne rentrait pas dans les termes de l'art. 222.

966. Le deuxième élément du délit est que l'outrage ait été reçu dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de leur exercice 5. Nous ne reviendrons pas sur cette règle générale, dont

1. Cass., 7 août 1818, Dall., t. 11, p. 96.

2. Cass., 19 août 1837, Bull. n. 246.

3. Cass., 17 mai 1845, Bull. n. 175; 8 nov. 1844, Bull. 363.

4. Cass., 13 mai 1859, Bull. n. 124. ** Jugé que le bach-adel et l'adel, suppléants du cadi, en Algérie, sont des magistrats de l'ordre judiciaire, et qu'un caïd est un magistrat de l'ordre administratif (Cass., 1er mars 1884; Bull. no 63).

5. ** Les juges du fait sont souverains pour apprécier si les outrages adressés à un fonctionnaire lui sont adressés à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, ou personnellement comme simple particulier (Cass., 13 janv. 1876; Bull. n. 15).

nous avons indiqué le sens et les limites. Nous ajouterons seulement: 1° que l'outrage qui s'attaque, non à la fonction ellemême, mais à l'aptitude du fonctionnaire à la remplir, à la manière dont il l'exerce habituellement, doit être réputé commis à l'occasion de l'exercice de la fonction 1; 2° qu'il importe peu que l'outrage ait été motivé par des faits étrangers à la fonction, et ait attaqué dans l'homme public l'homme privé, si le fonctionnaire se trouvait en ce moment dans l'exercice de sa fonction 2. Mais on doit remarquer que de cette formule il ne résulte point que la publicité soit nécessaire pour constituer l'outrage; car cet outrage peut se rapporter aux fonctions ou se commettre pendant leur exercice, sans se manifester publiquement: tels sont les outrages qui se commettent dans un lieu non public, dans la maison particulière du magistrat. La non-publicité de l'outrage ne lui ôte pas son caractère; c'est en ce sens que la jurisprudence s'est constamment prononcée 3. Il est évident qu'il y a outrage: 1° dans l'allégation d'un plaideur disant à un magistrat qui a jugé son procès, que « s'il l'a perdu, c'est que sa partie adverse lui avait envoyé des œufs»; 2° dans l'affirmation faite dans une réunion d'un conseil municipal par un membre du conseil, que le maire aurait menti en rendant compte de travaux exécutés sur un chemin rural 5; 3° dans le fait d'un prévenu qui reproche aut ministère public d'avoir envenimé la poursuite exercée contre lui dans un but de vengeance personnelle 6.

967. Le caractère de l'outrage forme le troisième élément du délit. Et d'abord, est-il nécessaire, pour l'application de l'art. 222, que le fait constitutif de l'outrage ait été commis en présence du magistrat ? Ce point pouvait donner lieu à quelques doutes avant la loi du 13 mai 1863. En effet, l'ancien

1. Cass., 10 mai 1845, Bull. n. 169.

2. Cass., 27 août 1858, Bull. n. 241.

3. Cass., 13 mars 1812, Bull. p. 106; 2 avril 1825, Bull. p. 193; 23 janv. 1829, Journ. du dr. crim., 1829, p. 72.

4. Cass., 17 août 1863, Bull. n. 175. 5. Cass., 20 juill. 1866, Bull. n. 187. 6. Cass., 20 déc. 1867, Bull. n. 264.

texte de cet article voulait que le magistrat eût reçu l'outrage et l'art. 228 suppose qu'il a pu éprouver des violences. Ensuite il semblait de l'essence de l'outrage d'être fait à la personne elle-même qui en est l'objet : proféré de loin, c'est une diffamation ou une injure, ce n'est plus un outrage, parce que le magistrat n'en est pas atteint immédiatement. Cependant il avait été admis par la jurisprudence << que ni les art. 222 et 223, ni aucune autre loi n'exigent que, pour être punissables, les outrages par paroles envers un magistrat soient proférés en sa présence 1. » Mais aujourd'hui la question ne peut plus s'élever, puisque la nouvelle rédaction de l'art. 222 admet l'outrage, non-seulement par paroles, mais par écrit et même par dessin. Il est clair que la présence du magistrat, quoique le rapporteur ait paru la réserver comme une règle générale sinon absolue de l'outrage par paroles, n'est plus une condition du délit 2.

968. Mais il est nécessaire que l'outrage soit adressé directement à la personne qui en est l'objet. C'est ce qu'indiquent ces termes de la loi « celui qui leur aura adressé cet ou trage...», et c'est ce qui résulte nettement de la discussion que nous avons rapportée. C'est aussi dans ce sens que la loi a été interprétée par la jurisprudence. Dans une espèce où des propos injurieux envers un maire avaient été tenus hors de sa présence, il avait été jugé que le délit de l'art. 222 n'existait pas, parce qu'il n'était pas certain que les témoins dussent les rapporter au maire et que le prévenu voulût qu'ils lui fussent rapportés. Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté : «< Attendu que le nouvel article 222 exige, comme condition constitutive du délit d'outrage qu'il caractérise, que l'outrage reçu par le magistrat lui ait été adressé; que la portée de cette condition qui a été ajoutée à celles qui suffisaient, suivant l'ancienne rédaction de l'article, pour constituer le délit, conduit nécessairement à cette pensée qu'aujour d'hui l'outrage, quand il n'est pas public, doit être direct, en

1. Cass., 8 oct. 1842, Bull. n. 267; 20 déc. 1850, n° 432. Contrà, Cass., 10 avril 1817, J. P., xiv, 173.

2. Cass., 20 déc. 1867, Bull. n. 264.

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