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ce sens que les paroles outrageantes doivent être prononcées en présence du magistrat, ou tout au moins de personnes placées vis-à-vis de lui dans un état de relations tel que le prévenu, en les prononçant, ait entendu les faire arriver par ces intermédiaires jusqu'au magistrat outragé ». Ainsi, quand il s'agit d'un outrage par paroles, il faut, ou que l'outrage ait été commis en présence du magistrat ou que, commis en son absence, il l'ait été avec la volonté qu'il lui soit rapporté; il faut, suivant les termes d'un autre arrêt, « que l'outrage ait été porté à la connaissance du magistrat et que ce résultat ait été obtenu par la volonté du prévenu 2. » Ainsi, en ce qui concerne l'outrage verbal comme en ce qui concerne l'outrage par écrit, il est nécessaire que le prévenu se soit adressé directement au magistrat, ou, s'il a pris un intermédiaire, qu'il l'ait pris avec l'intention d'une communication directe et dans des conditions qui en assureraient l'accomplissement 3.

969. Enfin, l'outrage par paroles doit, pour être incriminé, être de nature à inculper l'honneur ou la délicatesse du magistrat. Pris dans un sens générique, l'outrage est toute injure faite d'une manière quelconque à un fonctionnaire : l'art. 222 a restreint cette acception; il a créé une espèce dans le genre; il ne punit pas tout outrage, mais seulement celui qui par son caractère tend le plus à paralyser l'autorité morale,

1. Cass., 15 déc. 1865, Bull. n. 227. ** V. aussi Cass., 21 juin 1873;

Bull. n° 172.

2. Cass., 17 mars 1866, Bull. n. 79.

3. ** Il a été jugé que l'application de l'art. 222 est justifiée, lorsque l'arrêt constate que le prévenu, en remettant à l'imprimeur un écrit outrageant pour le préfet, savait que, par suite de la formalité du dépôt, 'cet, écrit devait arriver à la connaissance du fonctionnaire outragé (Cassation 5 juin 1875; Bull. no 179). Cette solution paraît très discutable; elle se fonde sur une présomption contraire à la réalité des faits. - La Cour de cassation a, d'autre part, posé en principe, dans son arrêt du 29 janvier 1880 (Bull. no 22), « que l'outrage envers des magistrats, commis à l'aide d'un écrit non rendu public, tel qu'il est prévu par l'art. 222 C. P., n'est punissable que lorsque cet écrit a été adressé aux magistrats eux-mêmes, ou lorsque, ayant été adressé à un tiers, il est parvenu à la connaissance de ces magistrats par la volonté de son auteur. »>

à affaiblir la considération du magistrat. Cette nature spéciale de l'outrage prévu par l'article 222 doit être soigneusement pesée par le juge; car il n'est point investi d'un pouvoir discrétionnaire pour en apprécier les éléments, puisque ces éléments ont été définis par la loi. La jurisprudence offre plusieurs exemples d'une appréciation des juges du fait, déclarée inexacte ou saine par la Cour de cassation 1.

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Il a été jugé, conformément à cette doctrine, que le fait d'adresser à un maire, dans une assemblée du conseil municipal, ce propos : « Vous avez été réduit à vous adjoindre un Vinay », constituait un outrage envers le sieur Vinay, adjoint, puisqu'il le signalait comme indigne de sa fonction 2; - qu'une parole d'une saleté grossière, adressée à un commissaire de police dans l'exercice de sa fonction, caractérise le même outrage, puisqu'elle est de nature à diminuer le respect des citoyens pour son autorité morale 3; et qu'en général, les expressions de mépris adressées à un magistrat, tendant à affaiblir le caractère dont il est revêtu, peuvent être considérées comme portant atteinte à son honneur et à sa délicatesse. On doit toutefois ajouter que, lorsqu'il ne s'agit que d'un fait d'irrévérence imputé à un avocat et poursuivi disciplinairement, le pouvoir de l'apprécier souverainement appartient exclusivement aux juges envers qui il a été commis 5. On doit ajouter également qu'il ne faut pas confondre avec les faits d'outrage des actes qui, quelque répréhensibles qu'ils soient, ne portent nulle atteinte à l'honneur du magistrat. Ainsi, par exemple, les propositions qui tendraient à corrompre sa probité peuvent être incriminées à titre de tentative de corruption, mais ne constituent pas un outrage, car,

1. Cass., 22 déc. 1814, Bull. n. 45; 29 mai 1813, Dall., t. 11, p. 97; 17 mars 1851, J. P. 1853, 1. 617; 15 avril 1853, Bull. n. 137; 3 août 1854, J. P. 1855. 1. 555; 28 mars 1856, Bull. n. 127.

2. Cass., 10 mai 1845, Bull. n. 169.

3. Cass., 6 sept. 1850, Bull. n. 295.

4. Cass., 21 fév. 1851, Bull. n. 76.

5. Cass., 25 janv. 1834, 6 mai 1844, 6 août 1844, 7 åvril 1860, J. P. 60.

si elles blessent sa délicatesse elles n'entachent en aucune manière sa considération 4.

970. Telles sont les différentes conditions qui doivent se réunir pour constituer un outrage et caractériser le délit. Mais, depuis le Code pénal, cette matière a plusieurs fois occupé le législateur, et les règles qui viennent d'être exposées ont été modifiées sous plusieurs rapports, « d'abord par la loi du 17 mai 1819, ensuite par celle du 25 mars 1822 5. »

1. Cass., 23 janv. 1866, Bull. n. 23.

2. ** Ces lois ont été remplacées elles-mêmes par la loi du 29 juillet 1881, art. 30, 31 et 33, ainsi conçus : Art. 30. « La diffamation commise par l'un des moyens énoncés en l'art. 23 et en l'art. 28 envers les cours, les tribunaux, les armées de terre ou de mer, les corps constitués et les administrations publiques, sera punie d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de 100 fr. à 300 fr, ou de l'une de ces deux peines seulement. » — Art. 31. «Sera punie de la même peine la diffamation commise par les mêmes moyens, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers un ou plusieurs membres du ministère, un ou piusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin à raison de sa déposition.» Art. 33. « L'injure commise par les mêmes moyens envers les corps ou les personnes désignés par les art. 30 et 31 de la présente loi, sera punie d'un emprisonnement de six jours à trois mois et d'une amende de 18 fr. à 500 fr., ou de l'une de ces deux peines sculement. »

On peut se demander si ces textes abrogent l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822. Cet article porte : « L'outrage fait publiquement, d'une manière quelconque, à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, soit à un ou plusieurs membres de l'une des deux Chambres, soit à un fonctionnaire public, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de 1,000 fr. à 4,000 fr.; le même délit envers un juré à raison de ses fonctions, ou envers un témoin à raison de sa déposition, sera puni d'un emprisonnement de dix jours à un an et d'une amende de 50 fr. à 3,000 fr. » Quoique placé dans une loi relative à la presse, cet article prévoyait toutes sortes d'outrages (car il ne distingue pas) commis d'une manière quelconque (il le dit expressément). Les art. 30, 31 et 33 ne prévoient que la diffamation ou l'injure; mais voici ce qu'on lit dans le rapport de M. Lisbonne : « Le projet ne punit que la diffamation ou l'injure dans les cas prévus par le 3 du chap. IV. Il n'emploie l'expression d'outrage que dans le § 2, dont nous avons déjà exposé les motifs. Nous avons obéi à l'intention de simplifier sans cesser d'être métho

971.Toutefois l'art. 222 demeure en vigueur relativement aux outrages qui sont commis: 1° dans l'exercice des fonctions, qu'ils soient ou non publics; 20 à l'occasion de cet exercice, mais sans publicité 2. Dans ces deux cas, les règles particulières que nous avons déduites du texte de l'article conservent leur force, et dès lors le délit doit réunir les éléments de criminalité exigés par cet article. Hors de ces deux hypothèses, cette disposition n'a plus d'application. Cette interprétation a été plusieurs fois consacrée 3. Un dernier arrêt, rendu à notre rapport, déclare « que si l'outrage fait publiquement à un fonctionnaire à raison de ses fonctions tombe dans les termes

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diques. D'autre part, les art. 30, 31 et 33 de la loi de 1881 ne punissent que la diffamation ou l'injure commises par l'un des moyens énoncés aux art. 23 et 28, c'est-à-dire soit par des discours, cris ou menaces prcférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public (art. 23), soit par la mise en vente, la distribution ou l'exposition de dessins, gravures, peintures, emblèmes ou images (art. 28). Ces textes sont moins larges que l'art. 6 de la loi de 1822, qui punit l'outrage commis d'une manière quelconque. Enfin, le législateur a voulu maintenir en vigueur les art. 222 et suiv. du Code pénal (V. suprà, p. 124, n. 1); à la vérité il ne rappelait pas, dans l'exception qu'il avait formulée d'abord et qu'il n'a écartée que comme étant inutile, l'art. 6 de la loi de 1822; mais, en même temps, il déclarait qu'il n'abrogeait « que la législation relative à la presse et aux autres moyens de publication >> et il ajoutait : « Nous avons considéré cette formule comme superflue; elle n'était même pas sans inconvénients, en ce sens que si, dans l'énumération des textes non sujets à l'abrogation, nous cussions fait quelque omission, il aurait semblé que les dispositions simplement omises rentraient implicitement dans le cadre des dispositions abrogées. » Cela ne peut-il pas s'applique, précisément à l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822, et ne peut-on pas dire que cet article subsiste, au moins dans les dispositions qui ne sont pas modifiées par la loi du 29 juillet 1881 ? Toutefois, la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt récent que l'article 68 de la loi de 1881 a abrogé l'article 6 de la loi du 25 mars 1822 (Cass., 12 juillet 1883; Bull. no 176). 1. Cass., 17 mars 1820, Bull. p. 180; 28 août 1823, Bull. p. 361; 27 fév. 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 53. ** Cass., 25 mars 1875; Bull. n° 100.

2. Cass., 2 avril 1825, Bull. p. 193; 20 fév. 1830, Bull. 23 mars 1875, suprà.

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3. Cass., 22 fév. 1844, Bull. n. 64; 22 fév. 1854. Bull. n. 64.

de l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822, l'outrage fait dans l'exercice des fonctions, qu'il soit ou non public, ou à l'occasion de cet exercice, mais sans publicité, a continué d'être régi et prévu par les art. 222 et 223 1. »

972. La loi pénale a considéré comme une circonstance aggravante de l'outrage sa perpétration à l'audience des Cours et des Tribunaux. L'infraction puise dans cette circonstance une plus haute gravité, soit parce que ce n'est plus à un magistrat procédant isolément, mais à un corps de magistrature, à un tribunal entier que l'injure est portée, soit parce que la majesté des juges doit être protégée avec plus de sévérité au moment où ils distribuent la justice. Le deuxième paragraphe de l'art. 222 porte en conséquence : « Si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une Cour ou d'un Tribunal, l'emprisonnement sera de deux à cinq ans. » Il est nécessaire de rapprocher d'abord cette disposition de deux autres dispositions analogues de la législation.

L'article 11 du Code de procédure civile autorise le juge, dans le cas d'insulte et d'irrévérence grave envers lui, à prononcer un emprisonnement de trois jours au plus ; et l'article 91 du même Code investit également les tribunaux du pouvoir de condamner à un mois d'emprisonnement ceux qui outrageraient ou menaceraient les juges ou les officiers de justice dans l'exercice de leurs fonctions: nous ne parlons point des articles 504 et suivants du Code d'instruction criminelle, qui ne sont relatifs qu'au mode de procédure et à la compétence des tribunaux. Ces dispositions ont-elles été abrogées ou du moins modifiées par les articles 222 et 223 du Code pénal? Il est évident, en premier lieu, que l'article 11 prévoit un fait différent, le fait d'insulte et d'irrévérence grave, qui constitue une infraction beaucoup plus légère que l'outrage. La sollicitude du législateur a dû déployer une prévoyance plus grande en faveur du juge de paix, qui, plus isolé et plus en contact avec les parties, avait besoin d'une protection plus efficace et d'un moyen répressif plus facile. L'art. 11 doit donc subsister à côté de l'art. 222; il agit dans une sphère

1. Cass., 18 juill. 1861, Bull. n. 290.

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