Images de page
PDF
ePub

élevée de savoir si le défaut d'assistance légale doit influer sur la régularité du procès-verbal; la Cour de cassation a jugé la négative par plusieurs arrêts 1. Ses motifs ont été que « la défense faite aux gardes forestiers de s'introduire dans le domicile des particuliers, sans être accompagnés de certains fonctionnaires publics, n'est qu'une mesure de police pour protéger la sûreté individuelle et faire respecter le domicile des citoyens, et qu'il est évident que l'assistance de ces fonctionnaires n'influe en aucune manière sur la vérification et la constatation du délit, que les gardes seuls ont le droit de faire.» Mais si ce défaut d'assistance n'entraîne pas la nullité du procès-verbal, il pourrait constituer le délit de violation de domicile. A la vérité, la Cour de cassation a posé en règle que, lorsque le délinquant ne s'oppose pas à l'introduction du garde qui n'est pas assisté d'un officier public, il est présumé y avoir consenti: mais cette présomption ne suffirait pas pour couvrir le délit; il faudrait apporter la preuve formelle du consentement. Nous reviendrons tout à l'heure sur ce point, en analysant les circonstances caractéristiques du délit énumérées par l'art. 184.

La visite domiciliaire faite par un garde est régulière, pourvu qu'elle ait lieu en présence du maire, et qu'elle ait été opérée à la suite de la constatation d'un délit forestier. Ainsi il a été décidé par un arrêt « que si la maison du citoyen est un asile inviolable, si cette garantie de la sûreté du domicile a été consacrée par toutes les constitutions qui ont régi la France, et si elle l'est encore aujourd'hui par les dispositions de l'article 184, ce principe admet cependant de justes et nécessaires exceptions; qu'ainsi pendant le jour on peut entrer dans le domicile d'un citoyen pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre émané de l'autorité compétente; que par l'art. 161 du Code forestier les gardes sont autorisés à suivre les objets enlevés par les délinquants jusque dans les lieux où ils auront été transportés, et qu'il résulte du deuxième paragraphe du même article

1. Cass., 22 janv. et 12 juin 1829, Journ. du dr. crim., 1829, p. 92 et 240.

qu'en présence soit du juge de paix ou de son suppléant, soit du maire du lieu ou de son adjoint, soit du commissaire de police, ils peuvent s'introduire dans les maisons, bâtiments, cours adjacentes et enclos; qu'enfin l'article 189 déclare ces dispositions applicables aux poursuites exercées au nom et dans l'intérêt des particuliers, pour délits et contraventions commis dans les bois qui leur appartiennent; que l'intervention de l'officier public suffit pour légitimer l'opération 1. » Mais ce droit est formellement restreint au cas où la visite est la suite de la reconnaissance d'un délit en forêt, c'est ce qui a été établi par un autre arrêt qui déclare : « que cette suite devient une conséquence et une annexe de l'opération en forêt, et ne forme avec elle qu'un seul tout, pour lequel les attributions des gardes se trouvent ainsi prorogées; qu'en dehors de ce cas particulier, et de ceux qui peuvent être prévus par des dispositions spéciales de la loi, les gardes forestiers demeurent étrangers à la police urbaine, qu'ils sont notamment sans pouvoir et sans qualité pour s'introduire dans le domicile des citoyens et y chercher les traces d'un délit quelconque 2. »

870. Le droit de visite dont jouissent les préposés des contributions indirectes se trouve aujourd'hui défini par les articles 235, 236 et 237 de la loi du 28 avril 1816. Aux termes des deux premiers de ces articles, les visites et les exercices ne peuvent avoir lieu que chez les redevables sujets aux exercices, et ces visites ne peuvent se faire que pendant le jour ; mais l'art. 237 de la même loi a étendu jusque sur les simples particuliers le droit de visite; il importe d'en examiner les termes: «En cas de soupçon de fraude à l'égard des particuliers non sujets à l'exercice, les employés pourront faire des visites dans l'intérieur de leurs habitations, en se faisant assister du juge de paix, du maire, de son adjoint ou du commissaire de police, lesquels seront tenus de déférer à la réquisition qui leur sera faite, et qui sera transcrite en tète du procès-verbal. Ces visites ne pourront avoir lieu que

1. Cass, 18 déc. 1845, Bull. n. 367. 2. Cass., 17 juill. 1858, Bull. n. 202.

d'après l'ordre d'un employé supérieur, du grade de contrôleur au moins, qui rendra compte des motifs au directeur du département. » Cette disposition soumet la visite domiciliaire à deux conditions: l'ordre spécial de l'employé supérieur et l'assistance d'un officier public.

L'ordre préalable est constitutif du droit lui-même les employés ne pourraient sans se rendre coupables du délit prévu par l'art. 184, pénétrer sans en être munis dans la maison d'un particulier. La Cour de cassation a énergiquement consacré ce principe, en déclarant « que cet ordre est le brevet spécial qui seul, dans le cas de soupçon de fraude, constitue le caractère d'employé, donne la mission extraordinaire, et confère le pouvoir de pénétrer dans l'habitation d'un simple particulier, par exception formelle au principe. général de l'inviolabilité du domicile; que cette mission exceptionnelle doit donc être prouvée par ceux qui l'ont reçue, en en produisant le titre, dès qu'ils se mettent en devoir de la remplir; d'où il suit qu'ils sont tenus d'exhiber ce titre, tant à l'officier de police dont ils requièrent l'assistance, qu'au particulier qui y est condamné à l'officier de police, pour qu'il sache que sa présence est légalement requise, et qu'en conséquence il est tenu de déférer à la réquisition ; au particulier, pour qu'il puisse vérifier et reconnaître que c'est bien son domicile qui est l'objet de la visite extraordinaire qui doit se faire, et qu'il est de son devoir de s'y soumettre. » De là, la Cour de cassation a induit avec raison que le défaut d'exhibition d'un ordre légal, préalable et spécial, est un vice radical qui emporte la nullité de toute l'opération. Il faut ajouter que l'introduction dans le domicile, dépourvue de cette exhibition qui seule couvre et justifie les préposés, rentrerait nécessairement dans les termes de l'artiele 184. Ces règles s'étendent aux préposés des octrois comme à ceux des contributions indirectes 2. Et il a été jugé qu'en matière de dépôt frauduleux de tabacs, les gendarmes

1. Cass, 10 avril 1823, S. 23. 1. 276; 16 avril 1818 et 13 février 1819. S. 19. 1. 177 et 257.

2. Cass., 5 sept. 1834, Journ. du dr. crim., 1835, p. 81.

et les gardes champêtres et forestiers, que l'art. 223 de la loi du 28 avril 1846 charge de la poursuite et de la saisie, doivent s'arrêter devant l'entrée du domicile privé, et « qu'ils ne peuvent qu'avertir les employés des contributions indirectes, dont les chefs seuls ont le droit d'autoriser ou de refuser, suivant les circonstances, des perquisitions pour vérifier les faits dénoncés, et, en cas d'autorisation, de faire procéder à ces perquisitions par des préposés auxquels ils confèrent à cet effet une mission extraordinaire, un brevet spécial et nominatif d'introduction 4. >>

La jurisprudence a reconnu à la deuxième condition de l'introduction, à l'assistance d'un officier public, un autre caractère. Ici, de même qu'en matière forestière, cette assistance n'est considérée que comme une mesure de police dont l'omission ne vicie pas nécessairement l'acte du fonctionnaire. Les motifs de cette distinction, développés avec soin dans un arrêt que nous avons déjà cité, sont : « que cette assistance, qui est un hommage à l'inviolabilité du domicile, étant ordonnée, en même temps, pour la sûreté des particuliers non sujets à l'exercice et pour les garantir de tout abus, pendant les visites autorisées extraordinairement sous cette condition, ne tient point toutefois comme l'ordre, qui est F'objet de la deuxième disposition de l'art. 237, à la constitution du caractère d'employé, ni à la mission spéciale sans laquelle la visite ne peut avoir lieu; que, prescrite pour l'exercice de cette mission, elle donne au particulier non sujet le droit de l'exiger et de refuser toute visite de son habitation en l'absence de l'officier de police; mais que s'il veut bien ne point user de ce droit, il est naturel et juste qu'après coup il ne soit point admis à se plaindre d'une opération qui n'a été que la suite de son défaut de réclamation, dans le seul moment où une réclamation de sa part l'aurait empêchée 2. » Il est certain que cette distinction, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, rentre à certains égards dans le système de l'art. 184; mais il importe cependant de

. Arr. Nancy, 10 mars 1837. Journ. du dr. crim., p. 66.

2. Cass., 10 avril 1823, S. 23. 1. 279.

remarquer, et nous l'établirons plus loin, que le défaut de réclamation n'est pas un obstacle à l'existence 'du délit de violation de domicile: il faut qu'il soit constaté que l'introduction s'est faite avec le consentement du citoyen (dont le domicile est violé.

Enfin les visites domiciliaires sont autorisées en matière de douanes par la loi du 28 avril 1816 (art. 60), en matière de dépôt de poudres par l'art. 26 du décret du 13 fructidor an V. Dans cette double hypothèse, de même que dans tous les cas que nous venons de parcourir, les visites ne peuvent se faire que pendant le jour; les officiers municipaux sont, du reste, appelés soit à les protéger de leur présence, soit à les opérer eux-mêmes, et les règles qui viennent d'être développées s'appliquent dès lors à ces deux cas.

871. Reprenons, pour la résumer, l'énumération qui précède. Pendant la nuit, l'entrée des maisons particulières est interdite aux agents de l'autorité : le péril imminent ou les cris des habitants eux-mêmes permettent seuls d'y pénétrer. Ce privilége ne s'étend point aux maisons publiques, mais ces maisons elles-mêmes ne sont accessibles à ces agents que pendant la durée de leur ouverture. Durant le jour, l'accès des maisons particulières est permis, soit pour l'exécution d'une loi qui autorise cette mesure, soit pour l'exécution d'un arrêt ou jugement emportant condamnation à une peine corporelle, soit enfin pour l'exécution d'un mandat du juge ou pour l'instruction d'un procès criminel : nous avons précisé les limites du droit de visite dans chacun de ses actes, et les formes qui sont les garanties du citoyen, et qui peuvent seules en légitimer l'exercice. Le corollaire de cet examen est l'établissement d'une règle générale toutes les fois que les officiers de justice ou de police, les commandants ou agents de la force publique s'écartent de ces limites ou de ces formes, ils agissent suivant les termes mêmes de l'art. 184, hors les cas prévus par la loi et sans les formalités qu'elle a prescrites, et dès lors ils commettent le délit de violation de domicile. Telle est la base indispensable de cette incrimination, et nous avons dû nécessairement nous arrêter à l'établir. Maintenant nous devons examiner les conditions exigées par

« PrécédentContinuer »