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inférieure, il s'arrête quand l'insulte prend les caractères de l'outrage défini par cet article. En ce qui concerne l'art. 91, il nous semble que la même solution doit y être appliquée: l'outrage prévu par les art. 222 et 223 a un caractère particulier et très grave; mais, au-dessous de cette injure spéciale, il est un grand nombre de faits, de paroles injurieuses, moins graves et cependant répréhensibles, qui portent atteinte, non point à la personne du juge, à son honneur ou à sa délicatesse, mais à la dignité de la magistrature et au respect dû à l'audience. C'est à cette classe d'outrages que l'article 91 peut encore s'appliquer utilement, soit à raison des peines légères qu'il prononce, soit à raison des formes expéditives qu'il trace. Son incrimination, étant indéfinie, se trouve circonscrite par l'art. 222, mais elle peut s'appliquer encore aux faits qui ne rentrent point dans la disposition de cet article.

Cela posé, toutes les règles relatives aux outrages qui attaquent les magistrats dans l'exercice de leurs fonctions s'appliquent nécessairement aux outrages commis aux audiences la pénalité seule est modifiée. Ainsi les mêmes éléments sont exigés pour caractériser le délit ; ainsi il importe peu que l'outrage se rapporte à l'affaire qui occupe l'audience, pourvu qu'il soit commis pendant la durée de cette audience, pourvu qu'il soit dirigé contre les magistrats qui siégent dans leurs fonctions. Car c'est le caractère public du juge, c'est le cours de la justice et l'exercice des fonctions, que la loi pénale a voulu protéger avec une sévérité plus grande.

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Il a été décidé, conformément à cette doctrine, que le fait du prévenu qui, en répondant au ministère public, à l'audience du tribunal de police, s'est écrié : « Vous en avez menti, c'est faux ! » constitue, aux termes de l'article 222, un outrage envers un magistrat de Fordre judiciaire dans l'exercice de ses fonctions ; que l'outrage commis dans des conclusions écrites, prises dans le cours d'un débat, rentre dans les mêmes termes, lorsqu'elles ont été lues à l'au

1. Cass., 8 déc. 1849, Bull. n. 338.

dience en présence du magistrat outragé ; que le prévenu qui déclare hautement qu'il est condamné d'avance, et qu'il est inutile de présenter sa défense, commet encore le même délit 2.

973. Une question qui s'est produite dans une circonstance analogue, est de savoir s'il y a outrage lorsque les magistrats siégeant à l'audience n'ont pas entendu les paroles, ne se sont pas aperçus du fait qui peut le constituer. Dans une espèce où la compétence instantanée des juges était seule controversée, la Cour de cassation a jugé « que les paroles offensantes d'un avocat à l'audience ne perdent pas le caractère de faute de dicipline qui leur appartient pour n'être pas parvenues à l'oreille des juges; que toutes les fois qu'au lieu d'être dites sous le secret de la confidence, elles sont prononcées assez haut pour être entendues d'une partie du public, il y a atteinte portée à la dignité de l'audience et au respect dû à la justice 3 » Il faut remarquer d'abord que cette décision ne juge point notre question, puisque les motifs pour admettre la compétence ou l'existence du délit ne sont pas les mêmes, puisque toute atteinte portée à la dignité de l'audience n'est pas un outrage dans le sens de la loi pénale; mais il nous semble nécessaire de combattre l'induction qu'on pourrait en tirer. Comment admettre l'existence de l'outrage, quand le fait qui le constituerait n'est pas même apparu aux yeux du juge? Comment apercevoir un délit dans un geste, dans une parole qui n'a produit ni trouble, ni scandale, qui n'a point interrompu les débats, qui est demeuré ignoré du tribunal ? L'outrage est une attaque directe contre les juges, il se produit ouvertement, il imprime son offense sur leur front: c'est parce qu'elle l'a considéré comme un fait flagrant, que la loi a voulu venger de suite la dignité de l'audience troublée, et faire suivre immédiatement l'offense de la réparation. Quelques paroles échappées à demi-voix, un geste à peine aperçu, ne

1. Cass., 11 janv. 1851, Bull. n. 21.

2. Cass., 15 avril 1853, Bull. n. 137.

3. Cass., 24 déc., 1836, Journ. du dr. crim., 1837, p. 38 et s.

peuvent constituer le délit, parce qu'ils n'atteignent pas ouvertement le magistrat. Peut-être ces atteintes secondaires pourraient-elles être comprises dans les termes de l'art. 91 du Code de procédure civile; mais il serait difficile d'y reconnaître les caractères distinctifs de l'outrage défini par le Code pénal.

On ne doit pas omettre, du reste, de remarquer que le deuxième paragraphe de l'art. 222 s'étend à toutes les cours, à tous les tribunaux indistinctement: la disposition est générale et la même raison de décider s'applique à toutes les juridictions.

§ II. Des outrages prévus par les art. 223, 224 et 225 1.

974. On doit en premier lieu signaler les additions faites à ces articles par la loi du 13 mai 1863.

Nous avons fait remarquer l'insertion dans le premier paragraphe de l'art. 222 de ces mots : « Lorsqu'un ou plusieurs jurés. » L'art. 223 a reçu la même addition :

Art. 223. L'outrage par gestes ou menaces à un magistrat ou à un jurė dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un mois à six mois d'emprisonnement; et si l'outrage a eu lieu à l'audience d'une Cour ou d'un tribunal, il sera puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans.

Cette addition, qui n'existait pas dans le projet du Gouvernement, est motivée dans le rapport ainsi qu'il suit :

« Les art. 222 et 223 qui, dans leur ensemble, punissent ies outrages faits par paroles, gestes ou menaces, ne s'appliquent qu'aux magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire. Les jurés n'y sont pas compris; l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822 a réparé cette omission pour les outrages publics commis envers eux; il est utile de la réparer aussi pour les ouvrages non publics dont ils pourraient être l'objet dans l'exercice

1. ** Ces articles, de même que l'art. 222, n'ont pas été abrogés, mais ont été en partie modifiés par les art. 30, 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 (V. suprà, p. 124, n. 1).

ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions. Par la nature même de ces fonctions, les jurés sont plus exposés que personne aux menaces écrites ou verbales de ceux dont ils tiennent ou dont ils ont tenu le sort entre les mains. Lorsqu'ils participent en quelque sorte à l'autorité de la magistrature, il est juste de leur faire partager avec elle la protection de la loi. Nous l'avons fait en les nommant dans les art. 222 et 223. »

975. L'art. 224 a été modifié comme suit :

1

Art. 224. L'outrage fait par paroles, gestes ou menaces à tout officier ministériel, ou agent dépositaire de la force publique, et à tout citoyen chargé d'un ministère de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, sera puni d'un emprisonnement de six jours à un mois, et d'une amende de seize francs à deux cents francs, ou de l'une de ces deux peines seulement.

Exposé des motifs : « L'art. 224 serait modifié de deux manières, dans la désignation des agents que cet article est destiné à protéger, et dans sa disposition pénale. Les tribunaux hésitent à comprendre sous la dénomination « d'agent dépositaire de la force publique » les surveillants des halles et marchés, les greffiers des maisons centrales, les agents des contributions indirectes et d'autres encore. Il en résulte que les outrages commis envers ces agents restent impunis. Pour prévenir toute hésitation sur ce point, on emprunte à l'art. 230 une désignation dont les termes génériques paraissent devoir assurer la répression dans tous les cas; c'est celle-ci : « tout citoyen chargé d'un service public »; quant à la disposition pénale, qui est tout entière dans une amende de seize à deux cents francs, on y ajoute un emprisonnement de six jours à un mois, mais avec la faculté d'appliquer l'une de ces peines seulement. >>

976. La loi n'a touché à l'art. 225 que pour en aggraver la pénalité.

Art. 225. L'outrage mentionné en l'article précédent, lorsqu'il aura été dirigé contre un commandant de la force publique, sera puni d'un empri

1.

** La jurisprudence a rangé dans cette catégorie un garde champêtre constitué gardien de scellés (Cass., 21 juin 1873; Bull. n. 172) ; Un expert procédant en vertu d'une délégation du juge de paix (Cass., 8 mars 1877; Bull. n. 79) ;- Un syndic de faillite (Cass., 12 février 1880; Bull. n. 28); Un instituteur communal (Nancy, 25 janv. 1879; S. 80. 2. 333); Bordeaux, 23 août 1880; S. 81. 2. 52; Caen, 10 mars 1886; S. 86. 2. 158); Un cantonnier (Douai, 23 janv. 1882; S. 85. 2. 31); commis greffier de justice de paix (Cass., 12 février 1886; Bull. n. 50).

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sonnement de quinze jours à trois mois et pourra l'être aussi d'une amende de seize à cinq cents francs.

977. Il résulte des textes qui précèdent que les peines portées contre l'outrage par paroles se graduent suivant la qualité de la personne outragée: si cette personne est un magistrat, cette peine est l'emprisonnement dans les limites fixées par l'art. 222; elle s'abaisse lorsque cette personne est un officier ministériel ou un agent de la force publique. Mais il est clair qu'il s'agit du même délit : la qualité de la personne offensée l'a seule changé; la définition et les règles établies par l'article 222 s'appliquent ici.

978. La question s'est élevée de savoir si l'art. 224 est applicable à un individu qui a fait à un agent de la force publique la fausse dénonciation d'un crime imaginaire. Il nous paraît qu'une solution négative doit être adoptée. Ce qui constitue l'outrage prévu par le Code, il faut le répéter encore, ce sont ces expressions injurieuses, ces termes de mépris, ces invectives, ces imputations de vices ou d'actions blâmables qui portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne à laquelle on les impute. Or peut-on voir un outrage de ce genre dans une déclaration mensongère faite à un officier de police? Ce ne sont pas les termes de la déclaration qui pourront constituer l'outrage: ces termes, qui ne contiennent que le récit d'un fait en apparence véritable, ne s'adressent point à la personne du magistrat ; ils ne l'inculpent pas; ils ne portent pas atteinte à son honneur, à sa délicatesse; ils le trompent à la vérité, mais un faux témoin trompe la justice, et son faux témoignage reste impuni, s'il n'a été fait que dans l'instruction écrite, devant le magistrat instructeur; et toutefois ce faux témoignage a pu induire les magistrats dans des recherches non-seulement illusoires, mais injustes, puisqu'elles ont pu faire envelopper un innocent dans cette poursuite. Une déclaration mensongère ne peut être considérée comme un outrage envers l'autorité à qui elle est faite, que par une induction qui dénaturerait le sens naturel des expressions de l'art. 222; qui substituerait à l'outrage par paroles, lequel présente un sens précis et déterminé

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