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et se manifeste par un acte matériel, une autre espèce d'outrage qui aurait besoin de temps et de recherches pour se découvrir; qui laisserait des doutes sur l'intention de son auteur, qui serait en un mot tout intellectuel. A cette doctrine, toutefois, on peut opposer un arrêt de rejet du 9 décembre 1808, qui a qualifié d'outrage la dénonciation d'un délit imaginaire fait à la gendarmerie 2. Mais on doit remarquer que cet arrêt a été rendu sous l'empire du Code de 1791, et les dispositions de ce Code relatives à l'outrage n'étaient point conçues dans des termes aussi précis, aussi restrictifs que ceux de l'art. 222; et d'ailleurs nous n'hésitons point à penser que, même en appliquant ce Code qui n'avait point défini l'outrage, mais qui lui avait laissé son sens commun, l'arrêt que nous avons cité a méconnu les signes essentiels de ce délit.

979, L'unique difficulté à laquelle puisse donner lieu l'article 224 est de savoir quelles personnes sont comprises sous la dénomination d'officiers ministériels et d'agents dépositaires de la force publique. Nous avons précédemment expliqué la signification de la première de ces expressions; elle s'étend, en général, aux avoués 3, aux huissiers, aux commissaires-priseurs: la jurisprudence y a compris, dans l'application même de l'art. 224, les notaires et même les porteurs de contraintes des contributions directes. Quant aux notaires,

1. Sirey, t. 10, p. 257.

2** V. dans le même sens Aix, fer juin 1870 (S. 71. 2. 98; P. 71, 330). En tous cas, nous ne saurions admettre la théorie d'un arrêt par lequel la Cour de Douai a jugé, le 29 avril 1874 (S. 74. 2. 239), que la déclaration mensongère d'un délit faite à la gendarmerie dans un but de vengeance contre l'auleur prétendu du dělit, constitue un outrage envers les gendarmes. L'intention d'outrager fait ici défaut (V. infra, no 984). Comp., Douai, 26 mars 1883; S. 84. 2. 2; Poitiers, 1er juill. 1883; S. 84. 2. 2.

3. ** Jugé toutefois qu'en matière d'ordre amiable les avoués n'interviennent pas en qualité d'officiers ministériels, mais comme simples mandataires, munis d'un pouvoir spécial; que, par suite, les outrages qui peuvent leur être adressés dans le cours d'un ordre amiable ne tombent pas sous l'application de l'art. 224 (Cass., 28 mars 1879; Bull. no 78). 4. ** Cass., 26 juin 1879; Bull. no 134.

quoiqu'ils soient plus généralement considérés comme fonctionnaires publics, toutefois ils appartiennent par leur caractère et leurs fonctions à la classe des officiers ministériels, et le vœu de la loi a certainement été de leur assurer la même protection, dans l'exercice de leurs fonctions, qu'aux avoués et aux commissaires-priseurs 1. Mais nous ne pouvons étendre la même solution aux porteurs de contraintes des contributions directes. La Cour de cassation a décidé « qu'aux termes de l'art. 18 du décret du 16 thermidor an VIII, ces porteurs sont huissiers des contributions directes; que dès lors ils sont officiers ministériels dans l'exercice de leurs fonctions, et que les outrages qui leur sont adressés, dans cet exercice, par paroles, gestes ou menaces sont prévus et réprimés par l'art. 224 2. » Nous ne croyons pas, d'abord, qu'il soit exact de dire que ces agents sont huissiers des contributions directes; ils en remplissent les fonctions, mais ils n'en ont pas le caractère. L'art. 18 de la loi du 16 thermidor an VIII est ainsi conçu : « Les porteurs de contraintes feront seuls les fonctions d'huissiers pour les contributions directes; ils ne sont pas assujettis au droit de patente. » Or, ne serait-ce pas donner une extension aux termes de cet article, et par conséquent de l'art. 224, que d'assimiler complétement ces agents aux officiers ministériels, pour leur assurer une garantie qui ne leur a point été nominativement accor dée ? Ensuite, on doit remarquer que l'art. 209 énumère les officiers ministériels, les agents de la force publique, les préposés à la perception des taxes et des contributions, leurs porteurs de contraintes, etc. En rapprochant cette disposition de l'art. 224, il en résulte ces deux corollaires que les porteurs de contraintes sont autre chose que les officiers ministé riels et les agents de la force publique ; et que, puisque l'article 224 ne punit que les outrages faits à ces derniers, sa disposition ne saurait atteindre les actes de la même nature commis envers les porteurs de contraintes.

Les agents de la force publique sont nécessairement agents

1. Cass. 13 mars 1812, Bull. n. 58; 22 juin 1809, Dall., t. 11, p. 98. 2. Cass., 30 juin 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 177.

de l'autorité publique; mais ces derniers ne sont pas toujours agents de la force publique : ainsi les agents ou les appariteurs de police ne devraient pas être rangés dans la classe des agents de la force publique 1. Cette différence peut être importante à l'égard des outrages que les agents reçoivent dans l'exercice de leurs fonctions, car l'art. 224 est la seule loi pénale applicable à ces outrages; mais il en est autrement en ce qui concerne les outrages commis à raison de leurs fonctions et publiquement 2. La jurisprudence a reconnu, d'une part, « que les employés des contributions indirectes ne sont ni officiers ministériels, ni agents dépositaires de la force publique 3, » et, d'une autre part, qu'il y a lieu, au contraire, de comprendre dans cette incrimination l'outrage commis envers un avoué dans un greffe ouvert au public“, et l'outrage commis envers des agents de police, « attendu que ces agents doivent être considérés comme des agents de la force publique, lorsqu'ils agissent pour l'exécution soit des jugements, soit des lois et règlements de police dont la surveillance leur est confiée par l'autorité municipale 5. »

980. L'art. 225 fait une exception à l'article précédent en faveur des commandants de la force publique: « La peine sera de six jours à un mois d'emprisonnement, si l'outrage mentionné en l'article précédent a été dirigé contre un commandant de la force publique. » Le sens de cette dernière expression ne nous semble pas avoir été sainement compris par la jurisprudence: la Cour de cassation a jugé qu'un brigadier de gendarmerie est un commandant de la force publique dans

1. Cass., 28 août 1829, Journ. du dr. crim., 1829, p. 338.

2.

* Les art. 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 punissent, en effet, les diffamations ou injures commises publiquement contre un dépositaire ou agent de l'autorité publique, à raison de leurs fonctions. D'où il suit que les agents de la force publique sont protégés et par l'art. 224 C. pén. et par les art. 31 et 33 de la loi de 1881, et que les agents de l'autorité publique ne jouissent de la garantie que dans le cas prévu par les art. 31 et 33 de la loi de 1881.

3. Cass., 1er mars 1844, Bull. n. 72. 4. Cass., 29 mars 1845, Bull. n. 119. 5. Cass., 2 oct. 1847, Bull. n. 246.

l'étendue du territoire assigné à sa brigade, lors même que dans le service il n'est accompagné que d'un seul homme1; cette décision s'appuie sur quelques articles de l'ordonnance du 29 octobre 1820, relative à la gendarmerie, qui désignent ce sous-officier par le nom de commandant de brigade. Mais ce n'est pas au mot seul qu'il faut s'attacher, c'est à la valeur que la loi lui a donnée. Cet article n'existait point dans le projet du Code pénal: un membre du conseil d'Etat objecta que la faible amende portée par l'art. 224 lui semblait une peine insuffisante lorsque l'outrage serait fait à un officier de la force armée qui pourrait être d'un grade élevé. M. Berlier répondit qu'il semblait inutile de prévoir une hypothèse qui devait rester étrangère à l'article: « Qu'est-ce que l'officier ministériel dont il parle ? ordinairement un huissier; et quels sont les autres agents de la force publique ? le plus souvent des recors, le plus souvent des gendarmes: voilà les seuls militaires qui puissent se trouver dans la disposition qu'on discute, et encore n'y sont-ils que comme auxiliaires de l'autorité civile. La chose ainsi entendue, quelque faveur que mérite un gendarme, l'outrage qui lui est fait ne paraît pas devoir être aussi grièvement puni que l'insulte faite à un magistrat en fonctions. » On insista en alléguant qu'il était possible que le commandant du détachement fût un officier de gendarmerie, et M. Berlier accorda que dans ce cas spécial il pourrait être convenable d'infliger la peine d'emprisonnement, mais à un degré moindre que dans le cas d'insulte faite à un magistrat; M. Cambacérès ajouta qu'il fallait faire une disposition particulière pour les officiers supérieurs. Voilà l'origine et les motifs de l'art. 225. Il en résulte que ce n'est qu'aux seuls officiers que le législateur a voulu prêter un appui plus efficace, et que sa protection ne s'est point étendue aux sous-officiers qui, alors même qu'ils se trouvent à la tête de quelques militaires, ne peuvent être réputés commandants dans le sens hiérarchique que la loi militaire attache à ce mot. Et si l'on veut une preuve qui soit puisée dans la loi pénale elle-même, il suffit de rapprocher de l'ar

1. Cass., 14 janv. 1826, Bull. n. 9.

ticle 225 l'art. 234, qui énumère soigneusement les commandants, les officiers et les sous-officiers de la force publique 1. Il résulterait même de ce nouveau texte que les officiers euxmêmes ne seraient pas indistinctement réputés commandants, ce qui est exact dans la hiérarchie militaire; mais, comme il suit de la discussion que le but du législateur a été de tracer une distinction entre les officiers et les sous-officiers, nous croyons que tous les officiers doivent jouir du bénéfice de l'art. 225.

981. Nous ne nous sommes occupé jusqu'ici que de l'outrage par paroles ou par lettres : la loi a prévu une deuxième espèce d'outrage qui se commet par gestes ou menaces, et elle l'a placé à un degré inférieur dans l'appréciation de leur criminalité respective. « Dans la classification des outrages, porte l'exposé des motifs, on a placé au moindre degré de l'échelle ceux qui sont commis par gestes ou par menaces : les paroles outrageantes, qui ont ordinairement un sens plus précis et mieux déterminé que de simples gestes ou menaces, ont paru être un délit supérieur à celui-ci. »

L'art. 223 n'a point défini l'outrage par gestes ou menaces. Faut-il se reporter à l'art. 222 pour y puiser la tendance et le caractère de gravité que doit offrir cet outrage? L'affirmative ne semble pas douteuse. Ces deux articles sont l'expression d'une même pensée; ils appartiennent au même délit, au même genre d'outrages; ils ne diffèrent qu'en ce qu'ils prévoient un mode distinct d'exécution de ce délit ce mode varie, mais l'acte reste le même; ainsi tout geste injurieux, toute menace offensante ne constituera pas le délit : il faut que son but soit d'inculper l'honneur ou la délicatesse

Cependant la Cour de cassation a jugé par plusieurs arrêts qu'aux termes des dispositions générales, et notamment des art. 12, 13 125, 222 et suiv. du décret du 1er mars 1854, sur l'organisation de la gendarmerie, les brigadiers de cette arme sont de véritables commandants de la force publique dans l'étendue du territoire assigné à leur brigade et quand ils agissent dans le cercle de leurs attributions », et qu'en conséquence l'art. 225 G. P. est applicable à l'outrage qui leur est adressé., (Cass., 24 mai 1873; Bull. no 144; 2 décembre 1880; Bull. no 222; 9 octobre 1884; Bull. n. 287.)

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