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cette faute n'empêchent pas que les premières violences n'aient altéré le caractère criminel de celles qu'elles ont provoquées, que cette provocation ne puisse être une excuse de ces violences; et le fait ne doit pas dès lors être apprécié, abstraction faite de cette circonstance qui lui est essentielle.

Nous nous croyons donc fondé à conclure que l'art. 321 du Code pénal contient un principe applicable aux violences commises sur les fonctionnaires et agents de la force publique, comme à celles qui sont commises sur toute autre personne; et ce principe doit naturellement s'étendre à tous les faits qui sont de nature à modifier la criminalité de l'agent; car les mêmes raisons de décider existent à l'égard de toutes les circonstances d'excuse. C'est ainsi qu'une Cour d'assises a déclaré, dans une accusation de violences exercées sur un commissaire de police, qu'il y avait lieu de poser la question proposée par les accusés, de savoir si ce fonctionnaire, qu'on avait foulé aux pieds, n'était pas en état d'ivresse au moment où il exerçait ses fonctions, et si sa chute n'avait pas été occasionnée par cette ivresse 1.

1. Arr. Cour d'assises du Cantal, 26 nov. 1833, Journ. du dr. crim. 1834, p. 100.

CHAPITRE XXXV.

REFUS D'UN SERVICE DU LÉGALEMENT.

(Commentaire des art. 234, 235 et 236 du Code pénal).

1002. Objet de ce chapitre.

1003. Refus d'obéir aux réquisitions de l'autorité civile (art. 234). 1004. Caractères constitutifs de ce délit.

1005. Dans quels cas une réquisition est légale.

1006. De la peine et des réparations civiles applicables.

1007. De l'infraction des témoins et des jurés aux obligations que la loi

leur impose.

1008. De la fausse excuse par eux alléguée (art. 236).

1009. Si cette disposition peut être étendue aux experts. Caractère des experts.

1010. Réserve des lois relatives au service militaire (art. 235).

1002. Le titre de ce chapitre semble annoncer un corps complet de doctrine sur les infractions aux obligations légales des fonctionnaires et des citoyens: il n'en est point ainsi. Parmi les cas nombreux de désobéissance qui peuvent se manifester, le législateur n'en a prévu que deux, qui, dans des circonstances distinctes, peuvent produire de graves conséquences et amener une funeste suspension de l'ordre. public ou de l'exercice de la justice. Ces deux cas sont la désobéisssance aux magistrats agissant au nom de la loi, qui a lieu de la part d'un commandant de la force armée qui refuse de la faire agir quand il en est requis légalement, ou de la part des témoins et des jurés qui allèguent de fausses excuses pour ne pas remplir les devoirs qui leur sont imposés. Ces deux infractions feront seules l'objet de ce chapitre,

1003. Le refus d'obéir aux réquisitions de l'autorité civile est prévu par l'art. 234, qui est ainsi conçu: «Tout commandant, tout officier ou sous officier de la force publique qui,

après en avoir été légalement requis par l'autorité civile, aura refusé de faire agir la force à ses ordres, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à trois mois, sans préjudice des réparations civiles qui pourraient être dues, aux termes de l'art. 10 du présent Code. »

Il faut fixer d'abord le caractère général de cette infraction. La loi ne prévoit qu'une désobéissance qui ne dégénère point en révolte la résistance changerait en effet de nature si elle était calculée de manière à favoriser l'exécution d'une rébellion, d'une sédition, d'un crime quelconque ; elle prendrait alors un autre caractère, et d'autres peines l'atteindraient. Il ne s'agit donc ici que du refus d'obéir, que de l'entrave apportée au service public, sans que ce refus puisse se lier d'une manière quelconque à une pensée de trouble et de rébellion. Néanmoins ce serait une erreur que de voir dans cette désobéissance une simple infraction matérielle : la désobéissance suppose par elle-même un acte de la volonté, une délibération, une intention plus ou moins répréhensible; elle constitue de plus l'infraction d'un devoir. En règle générale, la force publique est essentiellement obéissante, nu corps armé ne peut délibérer; et la loi du 14 octobre 1791 dispose en conséquence que : « les citoyens et leurs chefs, requis au nom de la loi, ne se permettront pas de juger si les réquisitions ont dû être faites; ils seront tenus de les exécuter provisoirement sans délibération. » Il suit de là qu'il ne suffit pas de constater l'inexécution de la réquisition, il faut encore qu'il soit prouvé qu'il y a eu refus de concours, volonté de ne pas obtempérer à l'ordre, en un mot désobéissance: ce sont là les deux éléments essentiels du délit.

1004. Mais ce délit ne peut exister, d'ailleurs, qu'autant que les circonstances prévues par la loi se réunissent pour le constituer; il est donc nécessaire que le prévenu soit revêtu de la qualité énoncée par l'article, et que la réquisition soit légale. En comprenant dans sa disposition tout commandant, tout officier ou sous-officier de la force publique, il est visible que la loi n'a voulu atteindre que le commandant d'un poste ou d'un détachement quelconque, quel que fût d'ailleurs son

grade; car on ne peut imputer à un sous-officier, à un officier même, la responsabilité d'un refus de concours, si ce militaire. se trouve, au moment même de la réquisition, sous les ordres d'un officier supérieur. La peine ne peut atteindre que le chef, quel qu'il soit, qui dispose de la force publique dont l'appui est requis, à l'instant de la réquisition 1. La force publique se compose, en général, de la gendarmerie, des gardes champêtres et forestiers, des gardes et employés des régies publiques, des huissiers, des troupes de ligne et des gardes nationales. Et nous remarquerons que les lois des 22 mars 1831 et 23 juin 1851, relatives à la garde nationale, ne font point obstacle à l'application de l'art. 234 à cette branche de la force armée; en effet, les art. 87 et suivants de la première et les art. 74 et 75 de la seconde, maintenus par l'art. 23 du décret du 11 janvier 1852, ne prévoient que le cas où un garde national, officier ou soldat, manque au service personnel pour lequel il a été commandé; et l'art. 234 du Code dispose pour un cas tout à fait distinct, celui où un chef de la force publique refuse de la faire agir sur une réquisition légale 2.

1005. Une réquisition est légale lorsqu'elle émane d'un fonctionnaire compétent et qu'elle est faite dans les formes prescrites par la loi. Les autorités civiles qui ont le droit de requérir l'action de la force publique sont les préfets et les sous-préfets, les maires et leurs adjoints, et les officiers de police judiciaire, chacun dans le cercle de ses attributions 3: les préposés des douanes et des contributions directes et indirectes, les agents forestiers, les huissiers et autres exécuteurs des mandements de justice, peuvent aussi demander main-forte aux dépositaires de la force publique, lorsqu'ils ne sont pas en force suffisante pour assurer l'exécution du service public dont ils sont chargés, ou lorsqu'il s'agit de

1. Ord. 29 oct. 1820, art. 53.

2. Cass., 17 juillet 1840, Bull. n. 203.

3. Lois 21 oct. 1789; 6-12 déc. 1790; 26 et 27 juill. 1791; 28 germ. an VI, art. 140; arr. 13 flor. an VII; ord. 29 oct. 1820; C. instr. crim., art. 25, 99, 106; 1. 10 avril 1831, art. 1er.

l'exécution des jugements et mandements de justice. Les réquisitions doivent être faites par écrit ; elles doivent énoncer la loi qui les autorise, le motif, le jugement ou l'ordre administratif en vertu duquel la gendarmerie est requise; la formule a été successivement indiquée par la loi du 26 juillet3 août 1791, par l'arrêté du 13 floréal an VII, et par l'art. 58 de l'ordonnance du 29 octobre 1820. Cependant, dans les cas d'urgence, et notamment dans ceux qu'ont spécifiés les art. 99 et 108 du Code d'instruction criminelle, ces formes ne doivent pas être exigées : cette exception commandée, sinon par la loi, du moins par la raison et la force des choses, doit nécessairement être faite à l'art. 147 de la loi du 18 germinal an VI, qui fait défense aux commandants de mettre à exécu tion les réquisitions qui ne seraient pas revêtues des formalités qui viennent d'être rappelées, sous peine d'être poursuivis comme coupables d'actes illégaux et arbitraires.

Ainsi le délit prévu par l'art. 234 n'existe point, si, hors le cas d'urgence, les formes prescrites par la loi pour les réquisitions n'ont pas été observées, et si, en second lieu, ces réquisitions n'émanent pas d'un fonctionnaire auquel la loi a spécialement délégué le pouvoir de requérir l'assistance de la force publique. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le commandant de la force armée auquel elles sont adressées est responsable de leur inexécution; mais, pour qu'il devienne passible d'une peine, il faut encore qu'il y ait eu de sa part refus de concours et infraction à ses obligations légales; car, et nous le répétons, c'est l'intention, c'est la désobéissance qui constitue le délit.

1006. La sanction de l'art. 234 n'était, dans le projet primitif du Code, qu'une amende de 16 à 300 fr. Un membre du Conseil d'Etat exprima l'avis que cette peine était trop faible pour réprimer un délit qui peut compromettre la sûreté publique; M. Berlier partagea cette opinion: « Le délit qu'on discute, dit-il, toujours grave en soi, peut avoir quelquefois des résultats funestes, et la force militaire est essentiellement, dans tout Etat bien constitué, l'auxiliaire de l'autorité

1. L. 18 germ. an VI, art. 133.

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