Images de page
PDF
ePub

la loi, pour que l'introduction même illicite prenne le caractère moral du délit.

872. L'art. 184 a été modifié sous plusieurs rapports par la loi du 28 avril 1832. Le texte primitif étendait la disposition pénale à tout juge, tout procureur général ou du roi, tout substitut, tout administrateur ou autre officier de justice ou de police; cette nomenclature a été rectifiée et étendue : l'article 184 s'applique actuellement à tout fonctionnaire de lordre administratif et judiciaire, tout officier de justice ou de police, tout commandant ou agent de la force publique. Ces deux énumérations ne diffèrent que sur un seul point: les agents de la force publique, qui n'étaient pas tous compris dans la première rédaction, le sont dans la seconde. « On avait oublié, a dit l'auteur de cette addition, que les gendarmes ne sont pas des officiers de police judiciaire, que cependant ils en remplissent quelquefois les fonctions, et que, lorsqu'ils mettent à exécution soit un mandat d'arrestation, soit un arrêt portant l'emprisonnement, ils peuvent commettre le délit de violation de domicile. »

Une deuxième innovation consiste dans l'addition des mots agissant en sa qualité : il en résulte que la violation de domicile commise par le fonctionnaire peut avoir un double caractère lorsqu'il agit en vertu de ses fonctions, lorsqu'il invoque son autorité, son délit rentre dans les termes de la première partie de l'art. 184; lorsqu'il agit, au contraire, en dehors de ses fonctions, et qu'il n'emploie pas son autorité pour commettre le délit, l'action est assimilée à celle d'un simple particulier, et le fait ne revêt un caractère criminel qu'autant qu'il réunit les conditions prescrites par le deuxième paragraphe du même article.

873. Une troisième addition, beaucoup plus importante, a été de n'incriminer l'introduction dans le domicile d'un citoyen qu'autant qu'elle a eu lieu contre le gré de celui-ci. Il faut bien se fixer sur le sens de ces termes. La loi n'a point voulu punir la seule omission des formes, même la violation du droit ; l'adhésion du citoyen lésé par la visite en couvre les vices, en écarte la criminalité : ce que la loi a voulu atteindre, c'est la mesure vexatoire, c'est l'acte arbitraire, c'est l'abus de pou

[blocks in formation]
[ocr errors][ocr errors]

voir. Il faut donc que la visite faite chez un citoyen, hors des cas prévus par la loi, ait eu lieu contre le gré de celui-ci, c'est-à-dire contre sa volonté. Il n'est pas nécessaire qu'il y ait autorisation de sa part, car un député avait proposé de mettre dans l'article au lieu de ces mots contre le gré de celui-ci, ceux-ci: sans l'autorisation de celui-ci, et cet amendement fut rejeté. Il n'est pas nécessaire, d'un autre côté, que des violences aient été exercées, car la loi ne s'est point servie de cette expression qu'elle a employée, au contraire, dans le second paragraphe du même article: il faut qu'il y ait consentement formel ou tacite; il suffirait donc de prouver, non pas seulement que l'habitant ne s'est pas opposé à la mesure, mais qu'il n'y a pas adhéré, qu'il ne l'a pas subie volontairement, pour que le fait dût être considéré comme punissable. Cette dispositiou a pris sa source dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont nous avons cité plus haut les arrêts, et qui pose en principe que la présence du juge de paix ou du maire, dans certaines visites domiciliaires, a pour unique effet de donner au particulier le droit de s'opposer à l'introduction des officiers de police dans son domicile, hors la présence de ce fonctionnaire, et que cette introduction, si le particulier ne s'y est pas opposé, n'emporte aucune nullité des procès-verbaux ou des saisies. Mais il faut prendre garde que, dans l'espèce de ces arrêts, la question portait uniquement sur la validité des actes, et nullement sur les caractères constitutifs du délit : l'irrégularité des formes n'emporte pas nécessairement la nullité des actes; mais la violation des garanties édifiées par la loi pour la protection des citoyens ne peut être couverte par leur seul silence et leur défaut de réclamation l'art. 184 n'exige pas qu'il y ait opposition et résistance à la visite; il demande seulement, comme élément de l'incrimination, qu'elle ait été faite contre le gré de la partie, et que par conséquent celle-ci ne l'ait pas consentie. C'est donc du consentement que le prévenu doit faire preuve, et non pas du défaut d'opposition seulement.

Toutefois il y a lieu de distinguer, au moins en matière spéciale, si la visite, faite du consentement du citoyen, est ou n'est pas l'exercice d'un droit; car, faite en dehors des cas

prévus par la loi, elle ne pourrait produire, même avec le consentement de celui-ci, aucun effet légal. On lit dans un arrêt, qui a été déjà en partie reproduit plus haut, « que le consentement du propriétaire à une visite faite dans sa maison par des gardes, opérant en vertu de l'art. 161, C. for., suffit pour couvrir l'irrégularité provenant de ce qu'ils ne se seraient pas fait assister par le maire; qu'en effet, la présence d'un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire n'a pour objet que de donner une protection au citoyen, et d'assurer le respect dû à l'inviolabilité de son domicile, sans être une condition de la régularité du procès-verbal et sans que la loi attache à son omission la peine de nullité; mais qu'il n'en est plus de même lorsque les gardes procèdent à une visite domiciliaire qui n'est point la suite et le complément d'une opération forestière; qu'ils sont alors sans droit et sans qualité pour pénétrer dans la maison, y faire des recherches et y verbaliser; que les actes qu'ils y dressent, étant l'œuvre de préposés sans attributions, se trouvent dépourvus de tout caractère probant, et qu'il ne peut dépendre de la volonté d'un particulier de conférer à des agents de l'autorité un pouvoir ou une compétence qu'ils ne tiennent pas de la loi 1. »

874. Tels sont les éléments du délit de violation de domicile: ce délit est du petit nombre de ceux dont la peine a été aggravée par la loi du 28 avril 1832. Le Code de 1810 n'avait porté d'autre pénalité qu'une amende de 16 à 200 fr. L'exposé des motifs justifiait en ces termes l'excessive indulgence de cette peine « On a, dans cette matière, cherché plutôt une peine efficace qu'une peine sévère. L'espèce du délit qu'on examine ne tire point sa source de passions viles et basses, comme les concussions ou la corruption; un zèle faux ou mal entendu peut produire assez souvent des abus d'autorité, et il importe de les réprimer, mais avec modération, si l'on veut que ce soit avec succès. Une amende d'ailleurs a sa gravité relative aux personnes qui en sont Fobjet; un fonetionnaire, qui n'a point abdiqué tous les sentiments d'honneur, sera plus qu'un autre sensible à cette peine et ne s'y expo

1. Cass., 17 juill. 1858, Bull. n. 202.

sera plus. » Ces observations attestent une singulière partialité du législateur de 1810 pour les abus de pouvoir des fonctionnaires publics. Il proclame le délit et le laisse à peu près impuni. Il prévoit la violation du droit sacré, et il ne la punit que d'une peine illusoire! On invoque les égarements d'un zèle pur dans son principe; mais tous les attentats des fonctionnaires seraient-ils justifiés par les apparences de ce zèle aveugle? N'est-ce donc que pour obéir à leurs supérieurs, n'est-ce donc pas aussi pour accomplir leurs devoirs envers les citoyens, qu'ils doivent déployer du zèle ? Et puis la violation du domicile peut s'aggraver par les circonstances qui l'accompagnent; elle peut s'opérer avec des menaces ou des violences; elle peut être animée par des influences étrangères, par une vengeance privée, par des haines politiques. Or, lorsque le délit s'élève à cette gravité, qu'est-ce qu'une amende pour le punir et pour satisfaire la conscience publique? Le législateur a dépouillé cette molle et coupable indulgence la peine s'est élevée à une année d'emprisonnement et 500 fr, d'amende. Ainsi les droits des citoyens, mieux compris, ont été protégés avec plus d'efficacité; les limites du pouvoir des fonctionnaires ont été marquées avec plus de précision, et les écarts de leur autorité appréciés avec impartialité.

875. Une dernière modification a eu pour objet l'addition de ces mots sans préjudice de l'application du deuxième paragraphe de l'art. 114. Cette disposition, qui admet une cause de justification pour les préposés qui invoquent l'ordre d'un supérieur, fut attaquée dans le cours de la discussion de la loi du 28 avril 1832: « Cette excuse, a-t-on dit, s'appliquerait difficilement dans le cas dont il s'agit; car un supérieur peut donner l'ordre de faire une visite domiciliaire; mais celui qui l'exécute peut, dans les détails de sa mission, violer la loi, et le supérieur ne peut être responsable de la violation. D'ailleurs, quand l'illégalité vient du fonctionnaire supérieur, il y a deux délits le délit du fonctionnaire qui a donné l'ordre, et le délit de celui qui l'a exécuté. La faute du premier n'efface pas celle de l'autre il y a deux complices; car l'ordre ne suffit pas pour légitimer un délit. » On a répondu à

ces objections: <«< Nous ne soutenons pas la doctrine de l'obéissance passive, mais nous soutenons celle de la responsabilité ministérielle. Nous ne disons pas que les fonctionnaires sont toujours à l'abri de toute responsabilité derrière des ordres supérieurs; nous disons au contraire qu'ils ne doivent obéissance, qu'ils ne sont dégagés de la responsabilité que pour les objets qui sont du ressort hiérarchique. Mais s'ils justifient qu'ils ont agi par ordre des supérieurs auxquels ils devaient obéissance, la responsabilité retombe sur le fonctionnaire supérieur. Ce que nous voulons éviter, c'est d'empêcher que les inférieurs ne désobéissent aux supérieurs pour l'exécution d'ordres légaux. » Tels sont aussi les principes que nous avons posés et développés dans notre chapitre sur la contrainte, no 280. Ainsi, l'agent qui s'introduit dans le domicile d'un citoyen, par l'ordre d'un supérieur, est excusable, si le supérieur et lui-même avaient mission légale pour ordonner et exécuter cette mesure. Ainsi, lorsque l'ordre n'est exécutoire qu'après certaines formalités, son exécution, sans que ces formes aient été accomplies, serait un fait imputable.

876. La loi du 28 avril 1832 a ajouté à l'art. 184 un deuxième paragraphe qui est ainsi conçu: «< Tout individu qui se sera introduit, à l'aide de menaces ou de violences, dans le domicile d'un citoyen, sera puni d'un emprisonnement de six jours à trois mois et d'une amende de seize francs à deux cents francs.» Cette disposition comble une lacune évidente dans le Code: car, si le délit de violation de domicile est le plus souvent le résultat d'un abus d'autorité, il peut également être commis par des individus qui ne sont revêtus d'aucune fonction. Mais il est visible que cette disposition n'est point à sa place; ce n'est que par la connexité de la matière qu'elle se trouve liée à l'art. 184, et placée sous la rubrique des abus de pouvoir le mode adopté pour la révision du Code explique cette irrégularité sans la justifier.

1. ** Jugé qu'il y a délit de violation de domicile de la part du mari qui s'introduit violemment dans le domicile conjugal lorsque sa femme, demanderesse en séparation de corps, a été autorisée à y résider exclusivement (Amiens, 11 janv. 1873; S. 74, 2, 246.)

« PrécédentContinuer »