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custodiâ erant. Ce qu'il importe donc de définir, c'est ce qu'on doit entendre par le bris de prison et les violences, puisque ces circonstances sont, dans tous les cas, constitutives du délit.

Cette définition résulte des termes mêmes de la loi: il ne peut y avoir de bris de prison sans une effraction extérieure, il ne peut y avoir de violences, dans le sens de la loi, qu'autant qu'elles sont exercées sur la personne des préposés à la garde des détenus. Le bris de prison existe quand le détenu a arraché les barreaux des fenêtres, enfoncé les portes, commis enfin une effraction de nature à faciliter sa sortie : effracto carcere, effractis foribus. Mais ces termes doivent étre restreints dans leur sens propre le détenu qui s'évade par adresse ou par supercherie, par exemple en revêtant des vétements étrangers, en trompant la surveillance des gardiens, ne rentre point dans les termes de la loi, car la loi n'a incriminé que les actes d'effraction et de violence; et c'est le cas d'appliquer l'exception de la loi romaine, mais sans réserver la peine légère qu'elle prononçait encore si per negligentiam custodum evaserunt, leviùs puniendos. Il en est de même à l'égard de l'escalade des murs de la prison et du bris des fers qui retiennent le détenu captif; car l'escalade n'est pas une effraction, et le bris des fers n'est pas un bris de prison. « Celui qui s'évade, dit Jousse, en passant par-dessus le mur de la prison, ou en sortant par une fenêtre d'où il se laisse glisser en bas, ne peut être poursuivi. Le prisonnier même qui brise ses fers, et qui ensuite, trouvant l'occasion de se sauver, s'enfuit des prisons, ne paraît pas devoir être puni 2. »>

Les violences sont toutes les voies de fait et les menaces qui ont pour objet de paralyser la garde et la surveillance des préposés de la prison ou de la force armée qui escorte les détenus. « Si l'évasion, dit encore Jousse, est faite en usant de la violence à l'égard du geôlier ou des guichetiers,

1. L. 1, Dig. de effractoribus ; l. 13. Dig. de custodiâ reorum ; l. 38, § 110, Dig. de pœnis; 1. 13, § 5, de re militari.

2. Traité des matières crim., t, 4, p. 89.

soit en menaçant de les tuer, ou en les forçant de donner les clefs, ou en les leur arrachant par force ou par violence, alors elle devient punissable 1. » Ces mots sont l'explication la plus claire de cette expression. Ainsi l'on ne doit pas confondre le bris et les violences: celui-là s'applique aux choses matérielles, celles-ci ne s'appliquent qu'aux personnes. Hors de la prison, l'évasion qui peut avoir lieu des mains des agents de la force publique n'est punissable que lorsqu'elle s'est opérée avec violences 2. Ainsi les actes de corruption pratiqués par le détenu sur ses gardiens ne seraient point compris dans les termes de l'art. 245, puisque cet article ne prévoit que les actes de violence. Mais il est nécessaire d'ajouter que si les violences commises sont d'une nature assez grave pour constituer un délit ou un crime distinct, si, par exemple, les détenus ont frappé, blessé ou tué l'un des gardiens, ce fait est puni, non plus à titre de simples violences constitutives du délit d'évasion, mais comme un délit sui generis, passible de la peine appliquée par la loi aux délits de cette nature. Cette réserve, qu'il était peut-être inutile d'exprimer, est formellement énoncée par les termes qui terminent l'art. 245 «<le tout sans préjudice de plus fortes peines qu'ils auraient pu encourir pour d'autres crimes qu'ils auraient commis dans leurs violences. »

1016. Un arrêt de la Cour d'appel de Paris a jugé que les détenus qui se sont évadés sont passibles des peines portées par l'art. 245, par cela seul qu'ils savaient, au moment de l'évasion, qu'elle s'opérait à l'aide soit de violences, soit de bris de clôture, et qu'ils ont profité des moyens pratiqués par quelques-uns d'entre eux pour l'opérer 3; les motifs de cet arrêt sont : « que l'évasion, non plus que le bris de prison, de la part des détenus, ne constitue point séparément l'action que la loi a réprimée, l'évasion par bris de prison; ce qui n'implique pas la coopération personnelle de chacun des individus au fait de bris de prison, mais seulement l'emploi des

1. Traité des matières crim., t. 4, p. 89.

2. Cass., 5 avril 1832, Bull. n. 127.

3. Art. 26 déc. 1835, Journ. du dr. crim., 1836, p. 71.

moyens de violences pratiqués par quelques-uns, dans le but d'une évasion concertée en commun avant leur évasion. »> Cette doctrine nous semble trop absolue. Notre Code n'a point incriminé, comme l'avait fait la loi romaine, le complot formé par des prisonniers pour s'évader; ce n'est donc que par des actes de coopération active ou par des actes de complicité qu'ils peuvent devenir coupables du délit d'évasion par bris de prison; et lorsque, comme dans l'espèce, aucune de ces deux circonstances n'est établie, l'évasion cesse d'être un délit ; car quel fait leur reprocherait-on encore? D'avoir profité des moyens pratiqués par quelques détenus pour s'évader? Mais c'est là précisément l'évasion simple qui, affranchie des circonstances de bris et de violence, n'entraîne aucune peine. Les détenus ont vu une porte ouverte, ils en ont franchi le seuil. Qu'importe que cette porte ait été ouverte par leurs codétenus ou par la négligence des gardiens? Qu'importe mème qu'ils aient connu à l'avance les tentatives faites pour opérer l'effraction? Cette circonstance ne suffit pas pour les constituer complices; il est nécessaire, aux termes de l'art. 60 du Code pénal, qu'ils aient agi sur les auteurs du bris par dons, promesses ou menaces, ou qu'ils les aient aidés soit en leur procurant des armes ou des instruments, soit par une coopération effective. L'arrêt de la Cour de Paris nous paraît donc avoir étendu au delà de leur sens les termes de la loi.

1017. Nous venons d'indiquer les caractères du bris et de la violence qui constituent le délit prévu par l'art. 245; il est inutile d'ajouter que ces circonstances ne peuvent être incriminées qu'autant qu'elles sont réunies à l'évasion ou à la tentative de l'évasion: c'est comme moyens criminels employés pour accomplir un acte de désobéissance à la loi, que la loi les a inculpés; le délit est donc complexe : il se compose de l'évasion ou de la tentative de cette évasion, et du bris ou de la violence employés comme mode d'exécution. Chacune de ces deux circonstances est également essentielle à l'existence du délit.

Enfin, il est nécessaire que le lieu de détention d'où le prévenu s'est évadé soit une prison légalement établie; nous avons fait connaître précédemment quels sont les lieux de

détention institués par la loi ou par l'administration publique'. La Cour de cassation n'a fait que confirmer cette règle en déclarant que l'individu arrêté en flagrant délit, et déposé dans la chambre de sûreté de la caserne de gendarmerie, à défaut d'autre prison, se rend passible des peines portées par l'art. 245, s'il s'évade de ce lieu avec bris ou violences *; car cette décision est uniquement fondée sur ce que cette chambre de sûreté est formellement autorisée par l'art. 85 de la loi du 28 germinal an VI 3.

1018. La peine portée par l'art. 245 est un emprisonnement de six mois à un an. Avant de s'arrêter à ce taux, la peine appliquée à l'évasion a subi d'étranges variations; la loi romaine prononçait la peine de mort Saturninus probat eos qui de carcere eruperunt sive effractis foribus, sive conspiratione cum cæteris qui in eadem custodia erant, capite puniendos. Néanmoins cette peine n'était pas rigoureusement appliquée, et les jurisconsultes ont épuisé les subtilités de l'interprétation pour lui substituer une peine plus douce 5. En France, nulle disposition de la législation ne déterminait le châtiment de ce délit; et toutefois l'ordonnanne de 1670 le supposait nécessairement punissable, puisqu'elle assujettissait les détenus évadés à toute la rigueur d'une procédure extraordinaire la peine était dès lors arbitraire et se réglait d'après les circonstances et la qualité du fait.

Cependant notre législation actuelle n'étend pas la peine correctionnelle de l'art. 245 à tous les cas d'évasion; elle en excepte les évasions des forçats dans les bagnes. L'art 16 du titre 3 de la loi du 20 septembre-12 octobre 1791 porte: >> Chaque évasion de forçats sera punie seulement par trois années de chaîne de plus pour les forçats à terme, et par

1. V. suprà, n. 163, 165 et 167.

2. Cass., 28 avril 1836, Journ., du dr. crim., 1836, p. 321.

3. V. dans le même sens arr. Montpellier, 12 oct. 1860, S. 61. 2. 191. – ** V. aussi Lyon, 2 janvier 1884; S. 87. 2. 68.

4. L. 1. Dig. de effractoribus.

5. Julius Clarus, quæst. 21, n. 27; Mcnochius, de arbitr. jud. casu 301, n. 5; Farinacius, quæst. 33, n. 23 et 24.

l'application à la double chaîne pendant le même temps, pour les forçats qui sont actuellement condamnés à vie. » Le législateur ne crut pas pendant quelque temps cette peine suffisante, et l'art. 69 du décret du 12 novembre 1806 y substitua cette disposition exorbitante: «Tout forçat qui s'évadera sera condamné à vingt-quatre années de fers: et s'il est déjà condamné à cette peine, il sera mis à la double chaîne pendant trois ans. » Cette peine, aussi injuste par son énormité qu'illégalement imposée, fut elle-même abrogée par l'ordonnance du 2 janvier 1817, dont l'art. 1° est ainsi conçu : « Conformément à l'article 16 du titre 3 de la loi du 12 octobre 1791, tout forçat qui s'évadera sera puni, pour chaque évasion, par trois années de travaux forcés, lorsqu'il ne sera condamné qu'à terme ; et par l'application à la double chaîne pendant le même espace de temps, s'il est condamné à perpétuité. » Ainsi l'art. 245 ne s'applique qu'aux individus qui sont détenus dans les prisons proprement dites, et la jurisprudence a confirmé cette restriction. On peut remarquer à la vérité que nulle voix ne s'est élevée dans les discussions préparatoires du Code pour réserver l'application de la loi de 1791; que tous les lieux de détention qui sont légalement établis se trouvent en général compris dans le titre générique de prison dont la loi s'est servie; et qu'ainsi, à côté du Code qui détermine, sans faire nulle distinction, les éléments et les peines du délit d'évasion', une disposition antérieure se trouve maintenue qui pose d'autres règles et d'autres peines. Il résulte, en effet, du texte de cette disposition, que ce n'est pas seulement l'évasion par bris ou par violences qu'elle punit, mais aussi l'évasion simple, celle qu'aucune circonstance n'aggrave et que le Code déclare ne constituer aucun délit. Il en résulte encore que la peine uniforme et inflexible de trois années de fers frappe sans nulle distinction l'évasion sans bris ni violences et l'évasion avec violences et effraction.

Mais ces différences dans les éléments du délit tiennent aux différences dans le mode d'exécution des peines. Là où il n'y a pas d'incarcération proprement dite, pas de murs ou de portes à franchir ou à briser, l'évasion prend un autre

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