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les cas indistinctement où il s'agit d'une personne légalement détenue, mais seulement aux cas respectifs où la personne évadée, non-seulement était prévenue ou accusée à raison d'un délit prévu et puni par les lois françaises, mais encore passible de certaines peines déterminées ; que des dispositions pénales ne peuvent être étendues 1. » Cette interprétation est conforme au texte de la loi.

Mais il ne faut pas considérer comme arbitraire une détention qui, quoique momentanément irrégulière, a une cause légitime. Un individu, accusé par la clameur publique du crime de viol, avait été saisi et provisoirement confié par le commissaire de police à la garde d'un agent de police qui le laissa évader. Celui-ci, poursuivi à raison de ce fait de négligence, fut renvoyé des fins de la plainte parce que l'arrestation n'avait pas été régulièrement formalisée. Ce jugement a été cassé, « attendu que les officiers de police judiciaire, auxiliaires du procureur impérial, tiennent de l'art. 49 du Code d'instruction criminelle, dans le cas de flagrant délit ou de clameur publique, le pouvoir attribué à ce magistrat par les art. 32 et 41 de ce Code, de faire arrêter le prévenu d'un fait de nature à entraîner une peine afflictive ou infamante; qu'il suffit donc qu'un de ces officiers, agissant dans l'ordre de ses attributions, ait placé l'individu arrêté sous la garde d'un agent de la force publique, pour que celui-ci soit passible des peines que prononcent les articles 237 et 239, lorsqu'il a procuré ou facilité son évasion par sa négligence; que l'application de ces dispositions n'est point subordonnée à la légalité de l'acte qui a constitué l'agent de police gardien de l'inculpé 2. »

1025. Notre deuxième observation se rapporte aux agents qui sont déclarés responsables de l'évasion; la loi les énumère ce sont les huissiers, les commandants en chef ou en sous-ordre de la force armée, les concierges, gardiens, geôliers et tous autres préposés à la conduite, au transport ou à la garde des détenus. La responsabilité naît de la fonction:

1. Cass., 30 juin 1827, Bull. n. 162. 2. Cass., 3 mai 1855, Bull. n. 151.

dès que celle-ci impose le devoir de la surveillance, l'évasion doit en faire présumer l'infraction. Mais la loi pénale, qui étend cette responsabilité à tous les préposés civils, ne la fait pas peser sur tous les militaires qui sont employés à l'escorte ou à la garde des détenus. L'art. 2 de la loi du 4 vendémiaire an IV portait : « Sont également responsables les citoyens composant la force armée servant d'escorte ou garnissant les postes établis pour la garde des détenus. » L'article 237 a limité son incrimination aux commandants en chef ou en sous-ordre de la force armée : la conséquence de cette désignation est que les militaires qui ne sont ni officiers ni sous-officiers restent rangés dans la classe des personnes étrangères à la garde des détenus, et dès lors ne sont responsables de l'évasion que lorsqu'ils l'ont procurée ou facilitée.

On doit comprendre dans l'énumération de cet article les gardes nationales, car elles font partie de la force armée, mais avec la même restriction relative aux simples gardes nationaux. On doit y comprendre également les préposés des hôpitaux, dans le cas où les détenus y ont été transférés pour cause de maladie 1; toutefois la responsabilité ne pèse que sur les personnes chargées de la police de ces hôpitaux (décret du 8 janvier 1810, art. 11, no 3).

Mais il faut en excepter les officiers et sous-officiers qui ont laissé évader le prévenu d'un délit militaire confié à leur garde; ce cas spécial est prévu par l'art. 17 du titre 8 de la loi du 21 brumaire an V, qui est ainsi conçu: « Lorque, par une coupable négligence, la force armée aura laissé évader un prévenu de délit militaire confié à sa garde, les officiers, sous-officiers et les quatre volontaires les plus anciens de service faisant partie de la force armée, seront poursuivis et punis de la même peine que le prévenu aurait dû subir, sans néanmoins que cette peine puisse excéder deux ans de fers. » Nous n'examinons point ici cette peine, qui seule a conservé dans cette matière la trace de l'ancienne jurisprudence; nous ne faisons que constater l'exception.

1. Loi 4 vend, an VI, art. 15 et 16; décret du 8 janv. 1810, art. 1o et ii.

Mais ce texte, s'il a survécu à la loi du 4 vendémiaire an VI, a été abrogé par l'art. 216 du Code de justice militaire du 4 août 1857, ainsi conçu « Les dispositions des art. 237, 238, 239, 240, 241, 242, 243, 247 et 248 du Code pénal ordinaire sont applicables aux militaires qui laissent échapper des prisonniers de guerre ou d'autres individus arrêtés, détenus ou confiés à leur garde, ou qui favorisent ou procurent l'évasion de ces individus, ou les recèlent ou les font recéler. » Il y a lieu de remarquer que cet article omet de rappeler les art. 244, 245 et 246. La raison en est que les tribunaux militaires ne prononcent ni les dommages-intérêts qui font l'objet de l'article 244, ni la peine de la surveillance qui est portée par l'article 246; quant à l'art. 245, il est compris dans la disposition générale de l'art. 267 du Code de justice militaire.

1026. Nous passons maintenant à l'examen des divers degrés du délit. La loi a multiplié dans cette matière les distinctions et les subdivisions; chaque circonstance est incriminée séparément et imprime au fait une physionomie distincte. Le Code puise d'abord la base de ses peines dans la gravité du crime sous le poids duquel l'évadé était détenu: ces peines diffèrent donc suivant que ce fait est passible d'une peine correctionnelle ou infamante, d'une peine afflictive temporaire, enfin d'une peine perpétuelle ou de la peine de mort. Si, en effet, dans ces divers cas, l'acte de l'agent qui a favorisé l'évasion est le même, cet acte acquiert cependant une gravité plus haute, puisqu'il produit un dommage plus grand à la société. La quotité de ce dommage, ou, en d'autres termes, le titre de l'accusation ou de la condamnation n'est point toutefois une circonstance aggravante; elle est constitutive du délit ou du crime, et forme l'un de ses éléments 1.

L'art 238 établit le premier degré de cette échelle répressive: «Si l'évadé, porte cet article, était prévenu de délits de police ou de crimes simplement infamants, ou condamné pour l'un de ces crimes, s'il était prisonnier de guerre, les

1. Cass., 7 août 1845, Bull. n. 253.

TOME III.

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préposés à sa garde ou conduite seront punis, en cas de négligence, d'un emprisonnement de six jours à deux mois, et, en cas de connivence, d'un emprisonnement de six mois à deux ans 1. >>

1027. La distinction de la négligence et de la connivence des préposés est la première disposition à laquelle on doit s'arrêter dans cet article. La négligence est une simple contravention matérielle; c'est l'infraction du devoir de surveillance imposé à tous les préposés : la loi suppose qu'ils n'ont nullement eu l'intention de faciliter l'évasion, que la pensée de violer leur devoir leur est restée étrangère; elle ne les punit que parce qu'ils ont omis des mesures de précaution qu'elle leur avait prescrites, ou qu'ils n'ont pas pris les mesures extraordinaires que les circonstances exigeaient. La connivence est, au contraire, l'infraction intentionnelle du devoir; c'est l'acte par lequel le préposé à la garde du détenu procure ou facilite son évasion, se sert de ses fonctions pour l'accomplir, et trahit la mission confiée à sa foi. La négligence et la connivence sont donc séparées par toute la distance qui existe entre l'infraction matérielle et l'infraction morale, entre la contravention et le délit.

La négligence est présumée dans toute évasion de détenus; c'est là le sens de ces termes de l'art. 237 : « Toutes les fois qu'une évasion de détenus aura lieu, les préposés seront punis ainsi qu'il suit. » Mais de ces termes on ne doit pas induire que toute évasion entraîne nécessairement l'applica tion d'une peine, car les articles qui suivent subordonnent cette peine au cas de négligence. Il faut donc que le fait de

1. ** Le Code pénal allemand, sans entrer dans de pareilles distinctions relativement à la peine dont le détenu était passible, porte: « Celui qui, étant chargé de surveiller ou de conduire un détenu, l'aura volontairement laissé s'évader ou aura favorisé son évasion, sera puni d'un emprisonnement de trois ans au plus. S'il n'y a eu que négligence ou imprudence, la peine sera l'emprisonnement pendant trois mois au plus et une amende de 100 thalers au plus.

2. ** Elle constitue un délit, puisqu'elle est punic de peines correctionnelles (art. 1er, C. P.). L'auteur d'un homicide par imprudence n'a pas non plus d'intention coupable, et il n'en commet pas moins un délit.

la négligence soit constaté, et que, par exemple, il soit prouvé que le préposé a omis quelques précautions, quelques mesures de sûreté qu'il était de son devoir de prendre ; mais le gardien, que ses fonctions rendent responsable de l'évasion, peut être contraint de prouver qu'il n'y a pas de sa faute et qu'aucun fait de négligence ne peut lui être imputé. Telle était la décision de l'art. 6 de la loi du 13 brumaire an II, portant qu'aucune peine ne pourrait être prononcée, si les prévenus prouvaient que l'évasion n'avait eu lieu que par l'effet d'une force majeure et imprévue. C'est aux juges qu'il appartient d'apprécier les cas de force majeure il existe un décret de la Convention du 3 messidor an II qui, sur la question de savoir si le mauvais état d'une prison peut créer en faveur du geôlier l'exception de force majeure, déclare : « que c'est aux jurés à décider si, dans la circonstance d'une évasion prouvée par le mauvais état de la prison, la vigilance du concierge a été assez assidue et assez sévère pour qu'il puisse être considéré comme ayant fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir l'évasion. >>

La connivence ne se présume pas. La simple évasion ne suffit pas pour en fonder l'accusation: il faut qu'il soit établi, non-seulement que l'évasion est le résultat de la faute du préposé, mais qu'il l'a sciemment procurée et facilitée; il faut qu'il soit certain que ce n'est pas à sa négligence ou à son impéritie qu'on doit l'imputer, mais à sa volonté, à l'intention coupable de favoriser la fuite d'un détenu. Le prévenu de connivence peut demander que la question relative à la négligence soit posée : cette dernière circonstance est, en effet, en quelque sorte l'excuse légale du délit; elle en atténue la gravité, elle en modifie le caractère; et les nuances quelquefois légères qui peuvent distinguer ces deux actes ne permettent pas d'y voir deux délits que la même prévention ne puisse réunir, que le même fait ne puisse supposer 1.

1028. L'art. 238 prévoit les cas où le détenu était prévenu de délits de police, de crimes infamants, ou condamné pour

1. V. cependant arr. contr. Cass, 16 avril 1819, Dall., t. 4, p. 443.

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