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CHAPITRE XXXVIII.

DÉGRADATION DES MONUMENTS.

(Commentaire de l'art. 257 du Code pénal).

1056. Caractères généraux de ce délit. 1057. Objet particulier de l'art. 257.

1058. Examen du texte de cet article.

1059. Une condition essentielle du délit est que la dégradation ait été faite à dessein.

1056. Les caractères généraux de ce délit ont été tracés avec une grande clarté dans le rapport fait au Corps législatif: « Les monuments destinés à l'utilité et à la décoration publique, disait le rapporteur, sont sous la sauvegarde de tous les citoyens; ils sont l'embellissement de nos villes ; ils rappellent la grandeur des peuples qui nous ont précédés, les grands talents de leurs artistes, la magnificence de leurs souverains; ils appartiennent aux siècles futurs comme au temps présent, et ils sont la propriété de tous les âges. Ceux qui sont créés de nos jours doivent nous être plus chers encore: ils attesteront à nos successeurs les faits glorieux du plus grand des monarques, et serviront à en éterniser la mémoire. Mais, quand les nombreuses cités qui composent ce vaste empire s'empressent à l'envi de transmettre à la postérité, par des monuments pompeux, leurs sentiments d'amour et d'admiration pour sa personne auguste et sacrée; quand nos artistes, animés par son génie, rivalisent avec les anciens pour éterniser son grand nom, la loi ne peut rester muette; elle doit déployer sa sévérité contre les sacriléges mains qui oseraient mutiler, dégrader ou détruire ces belles créations du génie; défendre avec le même soin les restes précieux de l'antiquité et les produits des temps modernes, et empêcher

que le vandalisme, qui a si longtemps souillé nos contrées, n'y rapporte encore ses ravages. »

1057. Nous avons dû recueillir ces paroles, d'ailleurs quelque peu emphatiques, parce qu'elles expriment l'intention du législateur et le but qu'il se proposait. Une loi du 6 juin 1793 décrétait la peine de deux ans de fers contre quiconque dégraderait les monuments des arts dépendant des propriétés nationales. La même pensée, mais moins restreinte, a dicté l'art. 257, qui est ainsi conçu: «< Quiconque aura détruit, abattu, mutilé ou dégradé des monuments, statues et autres objets destinés à l'utilité ou à la décoration publique, et élevés par l'autorité publique ou avec son autorisation, seral puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans, et d'une amende de 100 à 500 fr. 1. »

Ce que la loi a voulu protéger, ce sont les monuments des arts; ce qu'elle a voulu réprimer, se sont les actes du vandalisme. Cette pensée, exprimée par le législateur, ressort d'ailleurs du texte même de l'article: ce sont les monuments, les statues, les objets destinés à la décoration publique, et élevés par l'autorité publique, que sa sollicitude a eus en vue. Ainsi, s'il faut envelopper dans cette protection salutaire toutes les œuvres des arts, quelles qu'elles soient, qui servent à la décoration de nos cités et qui deviennent dès lors une propriété publique, il faut en écarter en même temps tous les monuments, toutes les constructions qui n'ont pas ce caractère. C'est d'après ce principe que la Cour de cassation a jugé que la dégradation d'une guérite 2, que la destruction de jalons placés par un ingénieur des ponts et chaussées 3, ne pouvaient rentrer dans les termes de l'art. 257, parce que ce ne sont pas là des monuments dans le sens de cet article 4.

* Le Code pénal allemand (art. 304) prononce la peine d'empri sonnement pendant 3 ans au plus ou une amende de 500 thalers, avec privation facultative des droits civiques.

2. Cass., 22 mai 1828, Bull. n. 63.

3. Cass., 4 mars 1825, Bull. n. 40.

4. Dans un récent arrêt, la Cour suprême dit « que l'art. 157 réprime

1058. L'article primitif du Code comprenait dans ses termes les monuments élevés par l'autorité du gouvernement ou des administrations départementales ou municipales. A ces expressions on a substitué celles-ci élevés par l'autorité publique ou avec son autorisation. L'intention qui dicta cette substitution fut d'étendre la disposition qui parut trop limitée. Un membre du conseil d'Etat fit observer que cette disposition ne devait pas être bornée aux monuments élevés par le Gouvernement ou par les administrations, soit départementales, soit municipales; qu'il fallait y comprendre généralement tous ceux qui le sont par des corporations autorisées, telles, par exemple, que les bourses de commerce. Cambacérès ajouta que la disposition devait s'appliquer, non-seulement aux monuments élevés par l'autorité publique, mais encore à ceux qui le sont avec son autorisation, fût-ce par des particuliers 1. C'est pour exprimer cette pensée extensive que la rédaction de l'article fut modifiée.

Une deuxième modification fut encore introduite pour étendre les termes de l'article 257; les mots et autres objets qui suivent les mots monuments et statues, n'existaient pas dans le texte primitif; la commission du corps législatif fit observer « qu'il est une espèce de monuments qui ne sont point indiqués dans cet article ; des raisons faciles à saisir semblent devoir permettre de l'y rappeler, parce que leur destruction ou mutilation peut nuire à la tranquillité publique,

et punit la destruction, l'abatage, la mutilation ou la dégradation des monuments, statues et autres objets destinés à l'utilité ou à la décoration publique, et élevés par l'autorité publique ou avec son autorisation; que les faits prévus par cet article ne doivent être confondus ni avec ceux qui peuvent constituer des contraventions à des arrêtés légalement pris par l'autorité administrative, ni avec ceux que prévoit l'art. 437 du Code pénal, aux termes duquel la destruction ou le renversement des édifices, ponts, digues ou chaussées ou autres constructions de la même nature appartenant à autrui sont punis de la même peine »; elle décide en conséquence que le remblai d'un réservoir d'eau ne peut être considéré comme un monument public auquel l'art. 257 soit applicable (Cass., 9 janv. 1886; Bull. no 13).

1. Procès-verbaux du Cons. d'Etat, séance du 19 août 1809.

lorsque le Gouvernement ou ses agents en ont autorisé l'exécution. Tels sont les croix, les oratoires et autres objets de vénération religieuse, construits à l'extérieur des temples, sur les places et routes, par les communes. La protection qui leur serait accordée ne nuirait en rien à la liberté des cultes confiés à la foi publique, érigés avec autorisation, leur mutilation ou destruction peut entrer, sans inconvé nient, dans un article qui a pour objet une protection spéciale pour tout ce qui porte le caractère de monument. >> La commission proposait en conséquence une disposition ainsi conçue : « Ceux qui auront mutilé ou détruit les signes et objets de culte, érigés à l'extérieur des temples avec autorisation, seront punis de la même peine. » Le conseil d'Etat ne crut pas devoir adopter la rédaction proposée par la commission; il pensa qu'il suffisait d'amender celle du projet, de manière que les objets que la commission mentionnait ne fussent pas exclus de là l'introduction dans l'article des mots et autres objets 1.

L'art. 14 de la loi du 20 avril 1825 avait ajouté aux dispositions de l'art. 257 la disposition suivante: «< Dans les cas prévus par l'art. 257 du Code pénal, si les monuments, statues ou autres objets détruits, abattus, mutilés ou dégradés, étaient consacrés à la religion de l'Etat, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de 200 à 2,000 fr. La peine sera d'un an à cinq ans d'emprisonnement et de 1,000 à 5,000 fr. d'amende, si le délit a été commis dans l'intérieur d'un édifice consacré à la religion de l'Etat. » L'art. 16 de la même loi étendait l'application de cet article aux édifices consacrés aux cultes

1. ** Jugé que le fait d'avoir arraché et mutilé des drapeaux placés sur un édifice communal à l'occasion de la fête nationale pour la décoration publique et par ordre de l'autorité municipale constitue le délit prévu par l'art. 257 C. P., et qu'il n'est pas nécessaire, pour que ce fait soit punissable, qu'il ait eu lieu dans le dessein de faire injure au drapeau national ni avec l'intention de nuire (Cass., 31 mars 1882; Bull. n. 90; · 9 juin 1882; Bull. n. 140; 7 déc. 1883; Bull, n. 276; Bull. n. 162).

5 juin 1885,

légalement établis en France. Mais la loi du 20 avril 1825 a été abrogée par la loi du 11 octobre 1830, et dès lors cette disposition additionnelle a disparu de la législation l'article 257 forme le droit commun pour toutes les mutilations de monuments, soit qu'elles aient été commises dans un édifice consacré aux cultes, soit qu'elles concernent tout autre monument. Il faut cependant excepter le cas où une loi spéciale aurait prévu la dégradation; c'est ainsi que les art. 2 et 3 du décret du 27 décembre 1851, prévoient la dégradation des appareils de télégraphie électrique ou aérienne, et la punissent soit d'une amende de 16 à 300 fr., soit d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 100 à 1,000 fr. suivant qu'elle a été commise involontairement et par imprudence, ou volontairement, et suivant qu'elle a seulement compromis le service ou qu'elle en a causé l'interruption.

1059. Une condition essentielle du délit est que la dégradation ait été faite à dessein; c'est cette circonstance qui constitue la criminalité du fait, et que la loi a voulu punir. Si la dégradation est le résultat d'un accident, il existe encore un dommage, il n'existe plus de délit ; une action civile peut être intentée, mais l'action publique n'aurait plus de base, à moins que la loi ne l'ait saisie à titre de contravention, comme on vient de le voir dans l'art. 2 du décret du 27 décembre 1851. Si cette distinction n'est pas écrite dans le texte de la loi, elle résulte de cette règle fondamentale du droit pénal, règle qui domine toutes ses dispositions, qu'il n'y a point de délit là où il n'y a pas eu intention d'en commettre.

Ainsi, les deux éléments du délit sont qu'il y ait destruction, mutilation ou dégradation de monuments élevés avec l'autorisation de l'autorité publique, et que cette dégradation ou cette destruction soit commise volontairement l'application de l'article est subordonnée au concours de ces deux éléments. De là il suit que la dégradation, même volontaire, de monuments élevés par les particuliers sans autorisation, ne rentrerait point dans les termes de cet article. Lors de la discussion du conseil d'Etat, Cambacérès voulait réserver l'ac

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