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L'art. 201, qui prévoit le premier terme de cette gradation, est ainsi conçu : « Les ministres des cultes qui prononceront, dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, un discours contenant la critique ou censure du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance royale ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans. »>

Il faut distinguer dans cette disposition les conditions de l'incrimination du discours qui sont communes aux trois articles, et le caractère de ce discours qui détermine l'intensité de la peine. Il est nécessaire, pour motiver les poursuites, que le discours ait été prononcé par un ministre du culte dans l'exercice de son ministère et en assemblée publique; ce sont là les éléments essentiels du délit. Si les paroles répréhensibles n'ont pas été proférées devant l'assemblée des fidèles et lorsque le ministre exerçait son sacerdoce, elles peuvent être incriminées encore en vertu des lois communes; elles ne sauraient l'être en vertu des dispositions spéciales du Code. C'est le sectaire fanatique, c'est le prédicateur séditieux que la loi a voulu atteindre; quand il est descendu de la chaire, quand il ne catéchise plus, le prêtre n'est plus qu'un citoyen soumis, pour ses paroles, aux règles de responsabilité communes à tous les citoyens.

Par discours il ne faut point nécessairement entendre un prône, une conférence, un sermon. Si la loi s'est servie de cette expression, c'est parce que le plus souvent les paroles répréhensibles prendront place dans les instructions de cette nature. Mais le prêtre qui n'élèverait la voix devant l'assemblée que pour faire entendre quelques paroles séditieuses et provocatrices, serait-il moins coupable que celui qui aurait encadré ces paroles dans un discours préparé à l'avance ? Cette expression comprend toutes les paroles prononcées par le ministre du culte, pourvu d'ailleurs qu'elles l'aient été en assemblée publique et dans l'exercice de son ministère. Ces deux circonstances sont seules constitutives du délit ; l'étendue et la forme du discours ne peuvent en modifier la criminalité.

923. Le discours ne constitue qu'un simple délit passible

d'une peine correctionnelle de trois mois à deux ans, s'il ne renferme que la critique ou la censure d'un acte du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance ou de tout autre acte de l'autorité publique. Il importe peu que cette critique soit directe ou indirecte la loi ne distingue pas; il suffit que le fait d'une critique, d'une censure quelconque, soit établi.

Le discours ne forme encore qu'un simple délit dans le cas même où il renferme une provocation à la désobéissance ou à la rébellion, si cette provocation n'a été suivie d'aucun effet. L'art. 202 est ainsi conçu : « Si le discours contient une provocation directe à la désobéissance aux lois ou aux autres actes de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l'aura prononcé sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, si la provocation n'a été suivie d'aucun effet ; et du bannissement, si elle a donné lieu à la désobéissance, autre toutefois que celle qui aurait dégénéré en sédition ou révolte. » Cette disposition provoque deux observations. On doit remarquer d'abord que la circonstance extérieure de l'effet produit par le discours est essentielle pour qu'il soit qualifié crime; ainsi, quelle que soit la nature ou la gravité de la provocation, tant qu'il n'existe ni désobéissance ni sédition, elle n'est passible que d'une peine correctionnelle. Il ne suffirait même pas qu'elle eût êté suivie de quelque effet pour revêtir la qualification de crime; car l'article exige, pour appliquer la peine du bannissement, qu'elle ait donné lieu à la désobéissance. Nous ferons remarquer ensuite que lorsqu'il s'agit de provocation à la désobéissance aux lois, l'article exige qu'elle ait été directe; et que lorsqu'il s'agit au contraire d'excitation à la guerre civile, il se contente d'une tendance, et par conséquent d'une provocation indirecte. Il suit de là que, dans ce second cas, l'art. 202 est toujours applicable, quel que soit le degré de gravité de la provocation, tandis que, dans le premier, si la provocation n'est qu'indirecte, cet article cesse de régir l'espèce, et c'est à la loi commune qu'il faut se référer pour caractériser les paroles provocatrices.

924. Nous avons dit que la provocation ne constituait encore

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qu'un délit dans le cas même où elle appelle la sédition ou la révolte, si elle n'a exercé aucun effet. Mais si l'effet a suivi cet appel seditieux, le ministre est considéré comme fauteur de la sédition, et puni comme complice des crimes qu'elle a pu entraîner. C'est ce qui résulte des termes de l'art. 203, ainsi conçu : « Lorsque la provocation aura été suivie d'une sédition ou révolte dont la nature donnera lieu contre l'un ou plusieurs des coupables à une peine plus forte que celle du bannissement, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au ministre coupable de la provocation. » Ainsi la peine pour le ministre provocateur reste le bannissement, au cas même où son discours a été suivi d'une révolte, à moins que l'un des auteurs des actes séditieux n'ait encouru une peine plus forte; et, dans ce cas seulement, cette peine peut être appliquée au ministre, en vue de la responsabilité que ses paroles ont assumée sur sa tête.

925. Mais comment constater les nuances de la criminalité du discours? Comment discerner s'il s'est borné à porter la censure sur un acte du gouvernement, s'il a provoqué à lui désobéir, à se révolter sur-le-champ? Lorsque les paroles fugitives n'auront laissé nulle trace, lorsqu'elles n'auront produit aucun effet, comment, sur la foi des souvenirs, les rétablir pour en faire jaillir un sens précis, un délit ? Cette objection sembla fort grave au Conseil d'Etat, lors de la discussion du Code. Il parut à quelques membres de ce conseil que les précautions prises par la loi, pour la garantie des accusés, ne suffisaient pas dans l'espèce; que la difficulté de la preuve appelait d'autres dispositions; que les auditeurs apprécieraient les paroles du prédicateur d'après leurs préventions, le degré de leur zèle et leurs opinions religieuses; et que la justice, mal éclairée, ou s'abstiendrait de punir, ou punirait avec une rigueur excessive. Il fut répondu à ces objections que sans doute, lorsqu'il s'agit de recueillir des paroles pour en composer un corps de délit, les organes de la justice ne sauraient user de trop de circonspection, puisque souvent un mot transposé peut donner une physionomie coupable à une phrase innocente; mais que si quelques témoins altèrent le fait, l'accusé en produira d'autres pour le rétablir;

et qu'il est assez probable que là où il n'y aura pas un faisceau d'inculpations unanimes, ou à peu près, l'accusé serait acquitté qu'enfin, si la preuve est entourée de quelques difficultés, elle n'est point impossible; que ces difficultés sont les mêmes dans toutes les provocations par paroles, et que cependant la loi n'a point établi de dispositions exceptionnelles; que si la valeur des paroles du prêtre peut n'être pas également comprise par tous les auditeurs, il en résulte une sorte de privilége, puisqu'il est moins facile d'atteindre le délit la justice sera plus circonspecte dans ses poursuites; mais il suffit qu'elle puisse agir dans les cas les plus graves, pour que la conscience publique, offensée par le délit, soit satisfaite. Tels furent les motifs qui portèrent à rejeter toute disposition exceptionnelle, relativement à cette classe de délits. Mais on en inféra avec raison que les peines devraient être moins élevées et plus flexibles que celles qui se rapportent aux mêmes délits quand ils sont commis par écrit, puisque les délits de la parole ont un caractère plus vague, des nuances plus variées et plus difficiles à fixer, puisqu'on peut supposer que leur auteur a pu céder à un moment d'entrainement et d'irréflexion 1. De là les différences qui furent établies entre les peines que prescrivent les art. 201, 202 et 203, et celles qui sont portées par les art. 204 et suivants.

926. Un avis du Conseil d'Etat a décidé, sur la demande en autorisation de poursuites formée par un préfet, qu'il n'y a pas lieu de traduire en justice le prêtre prévenu d'avoir tenu en chaire des discours propres à exciter à la haine et au mépris du gouvernement, « lorsqu'il a rétracté devant son évêque le propos répréhensible qu'il s'est permis, et s'est engagé à renouveler sa rétractation en chaire 2». Cette décision n'est point assurément une règle que les tribunaux puissent suivre lorsqu'ils sont saisis la rétractation n'efface point le délit, elle en peut être seulement une cirConstance atténuante; mais cette jurisprudence témoigne de la circonspection qui doit accompagner l'action publique dans

1. Procès-verbaux du Conseil d'Etat. séance du 29 août 1809. 2. Ord. du 16 déc. 1830, Journ. du dr. crim., 1831, p. 55.

ces matières. Ce n'est pas seulement quand les paroles répréhensibles sont constatées que cette action doit être mise en mouvement, il faut encore que ces paroles soient animées par un esprit d'opposition et de rébellion, que la société civile ait été bravée, et qu'il y ait nécessité de soumettre le ministre provocateur au frein des lois 1.

§ III.

- Des critiques, censures ou provocations dirigées contre l'autorité publique dans un écrit pastoral.

927. Les art. 204, 205 et 206 prévoient et punissent, comme les articles que nous venons d'examiner, la censure du gouvernement et de ses actes, et les provocations à la désobéissance et à la révolte que les ministres des cultes peuvent répandre parmi les citoyens. Mais une différence sensible sépare ces crimes de ceux qui les précèdent. Il ne s'agit plus ici d'une censure ou d'une provocation commise par la parole; la loi la prévoit et la saisit dans l'écrit qui doit la publier. Il ne s'agit pas ensuite de toute espèce d'écrits répréhensibles: la loi ne s'occupe que des seules instructions pastorales. Les écrits de cette classe, auxquels s'attache une haute autorité, ont paru appeler des dispositions spéciales, parce que les paroles qu'ils renferment ont plus de poids, et peuvent produire plus d'effet parmi les peuples 2.

Mais de ces dispositions ainsi limitées on doit déduire deux conséquences la première, c'est que les crimes qu'elles définissent ne peuvent en général être commis que par les évêques, puisque ces prélats seuls ont le droit de publier des instructions pastorales; et c'est là sans doute l'une des sources de l'élévation des peines édictées par ces articles, parce que ces membres du haut clergé, plus éclairés et plus puissants, se rendent plus coupables quand ils publient dans l'exercice même de leur ministère des écrits hostiles au gouvernement. Une deuxième conséquence, c'est qu'à l'égard de

1. Cass., 12 mars 1840, Bull., n. 79.

2. V. le rapport de M. le conseiller d'Etat Suin, sur l'appel comme d'abus formé contre l'évêque de Poitiers (Moniteur du 3 avril 1861).

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