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tous autres écrits répréhensibles qui seraient publiés par les ecclésiastiques et par les évêques eux-mêmes, c'est au droit commun qu'il faut se référer pour y trouver les règles de responsabilité qui leur sont applicables.

928. L'art. 204 est ainsi conçu : « Tout écrit contenant des instructions pastorales, en quelque forme que ce soit, et dans lequel un ministre du culte se sera ingéré de critiquer ou de censurer, soit le gouvernement, soit tout acte de l'autorité publique, emportera la peine du bannissement contre le ministre qui l'aura publié. » Plusieurs conditions se réunissent pour que cet article soit applicable: il faut que l'écrit soit une instruction pastorale, quelle qu'en soit d'ailleurs la forme; que cette instruction ait été publiée, car la pensée même écrite n'est encore aux yeux de la loi pénale qu'une pensée, jusqu'à ce que, par un fait autre que celui de la force majeure, le secret en ait cessé ; que cette publication soit le fait du ministre lui-même, car on ne saurait le rendre responsable d'un fait indépendant de sa volonté, et la loi a énoncé avec raison cette condition essentielle de la criminalité; enfin, que l'écrit contienne une critique ou une censure du gouvernement ou de ses actes.

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Les caractères généraux du crime restent les mêmes, mais la peine est aggravée, lorsque l'instruction pastorale renferme, non une simple censure, mais une provocation à la rébellion « Si l'écrit mentionné en l'article précédent, porte l'art. 205, contient une provocation directe à la désobéissance aux lois ou autres actes de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre qui l'aura publié sera puni de la détention. >> Toutes les circonstances que nous avons relevées dans l'article précédent sont nécessaires pour caractériser le second crime; mais il faut de plus une provocation directe à la désobéissance, ou une tendance à exciter la guerre civile. Un membre du Conseil d'Etat fit remarquer que ce deuxième membre de l'article se confondait à peu près avec le premier. M. Berlier répondit que, sans provoquer en termes directs et formels à désobéir à telle ou telle mesure de l'autorité publique, on peut avoir tenu des discours

propres à soulever ou armer les citoyens les uns contre les autres, et qu'on ne saurait justement considérer comme redondantes des expressions qui n'ont pour objet que d'obvier à toute lacune 1.

Enfin la provocation contenue dans l'écrit pastoral peut avoir été suivie d'effet; alors le prélat provocateur est considéré comme complice des actes de la sédition, et les peines encourues par les agents de la sédition lui sont appliquées, si d'ailleurs ces peines sont supérieures à la déportation. C'est ce qui résulte de l'art. 206, ainsi conçu: « Lorsque la provocation contenue dans l'écrit pastoral aura été suivie d'une sédition ou révolte dont la nature donnera lieu contre l'un ou plusieurs des coupables à une peine plus forte que celle de la déportation, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au ministre coupable de la provocation. Cet article ne fait que reproduire l'art. 203, et dès lors nos précédentes observations s'y appliquent entièrement.

929, Mais il est essentiel de signaler ici une omission assez grave commise par le législateur. La loi du 28 avril 1832 a substitué, dans l'art. 205, la peine de la détention temporaire à celle de la déportation; mais cette correction n'a point été faite dans l'art. 206, où toutefois les mêmes motifs la rendaient nécessaire. Il est visible, en effet, que le but du Code pénal était de graduer la peine suivant que la provocation avait été ou non suivie d'effet, en prononçant dans le premier cas la peine de la déportation, et dans le second la peine encourue par les auteurs de la rébellion, si cette peine était plus grave que la déportation. Cette pénalité, quoique trop rigoureuse sans doute, était du moins assise sur une base logique. Or, le législateur de 1832, en abaissant la peine du premier de ces articles, sans modifier celle du second, a détruit cette gradation. En effet, il n'existe plus pour ce fait aucune peine intermédiaire entre la détention temporaire portée par l'art. 205, et les travaux forcés à perpétuité et la peine capitale dont l'art. 206 prescrit l'applica tion. De là il résulte que la provocation est punie de la

1. Procès-verb. du Conseil d'Etat, séance du 29 août 1809.

même peine, soit qu'elle n'ait été suivie d'aucun effet, soit que la sédition qu'elle a fait naître soit de nature à rendre les auteurs passibles des travaux forcés à temps et même de la déportation; et toutefois, dans ces deux espèces, le fait n'a ni les mêmes conséquences matérielles, ni la même gravité morale. De là il suit encore que le ministre provocateur ne sera puni que de la détention, quand les agents de la sédition encourront les travaux forcés à temps, la réclusion ou la déportation; et cependant le vœu de la loi a été qu'il fût considéré comme leur complice. Il serait inutile d'insister sur ces conséquences contradictoires: il est évident qu'elles prennent leur source dans une omission échappée au législateur, et il nous suffit de l'avoir relevée.

§ IV. De la correspondance des ministres des cultes avec des cours ou puissances étrangères sur des matières de religion.

980. L'exposé des motifs explique en ces termes l'objet des art. 207 et 208: « De quelque fonction qu'on soit revêtu, on ne cesse point d'être sujet de son prince et de l'Etat; on n'appartient point à une autre puissance; il n'y a en France que des Français: c'est un délit répréhensible et dangereux d'entretenir des relations avec une puissance étrangère contre le gré de son souverain, d'avoir une correspondance avec elle sur les fonctions qu'on exerce, de lui vouer une sorte de soumission, de se constituer son subordonné, de faire dépendre l'exercice de ce qu'on doit à sa patrie, de ce qu'on croit devoir à une autre puissance; aussi le quatrième paragraphe de la section 3 est-il expressément consacré à réprimer les ministres des cultes qui oseraient s'en rendre coupables. >>

Ces paroles dévoilent le but secret du législateur: en parlant en général de la correspondance des ministres des cultes avec une puissance étrangère, il n'a en vue que leur correspondance avec la cour de Rome; c'est contre les entreprises de cette cour que les articles 207 et 208 sont dirigés; si leur rédaction n'est pas plus précise, c'est que, par une sorte de

circonspection, on a voulu éviter de la nommer, et qu'on a pensé qu'elle se trouverait suffisamment désignée par l'expression générique insérée dans ces articles.

Mais alors la question s'élève de savoir si ces articles sont en harmonie avec le principe de la liberté des cultes, et s'ils n'ont point été abrogés par la charte quand elle a posé ce principe. Il est évident que l'art. 207 restreint en quelque manière et sous un rapport l'exercice du culte catholique, puisque ce culte reconnaît pour chef un souverain étranger, et que la correspondance avec ce souverain sur les matières religieuses est dans quelques cas essentielle à son exercice. Toutefois, on peut répondre que cet article ne prohibe nullement cette correspondance, mais qu'il la soumet seulement à la surveillance du gouvernement, afin de la maintenir dans de justes limites : « Il ne s'agit pas, dit l'exposé des motifs, de rompre les rapports légitimes d'aucun culte avec ses chefs même étrangers; il n'est question que de les connaître; et ce droit du gouvernement, fondé sur le besoin de maintenir la tranquillité publique, impose aux ministres des cultes des devoirs que rempliront avec empressement ceux dont les cœurs sont purs et les vues honnêtes. » Il est douteux ensuite que ces dispositions soient relatives à l'exercice même du culte; et l'on ne peut dire, à proprement parler, qu'elles entravent cet exercice; elles règlent seulement les rapports qu'il fait naître avec un souverain étranger; et peutêtre le pouvoir social n'outre-passe pas ses droits en s'immisçant dans ces rapports, non pour les défendre, mais pour les surveiller.

931. L'art. 207 est ainsi conçu : « Tout ministre d'un culte qui aura sur des questions ou matières religieuses, entretenu une correspondance avec une cour ou puissance étrangère, sans en avoir préalablement informé le ministre du roi chargé de la surveillance des cultes, et sans avoir obtenu son autorisation, sera, pour ce seul fait, puni d'une amende de 100 fr. à 500 fr., et d'un emprisonnement d'un mois à deux ans. » Remarquons, en premier lieu, qu'il ne s'agit point ici d'un délit moral; la loi trace une prohibition, et punit toute infraction matérielle à cette défense; elle fait abstraction de l'objet

de la correspondance et de l'intention qui l'a dirigée : c'est une simple contravention que le seul fait de l'infraction constitue. Il résulte, en second lieu, des termes de l'article, que ce n'est point une censure légalement établie de la correspondance du clergé : le ministre du culte n'est assujetti qu'à demander l'autorisation de correspondre; cette autorisation obtenue, il peut s'adresser directement à la cour étrangère sans être astreint à communiquer ses dépêches. La loi ne soumet pas au visa, mais seulement à l'autorisation du gouvernement.

932. La question s'est élevée de savoir si cet article était applicable au ministre du culte coupable d'avoir mis à exécution une bulle ou un bref du pape dont la publication n'avait pas été autorisée, et qui n'avait pas été enregistré au Conseil d'Etat. On reconnut facilement l'inapplication de cette disposition; et comme, d'un autre côté, l'art. 1er de la loi du 18 germinal an X n'a sanctionné d'aucune peine la défense qu'il porte, on voulut recourir à la loi des 9-17 juin 1791, qui punit cet empiétement de la dégradation civique; mais quelques esprits doutèrent que cette loi fût encore en vigueur, et le décret du 23 janvier 1811 porta dans son art. 2: « Ceux qui seront prévenus d'avoir, par des voies clandestines, provoqué, transmis ou communiqué ledit bref, seront poursuivis devant les tribunaux et punis comme tendant à troubler l'Etat par la guerre civile, aux termes des articles 91 et 203 du Code pénal 2. » Il n'est pas besoin de démontrer que ce décret ne renferme point une règle générale, et d'ailleurs une telle règle ne pourrait enchaîner les tribunaux. Il ne s'agit dans cet acte que de l'appréciation d'un fait, appréciation qui ne peut survivre au fait lui-même. Pour étendre la même incrimination à tous les faits de la même nature, il eût fallu l'intervention de la loi elle-même. La conséquence de ces observations est que la publication ou la mise à exécution d'un bref non enregistré ne paraît devoir être considérée

** V. suprà, p. 66, n. 1.

2. Ce décret porte par erreur les art. 91 et 103 du Code des délits et des peines.

TOME III.

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