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XXXI.e ENTRETIEN.

Première Lettre d'Euphrasie à Clotilde.

CLOTILDE, ANGÈLE.

ANGÈLE. Je vous apporte, M.lle Clotilde, des nouvelles de M.lle Euphrasie.

CLOT. Ah! quel plaisir vous me faites! l'avez-vous donc vue cette aimable enfant ? Candide m'a dit qu'on la tenoit comme en prison.

ANG. Cela n'est que trop vrai; cependant, malgré ses gardes et ses geolières, j'ai pénétré jusque dans sa chambre, j'ai eu le bonheur de la voir, et voici une lettre qu'elle vous écrit. (Angèle baisant la lettre et la donnant à Clotilde.) O gage précieux d'une amitié vertueuse! Lisez, Mademoiselle, elle est trempée des larmes de M.le Euphrasie.

CLOT. (ouvrant la lettre.) Je tremble en l'ouvrant, fortifiez-moi, ô mon Dieu! Permettez-vous, Angèle, que je lise bas en votre présence.

ANG. Quelque intérêt que je prenne à M.lle Euphrasie, je ne veux rien savoir contre ses intentions.

CLOT. (lit la lettre.) « Ma tendre amie est maintenant mon unique mère, puisque le Ciel m'a enlevé celle dont je reçus le jour; je vous ouvre mon cœur, et je dépose dans votre sein les maux affreux qui m'accablent. Les plus tristes événemens ont justifié mes alarmes elle n'est plus, hélas ! ma vertueuse mère; et tandis que Dieu la couronne de gloire, je ne trouve sur la terre que des épines et des croix; mon oncle et ma tante, qui étoient si jaloux de me voir sous leur empire, triomphent enfin : ils profitent de ma jeunesse, de ma timidité et de mon peu d'expérience, pour me charger de chaînes et me réduire en esclavage. Excellente amie, vous le dirai-je? et pourrez-vous l'apprendre sans horreur? Ma mère est à peine ensevelie, on me présente un papier à signer, on dit que ce sont des affaires qui pressent. L'esprit troublé, et le cœur navré de douleur je ne fis aucune réflexion, je n'en étois point capable: je signai sans lire l'écrit fatal, et cet écrit, c'étoit un contrat de mariage avec M. de Valbert, cet homme que

je ne puis souffrir, cet impie qui fait frémir le Ciel et la terre. » Clotilde consternée, laisse tomber la lettre sur sa table! Ah! mod Dieu!

ANG. Je m'attendois bien au trouble qui vous agite; vous tâcheriez en vain de me le dissimuler. Au nom de Dieu, M.lle Clotilde, dites-le-moi; verrai-je encore mon aimable Euphrasie?

CLOT. Patience, Angèle, et je vous dirai tout ce qu'il me sera permis de vous dire.

ANG. Reprenez donc courage, Mademoiselle, et vous affectez moins, autrement vous n'irez jamais jusqu'au bout. Vous avez déjà changé de couleur plus de vingt fois.

que

CLOT. (reprend sa lecture.) « Hier au soir, au milieu d'un souper splendide, on me déclara M. de Valbert seroit mon époux. On me fit voir le contrat que j'avois signé. Ce jeune homme tombe aussitôt à mes genoux, il prend ma main, qu'il arrose de ses larmes, il me fait mille protestations d'amitié, d'estime, de respect: il me jure un amour éternel. Je ne répondis à ses protestations que par un dédain insultant. Je détournois mes yeux; ma main tremblante le repoussoit encore: bientôt ma douleur fut

au comble; je m'évanouis, et je demeurai trois heures sans connoissance: revenue à moi, je me vis entourée de mon oncle, de ma tante et de M. de Valbert, qui me baisoit la main avec transport: plus il me témoignoit de tendresse, plus il me paroissoit détestable. Je dis à mon oncle: « Vous avez donc juré de me rendre malheureuse ? Quelle barbarie ! Hélas! que vous ai-je fait, mon oncle? — Vous serez heureuse, répondit-il, vous serez heureuse, je vous en assure; au reste, vous avez un maître, et vous devez lui obéir. » Ma tante me faisoit mille caresses, M. de Valbert redoubloit ses sermens: je ne répondis rien. On prit mon silence pour un consentement; on applaudit à ma soumission ; on dit qu'on reconnoissoit en moi une nièce honnête et docile, qui ne sait que souscrire aux volontés de son oncle. Mais, hélas ! qui pourroit concevoir ce que je souffrois? La tendresse de maman, cette prudente liberté qu'elle laissoit à mes inclinations, la félicité dont j'aurois joui près d'elle, le sort affreux qui m'attend, tout cela se présentoit vivement à mon esprit consterné. Hé quoi! il faudra donc que je passe ma vie... Cette idée me fait frémir!...

Cependant l'heure approche, on prépare mes chaînes, la victime sera bientôt immolée. »

CLOT. (s'arrête encore pour laisser couler ses pleurs.) Ah! tendre amie, quelles cruautés on vous fait souffrir! Euphrasie, ma chère enfant ! que ne puis-je voler auprès de vous! que ne puis-je vous embrasser, vous serrer contre ma poitrine, et vous ravir à la fureur de vos parens! Désirs inutiles,! douce Euphrasie, ma tendresse pour vous est impuissante, et cela augmente mes tourmens.

ANG. M.lle Clotilde, chaque parole que vous prononcez, me perce le cœur : vos larmes, vos soupirs, vos expressions, tout m'annonce que M.lle Euphrasie souffre des peines inconcevables. O ma bonne maîtresse! que ne puis-je la secourir ! que ne puis-je souffrir pour elle! Ah! si tout le monde l'aimoit comme je l'aime!

CLOT. Angèle, ses parens l'aiment, et croient faire son bonheur.

ANG. Cruelle amitié, l'indifférence, la haine seroient préférables.

CLOT. Vous avez raison, Angèle, telle est l'amitié du monde : il tue ceux qu'il caresse; mais la vertu de M.lle Euphrasie la

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