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ANG. Il est vrai, on doit tout attendre d'une ame comme la sienne. Mais, Mademoiselle, je vous en prie, continuez votre lecture; peut-être trouverez-vous quelque chose pour moi.

CLOT. (Continue la lecture de la lettre.) << On m'annonça que demain je serois mariée: voici l'arrangement que l'on a pris. Demain donc, de grand matin, on me conduit à la campagne de maman, où je dois recevoir la bénédiction nuptiale. J'y resterai six semaines; pendant cet intervalle, on changera tout dans la maison de ville, et je reviendrai pour y faire mon séjour ordinaire. Voyez, mon excellente amie, n'estce pas une chose affreuse que de marier un enfant trois jours après le décès de sa mère? J'ai beau le représenter; on dit que ces

considérations doivent céder aux intérêts de famille: tout ce que j'ai pu obtenir, c'est de porter le deuil d'une mère que je pleurerai éternellement, de garder ma bonne Angèle. Après vous ce sera ma consolation. On veut, malgré mes instances, qu'elle reste ici pendant six semaines; ainsi je serai seule avec mes persécuteurs, et un époux que je n'aime point. O douleur! j'aimerois mieux

habiter parmi les morts; mais il faut se soumettre et vouloir ce que Dieu veut. Ses desseins sont impénétrables; peut-être estce un mal, dont il résultera un grand bien. Peut-être n'est-ce qu'au milieu des croix les plus pesantes que je dois me sanctifier et opérer mon salut. Adieu, ma petite mère, et mon excellente amie, adieu, priez pour votre chère enfant Euphrasie. »>

CLOT. (fermant la lettre.) Ah! l'aimable enfant, que sa résignation est généreuse! c'est une héroïne chrétienne.

ANG. Je voyois bien, M.lle Clotilde, que la fin de la lettre étoit plus agréable que le commencement: vous avez repris un air de sérénité et de paix qui me fait plaisir. Je sens mon ame toute consolée: je pensois 1 bien aussi que le Seigneur viendroit au secours de M.lle Euphrasie: ne parle-t-elle pas un peu de moi?

CLOT. Pardonnez-moi, elle dit qu'elle sera six semaines à la campagne, et qu'après vous demeurerez avec elle et serez sa con solation.

ANG. Oh! la bonne nouvelle ! et que je suis heureuse! O charmante Euphrasie, avec vous, je me croirai dans le Paradis

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terrestre; mais pendant votre absence, une absence de six semaines, c'est six ans, quand on aime bien, je serai dans le purgatoire. Je pardonne aux parens de ma reine, ils l'emmènent à la campagne, c'est sans doute pour rétablir sa santé. Je conçois d'heureuses espérances; grand merci, M.lle Clotilde.

CLOT. C'est moi qui dois vous remercier, Angèle, et je le fais de tout mon cœur; mais si vous avez le temps, contez-moi un peu comment vous êtes parvenue à voir Euphrasie.

ANG. J'ai pris prétexte de lui porter des habits, des livres, et plusieurs autres choses que je savois lui être nécessaires. On me reçut à la porte, et on me dit tout net que M.lle Euphrasie n'étoit pas visible. Je répondis que j'avois des choses importantes à dire à M. et à Madame; on fut les avertir, cependant je me glissai dans la chambre de M.lle Euphrasie: je trouvai cette aimable enfant pâle, versant des pleurs amers, et dans un accablement horrible. Dès qu'elle me vit: « Ah! ma bonne, que je suis heureuse de te voir! j'écrivois à M.lle Clotilde, , et je ne savois par quel moyen lui faire par

venir ma lettre : c'est la Providence qui t'envoie, embrasse-moi; ma chère bonne, embrasse ta maîtresse. Mon oncle et ma tante consomment mes malheurs. » Je ne savois que penser, j'étois toute troublée et hors de moi-même. « Le temps presse, reprit-elle, demain je ne serois plus libre, je crains qu'on ne nous surprenne. »> 'Aussitôt elle cachète sa lettre et me la remet. Pendant qu'elle la cachetoit, je tâchois de lire dans ses yeux, et j'y lisois l'expression de la douleur, je n'osois l'interroger, quoique j'en eusse grande envie. J'allois succomber, quand Madame sa tante arriva. « Que voulez-vous, me dit cette dame, en lançant sur moi un regard sevère? Que faites-vous ici? Rien, Madame, j'étois venue apporter quelques habits et quelques livres à M.lle Euphrasie : j'étois venue la voir un instant; ne me permettez-vous pas de la voir cette aimable enfant? une pauvre servante ne peutelle pas chercher sa bonne maîtresse? Je mourrois de douleur, si je ne la voyois point..... Vous la verrez, quand il sera temps, reprit cette dame; puis elle dit doucement à M.1le Euphrasie, qu'elle alloit la venir prendre pour déjeûner avec la com

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pagnie qui l'attendoit. » Je sortis bien vîte, de peur qu'on ne me prît par les épaules, et qu'on ne me chassât. O combien il me fut cruel de quitter ma chère Euphrasie ! Mais je la reverrai, n'est-ce pas, M.lle Clotilde? je demeurerai avec elle, n'est-ce pas ? CLOT. Oui, Angèle, n'en doutez point : elle vous aime, et ne changera jamais.

ANG. O que je suis contente! je ressuscite de morte que j'étois. Adieu, Mademoiselle Clotilde, adieu.

CLOT. Ma chère Angèle, adieu : l'excellente fille qu'on est heureux d'avoir de pareils domestiques!

XXXII.e ENTRETIEN.

Seconde Lettre d'Euphrasie à Clotilde.

CLOTILDE, ANGÈLE.

CLOTILDE. Bonjour, Angèle, soyez la bien venue, il y a six jours que je brûle du désir de vous voir. Euphrasie m'a-t-elle écrit ?

ANG. Oui, Mademoiselle, j'ai été à la poste comme ma reine me l'avoit ordonné

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