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Vous rencontrerez, par exemple, dans les vieilles chartes lorraines, bien des mots familiers à nos paysans, et qui seraient de l'hébreu pour les savants de la Provence ou du Berry; tels sont : deffus, olieil, sêille, racouveton (a), et d'autres dont nous parlerons ailleurs.

Il est donc incor.testable que l'étude patiente et raisonnée des patois est éminemment utile; hâtons-nous d'ajouter, d'après notre propre expérience, qu'on y trouve un certain charme quand une fois on en a surmonté les premières difficultés. A l'occasion et sans fatigue, on recueille et l'on collectionne les mots patois comme on le fait des éléments d'un herbier, sauf à les étudier, à les classer à loisir, laissant à de plus érudits la tâche qu'on n'a pu accomplir soi-même. «< J'éprouve un véritable plaisir, dit M. Littré, quand un vieux mot, que je n'ai jamais connu que mort ou immobilisé dans des textes poudreux, vient, prononcé par un paysan ou inscrit dans un glossaire, frapper mon oreille ou mes yeux; c'est une sorte de résurrection du passé dans ce qu'il a de plus fugitif: les sons et la prononciation. » Il existe une jouissance inverse que ce savant a ignorée sans doute, celle de retrouver son patois dans Commines, Villehardouin, Joinville et le roi-chansonnier.

L'étude d'un patois exige donc de la patience, de la persévérance, et quelque connaissance de nos anciens auteurs; on doit, dans cette étude, se prémunir contre tout système préconçu, éviter les à peu près ou les noter comme tels, avouer souvent son insuffisance et laisser à d'autres, en toute humilité, le soin d'expliquer ce qu'on n'a pu expliquer soi-même. Mais avant tout et surtout, il faut bien comprendre ce patois, le parler au

(a) Hors, fabricant d'huile, faucille, couvreur.

besoin, et se mettre souvent en rapport avec ceux qui en

font usage.

C'est à l'aide de ces simples règles que nous avons entrepris de faire connaître notre patois, qui ne mérite pas le mépris et l'oubli dans lequel il est tombé. Tout était à faire dans cette étude où bien peu nous ont précédé. Dès l'abord, ce patois nous semblait un chaos informe; peu à peu notre esprit s'est accoutumé aux ténèbres, et nous avons pu nous reconnaître dans un dédale qui nous avait paru inextricable. Nos recherches de vingt années ont abouti à un Glossaire assurément incomplet, mais propre à servir de point de départ à de nouvelles investigations. Nous irons beaucoup plus loin. que M. le docteur Cordier, qui a fourni la première étape, et à qui nous saurons attribuer dans le cours de notre travail tout ce que nous lui aurons emprunté. Enfin, pour spécialiser, nous ferons précéder d'un astérisque, dans notre Glossaire, tout ce qui appartient au patois des Vouthons, qui nous est le plus familier et que nous aurons surtout en vue.

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On suppose à tort, sans l'avoir étudié de près, que le patois meusien manque de précision, de grâce et d'énergie. A bien des égards, il est plus précis que le français qui, dans l'usage journalier, lui fait souvent des emprunts. C'est aux paroles à servir et à suyvre, a dit Montaigne, et que le gascon y arrive si le français n'y peut aller. » Il eût pu en dire autant du patois meusien.

Mais depuis tant d'années que ce patois, possession exclusive des paysans, n'a servi qu'à exprimer les besoins, les idées, les sentiments, en somme assez restreints, des populations rurales, il s'est de son propre fonds singulièrement appauvri (CH. DEFODON) », et il lui a fallu faire au français des emprunts qui sont loin d'être toujours heureux. Nous avouerons donc volontiers que son vocabulaire propre est pauvre, surtout quand il s'agit

d'exprimer des idées métaphysiques; mais à côté de cette pénurie, quelle énergie d'expressions et d'images! Malgré son indigence apparente, notre patois se prête volontiers. aux jeux d'esprit, aux réparties vives et promptes, aux saillies spirituelles; et il se débite souvent, dans une soirée de cabaret, plus de sel vraiment gaulois que dans une séance d'académie. Comme le latin, l'un de ses ancêtres, le patois brave quelquefois l'honnêteté; mais Rabelais et Villon, inspirés par la purée septembrale, ne devaient pas s'exprimer autrement que nos malins paysans, lorsque le vin délie leur langue et donne ainsi cours. à leurs joyeux devis, à leurs facéties mordantes, à leurs plaisanteries de bon aloi. Il existe un patois honnête comme il est un français cynique tout dépend de ceux qui l'emploient. Rude comme les mœurs villageoises, le patois s'adoucit avec elles; parlé dans un salon, par une société polie, il serait, quoi qu'on en dise, très supportable et presque harmonieux.

Apologiste d'un patois trop dédaigné, nous désirons néanmoins le voir au plus tôt disparaître de nos campagnes, où il gêne l'essor de l'intelligence. Tel homme. instruit qui l'emploie journellement est obligé de le traduire pour exprimer sa pensée en français, et tel élève intelligent, qui n'a guère connu que le patois de son village, rencontre dans ses études des difficultés inconnues à l'enfant des villes. Nous tenons au patois comme le numismate à ses médailles, le géologue à ses fossiles, l'antiquaire à ses reliques d'un autre âge.« Si les patois n'existaient plus, disait Nodier, il faudrait créer des académies tout exprès pour les retrouver. » Etudious donc le nôtre tandis qu'il en est temps encore; le patois vieillit comme le français, dont il s'approprie les épaves à mesure que lui-même abandonne ses expressions les plus caractéristiques. Notre idiome se francise peu à peu, forcé qu'il est d'accueillir, tout en essayant de leur imposer

sa livrée, les signes nouveaux des idées modernes, et perd ainsi chaque jour de son originalité primitive:

Hâtons-nous, le temps fuit et nous traîne avec soi ;
Le patois dont je parle est déjà loin de moi.

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Les dialectes et les patois parlés en France se divisent en trois grandes classes: ceux du N. ou tudesques, ceux du centre ou celtiques, ceux du S. ou latins.

Cette division remonte fort haut. « Dès l'époque mérovingienne, dit M. Paul Lacroix, il fallait que, pour se faire entendre du peuple, la plupart des évêques parlassent la langue gauloise ou celtique. En Aquitaine cependant, on continua longtemps encore à faire usage d'un latin corrompu; il en fut de même le long de la Garonne et dans la province lyonnaise. Au centre de la Gaule régnait le celtique seul, mais avec certaines modifications locales; tandis qu'aux frontières du N., vers la Flandre française jusqu'en Picardie, on n'entendait guère que le franc ou francique, dialecte dérivé du théostique ou tudesque, dont sont sortis l'allemand, l'anglais, le hollandais, les patois de la Belgique et une partie des patois de la Lorraine. »

Telle est encore actuellement l'exacte distribution des patois parlés en France, comme l'a établi en 1864 une grande statistique ministérielle à laquelle nous empruntons ce qui suit.

Tout le midi parle le languedocien, le gascon et le provençal, d'origine latine, et qui se rapprochent plus ou moins de l'italien ou de l'espagnol. Sur les frontières et sur le littoral, ces idiomes sont altérés ou remplacés par d'autres. A côté du provençal, les Alpes-Maritimes ont le génois, les Basses-Pyrénées le basque et la Gironde le garache, français corrompu qu'y a introduit une colonie saintongeoise.

Le centre parle un français plus ou moins altéré dont le celtique est la base. Ce langage ne se prête pas, comme ceux du midi, au rythme et au nombre poétiques. Le poitevin, les idiomes du Berry et du Morvan ne sont pas vraiment des patois. L'accent est français, la terminologie est française, même pour les mots absolument étrangers à notre langue. Le celtique à peu près pur est parlé, sous le nom de bas-breton, dans les Côtes-du-Nord, le Finistère et la partie occidentale du Morbihan. Dans la Manche et le Calvados, le langage populaire du littoral conserve quelques traces des langues septentrionales qu'y ont laissées les invasions normandes et saxonnes. A l'autre extrémité de cette zone, les Savoisiens ont un langage composé de roman, de celtique, de français corrompu et de piémontais.

Entre les deux premières zones se trouvent le limousin, l'auvergnat, le patois de la Vendée et des Charentes, qui participent naturellement du celte et du latin.

Moins étendue et plus irrégulière que les précédentes, la zone du patois tudesque comprend le picard, parlé dans la Somme, le flamand, usité dans le Nord, les patois messin et lorrain qui, à travers quelques cantons de la Haute-Marne et de la Côte-d'Or, se rattachent aut bourguignon, au bresson et au bugeysien, d'autant plus pénétrés d'éléments celtiques que l'on descend plus au sud.

Dans les départements formés de l'Ile-de-France, la

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