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DE L'ECCLÉSIAST E. 107

Favori de la nature,

Le climat le plus vanté,

Par les vents, par la froidure,

Voit fon efprit avorté;

Et la vertu la plus pure

A fes tems d'iniquité.

Répandez vos bienfaits avec magnificence,

Même aux moins vertueux ne les refufez

pas;

Ne vous informez point de leur reconnaissance;
Il est grand, il eft beau de faire des ingrats.

Laiffez parler les cours, & crier le vulgaire :
Leur langue eft indifcrète, & leurs yeux font jaloux.
De leurs fuffrages faux dédaignez le falaire.
DIEU Vous voit, il fuffit; qu'il règne feul fur vous.

L'homme eft un vil atôme, un point dans l'étendue: Cependant du plus haut des palais éternels,

DIEU fur notre néant daigne abaiffer fa vue:
C'eft lui feul qu'il faut craindre, & non pas les mortels.

TEXT E.

Répandez votre pain fur les eaux qui passent, c'est-àdire, faites également du bien à tout le monde &c. . . . . Ne faites point attention aux

chofes qui fe difent de vous. DIEU vous fera rendre compte en fa juftice de ce que vous avez fait en bien ou en mal.

AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR.

AP

Près avoir donné le Précis de l'Eccléfiafte, qui eft l'ouvrage le plus philofophique de l'ancienne Afie, voici le Précis du Cantique des Cantiques, par le même Mr. Eratou. C'est le poème le plus tendre, & même le feul de ce genre qui nous foit resté de ces tems reculés. Tout y respire une fimplicité de mœurs, qui feule rendrait ce petit poëme précieux. On y voit même une efquiffe de la poefie dramatique des Grecs. Il y a des chœurs de jeunes filles de jeunes hommes qui fe mêlent quelquefois au dialogue des deux perfonnages. Les deux interlocuteurs font le Chaton &la Sulamite. Chaton eft le mot hébreu, qui fignifie l'amant ou le fiancé. La Sulamite eft le nom propre de la fiancée. Plufieurs favans hommes ont attribué cet ouvrage à Salomon; mais on y voit plufieurs verfets qui ont fait douter qu'il en puisse être l'auteur.

On a raffemblé les principaux traits de ce poeme pour en faire un petit ouvrage régulier, qui en confervât tout l'efprit. Les répétitions & le défordre, qui étaient peut-être un mérite dans le file oriental, n'en font point un dans le nôtre. On s'eft abftenu furtout fcrupuleufement de toucher aux fublimes & refpectables allégories, que les plus graves docteurs ont tirées de cet ancien poëme; & on s'en eft tenu à la fimplicité non moins refpectable du texte. Nous autres éditeurs nous ne pouvons donner une idée plus claire de ces chofes, qu'en imprimant la lettre de Monfieur Eratou à Monfieur Clocpicre aumônier de S. A. S. M. le Landgrave.

LETTRE

DU TRADUCTEUR DU CANTIQUE.

'Apprends avec mépris que le Précis du Cantique des a Cantiques a encouru la cenfure de quelques ignorans, qui font les entendus. Ces pauvres gens ont jugé un ouvrage hébreu, qui a environ trois mille ans d'antiquité, comme ils jugeraient un bouquet à Iris, ou une jouiffance de l'abbé Tétu, ou une chanson de l'abbé de l'Atteignan, imprimée dans le Mercure galant ; ils ne connaiffent que nos petits amours de ruelle, ce qu'on appelle des conquêtes; ils ne peuvent fe faire une idée des tems héroïques, ou patriarchaux ; ils s'imaginent que la nature a été au fond de l'Afie, ce qu'elle eft dans la paroiffe de St. André-des-arts, ou des arcs, & dans la cour du palais.

Il faut apprendre à ces pédans petits-maîtres, qu'il y a toûjours eu une grande différence entre les mœurs des Afiatiques qui n'ont jamais changé, & celle des badauts de Paris qui changent tous les jours. Ils doi vent fe mettre dans la tête que la princeffe Nausicaa, fille du roi Alcinous, & l'époufe du Cantique des Cantiques, & la naïve parente de Boos, & Lia, & Rachel, n'ont rien de commun avec la femme ou la fille d'un marguillier.

Les chaftes amours, la propagation de l'efpèce humaine, ne faifaient point rougir; on ne célébrait point l'adultère en chanfons; on ne mettait point fur un théatre d'opéra les amours les plus lafcifs, avec l'approbation d'un cenfeur, & la permiffion du lieutenant de lice de Jérufalem.

po

Si les amours refpectables de l'époux & de l'époufe. commencent par ces mots, Ifaguni minfichot piho Kytobem dodeka me yayin: Qu'il me baife d'un baifer de fa bouche, car fa gorge eft meilleure que du vin : c'est

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que l'auteur de ce cantique n'était pas né à Paris ; c'est que ni notre galanterie, ni notre petit efprit critique, ni notre infolence pédantefque, n'étaient pas connus à Herschalaim, vulgairement nommée Jérufalem.

Vous qui infultez à l'antiquité fans la connaître, vous qui n'êtes favans que dans la langue de l'opéra de Paris, du barreau de Paris, & des brochures de Paris; vous qui voulez que l'efprit divin emprunte votre stile, ofez lire le livre d'Ezechiel; vous ferez fcandalifés que DIEU ordonne au prophête de manger fon pain couvert d'excrémens humains, & qu'enfuite il change cet ordre en celui de manger fon pain avec de la fiente de vache. Mais fachez que dans toute l'Arabie déferte, on mange quelquefois de la bouze de vache, furtout que les plus vils excrémens, & le bourgeois le plus fier qui achète un office, font abfolument égaux aux yeux du Créateur, & même aux yeux du fage; que rien n'eft ni dégoûtant, ni vil, ni odieux devant la fageffe, finon l'efprit d'ignorance & d'orgueil, qui juge de tout fuivant fes petits ufages & fes petites idées.

Ceux qui ont ofé regarder les expreffions naturelles d'un amour légitime comme des expreffions profanes, feraient bien étonnés s'ils lifaient le feiziéme & le vingttroifiéme chapitre d'Ezéchiel, qu'ils n'ont jamais lu; ils verront dans le feizième, que DIEU même compare Jérufalem à une jeune fille, pauvre, mal-propre, dégoûtante. J'ai eu pitié de vous, dit-il, je vous ai fait croître comme l'herbe des champs. Et ubera tua intumuerunt, & pilus tuus germinavit, & eras nuda, & tranfivi per te, & vidi te, & ecce tempus amantium,

extendi amictum meum fuper te, & facta es mihi &te lavavi aquâ, & veftivi te difcoloribus & or&ornavi te ornamentis, & dedi armillas & torquem... fed babens fiduciam in pulchritudine tua - fornicata es cum omni tranfeunti fecifti tibi fimu lacra mafculina, & fornicata es cum eis cifti tibi lupanar, & fornicata es cum vicinis magna

fe

DU CANTIQUE.

rum carnium

III

& dona donabas eis ut intrarent ad le undique ad fornicandum.

Le vingt-troifiéme chapitre eft encor beaucoup plus fort. Ce font les deux fœurs Oolla & Oliba, qui fe font abandonnées aux plus infames proftitutions; Oolla a aimé avec fureur de jeunes officiers & de jeunes magiftrats. Oliba infanivit amore fuper concubitum eorum qui babent membra afinorum, & ficut fluxus equorum flu

xus eorum.

Vous voyez évidemment que dans ces tems-là on ne faifait point fcrupule de découvrir ce que nous voilons, de nommer ce que nous n'ofons dire, & d'exprimer les turpitudes par les noms des turpitudes.

D'où vient notre délicateffe ? C'eft que plus les mœurs font dépravées, plus les expreffions deviennent mefurées. On croit regagner en paroles ce qu'on a perdu en vertu. La pudeur s'eft enfuie des coeurs, & s'eft réfugiée fur les lèvres. Les hommes font enfin parvenus à vivre enfemble, fans fe dire jamais un feul mot de ce qu'ils fentent, & de ce qu'ils penfent; la nature eft partout déguisée, tout eft un commerce de tromperie.

Rien de plus naturel, de plus ingénu, de plus fimple, de plus vrai que le Cantique des Cantiques; donc il n'eft pas fait pour notre langue, difent ces hypocrites qui lifent l'Aloifia, & qui prennent des airs graves en fortant des lieux que fréquentait Oliba.

La traduction que j'ai faite de cette ancienne églogue hébraïque, n'eft point indécente; elle eft tendre, elle eft noble, elle n'eft point recherchée, comme celle de Théodore de Bèze:

Ecce tu belliffima
His columbis prædita
Patulis ocellulis

Hinc & inde pendulis
Crifpullis cincinnulis.

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