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RÉPONSE DE MONSIEUR DE VOLTAIRE. 197

Depuis deux mille ans répétés,
Brode encor des fables antiques:
Je veux de neuves vérités.
Divinités des bergeries:
Nayades des rives fleuries,

Satyres qui danfez toûjours,

Vieux enfans que l'on nomme amours,
Qui faites naître en nos prairies
De mauvais vers & de beaux jours,
Allez remplir les hémistiches

De ces vers pillés & poftiches,
Des rimailleurs fuivans les cours.
D'une mesure cadencée

Je connais le charme enchanteur;
L'oreille eft le chemin du cœur;
L'harmonie, & fon bruit flatteur,
Sont l'ornement de la pensée;
Mais je préfère avec raifon
Les belles fautes du génie
A l'exacte & froide oraifon
D'un puriste d'académie.
Jardins, plantés en fymétrie,
Arbres nains tirés au cordeau,
Celui qui vous mit au niveau
En vain s'applaudit, fe récrie,
En voyant ce petit morceau :
Jardins, il faut que je vous fuye;
Trop d'art me révolte & m'ennuye;
J'aime mieux ces vaftes forêts;
La nature libre & hardie,

Irrégulière dans fes traits,
S'accorde avec ma fantaisie.
Mais dans ce difcours familier
En vain je crois étudier
Cette nature fimple & belle:
Je me fens plus irrégulier,

Et beaucoup moins aimable qu'elle.
Accordez-moi votre pardon
Pour cette longue rapfodie;
Je l'écrivis avec faillie,

Mais peu maître de ma raifon,
Car j'étais auprès d'Emilie.

* (661).

A UR. DE P..

SIRE,

. (a)

Endant que j'étais malade, votre majesté a fait plus de belles actions, que je n'ai eu d'accès de fiévre. Je ne pouvais répondre aux dernières bontés de votre majefté. Où aurais-je d'ailleurs adreffé ma lettre ? A Vienne? à Presbourg? à Temefvar? Vous pouviez être dans quelqu'une de ces villes; & même, s'il eft un être qui puiffe fe trouver en plufieurs lieux à la fois, c'eft affurément votre perfonne, en qualité d'image de la Divinité, ainsi que le font tous les princes, & d'image très penfante & très agiffante. Enfin, fire, je n'ai point écrit, parce que j'étais dans mon lit quand votre majefté courait à cheval au milieu des neiges & des fuccès.

D'Efculape les favoris

Semblaient même me faire accroire
Que j'irais dans le feul pays
Où n'arrive point votre gloire;
Dans ce pays dont par malheur
On ne voit point de voyageur
Venir nous dire des nouvelles ;
Dans ce pays, où tous les jours
Les ames lourdes & cruelles,
Et des Hongrois & des Pandours,
Vont au diable au fon des tambours,
Par votre ordre & pour vos querelles ;

(a) Nous n'avons pu trou

ver la date de cette lettre. Il

paraît qu'elle eft de l'année 1742.

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Dans ce pays dont tout chrêtien,
Tout juif, tout mufulman raisonne;

Dont on parle en chaire, en Sorbonne,

Sans jamais en deviner rien;

Ainfi que le Parifien,
Badaut crédule & fatyrique,
Fait des romans de politique,
Parle tantôt mal, tantôt bien,.
De Belle-Isle & de vous peut-être;
Et dans fon léger entretien

Vous juge à fond fans vous connaître.

Je n'ai mis qu'un pié fur le bord du Styx; mais je fuis très fâché, fire, du nombre des pauvres malheureux que j'ai vu paffer. Les uns arrivaient de Scharding, les autres de Prague, ou d'Iglau. Ne cefferezvous point, vous & les rois vos confrères, de ravager cette terre, que vous avez, dites-vous, tant d'envie de rendre heureuse?

Au-lieu de cette horrible guerre,
Dont chacun fent les contre-coups,
Que ne vous en rapportez-vous
A ce bon abbé de Saint Pierre?

Il vous accorderait tout auffi aifément, que Licurgue partagea les terres de Sparte, & qu'on donne des portions égales aux moines. Il établirait les quinze dominations de Henri IV. Il est vrai pourtant, que Henri IV n'a jamais fongé à un tel projet. Les commis du duc de Sulli, qui ont fait fes mémoires, en ont parlé; mais le fecrétaire d'état Villeroi, miniftre des affaires étrangères, n'en parle point. Il eft plaifant, qu'on ait attribué à Henri IV le projet de déranger tant de trônes, quand il venait à peine de s'affermir fur le

AUR. DE P...

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fien. En attendant, fire, que la diète Européane, ou Europaine, s'affemble pour rendre tous les monarques modérés & contens, votre majefté m'ordonne de lui envoyer ce que j'ai fait depuis peu du Siècle de Louis XIV; car elle a le tems de lire quand les autres hommes n'ont point de tems. Je fais venir mes papiers de Bruxelles; je les ferai transcrire, pour obéir aux ordres de votre majesté. Elle verra peut-être que j'embraffe un trop grand terrain: mais je travaillais principalement pour elle, & j'ai jugé, que la fphère du monde n'était pas trop grande. J'aurai donc l'honneur, fire, d'envoyer dans un mois à votre majefté un énorme paquet, qui la trouvera au milieu de quelque bataille, ou dans une tranchée. Je ne fais, fi vous êtes plus heureux dans tout ce fracas de gloire, que vous l'étiez dans cette douce retraite de Remusberg.

Cependant, grand roi, je vous aime,
Tout autant que je vous aimai,
Lorfque vous étiez renfermé

Dans Remusberg & dans vous-même;
Lorfque vous borniez vos exploits
A combattre avec éloquence
L'erreur, les vices, l'ignorance,

Avant de combattre des rois.

Recevez, fire, avec votre bonté ordinaire, mon profond refpect, & l'affurance de cette vénération qui ne finira jamais, & de cette tendreffe qui ne finira que quand vous ne m'aimerez plus.

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