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A MONSIEUR DE GERVASI,

MÉDECIN.

TU revenais couvert d'une gloire éternelle;

Le Gevaudan (a) furpris t'avait vu triompher
Des traits contagieux d'une peste cruelle,
Et ta main venait d'étouffer

De cent poisons cachés la femence mortelle.
Dans Maifons cependant je voyais mes beaux jours
Vers leurs derniers momens précipiter leur cours.
Déja près de mon lit la mort inexorable
Avait levé fur moi fa faulx épouvantable.
Le vieux nocher des morts à fa voix accourut.
C'en était fait, fa main tranchait ma destinée:
Mais tu lui dis, arrête. . . & la mort étonnée
Reconnut fon vainqueur, frémit & disparut.
Hélas! fi comme moi aimable Genonville
Avait de ta préfence eu le fecours utile,
Il vivrait, & fa vie eût rempli nos fouhaits;
De fon cher entretien je goûterais les charmes ;
Mes jours, que je te dois, renaîtraient fans allarmes ;
Et mes yeux, qui fans toi fe fermaient pour jamais,
Ne fe rouvriraient point pour répandre des larmes.
C'est toi du moins, c'est toi par qui dans ma douleur

(a) Mr. de Gervafi, célèbre médecin de Paris, avait été envoyé dans le Gevaudan pour la pefte, & à fon retour

il eft venu guérir l'auteur de la petite vérole dans le château de Maifons, à fix lieues de Paris, en 1723.

A MR. DE GERVAS I.

Je peux jouir de la douceur

De plaire & d'être cher encore
Aux illuftres amis dont mon deftin m'honore.
Je reverrai Maisons, dont les foins bienfaifans
Viennent d'adoucir ma fouffrance;

Maifons en qui l'esprit tient lieu d'expérience,
Et dont j'admire la prudence

Dans l'âge des égaremens.

Je me flatte en fecret, qu'à mon dernier ouvrage
Le vertueux Sulli donnera fon fuffrage;
Que fon cœur généreux, avec quelque plaifir,
Au fortir du tombeau me reverra paraître,
Et que Mariamne peut-être

Poura par fes malheurs enchanter fon loifir.
Beaux jardins de Villars, ombrages toûjours frais,
C'eft fous vos feuillages épais

Que je retrouverai ce héros plein de gloire,
Que nous a ramené la paix

Sur les aîles de la victoire.

C'est là que Richelieu, par fon air enchanteur,
Par fes vivacités, fon efprit & fes graces,
Dès qu'il reparaîtra, faura joindre mon cœur
À tant de cœurs foumis qui volent fur fes traces.
Et toi, cher Bolingbroke, héros qui d'Apollon
As reçu plus d'une couronne,

Qui réunis en ta personne
L'éloquence de Cicéron

L'intrépidité de Caton,

L'efprit de Mécénas, l'agrément de Pétrone:

Enfin donc je refpire, & refpire pour toi;

313

Je pourai déformais te parler & t'entendre.
Mais ciel! quel fouvenir vient ici me furprendre!
Cette aimable beauté qui m'a donné fa foi,
Qui m'a juré toûjours une amitié fi tendre,
Daignera-t-elle encor jetter les yeux fur moi?
Hélas! en defcendant fur le fombre rivage,
Dans mon cœur expirant je portais fon image;
Son amour,
fes vertus, fes graces, fés appas,
Les plaifirs que cent fois j'ai goûté dans fes bras,
A ces derniers momens flattaient encor mon ame;
Je brûlais en mourant d'une immortelle flamme.
Grands Dieux! me faudrait-il regretter le trépas?
M'aurait-elle oublié ? ferait-elle volage?
Que dis-je, malheureux! où vais - je m'engager ?
Quand on porte fur le vifage,

D'un mal fi redouté le fatal témoignage,
Eft-ce à l'amour qu'il faut fonger?

VARIANTES.

Après ce vers, Reconnut fon vainqueur, &c. on lifait

ceux-ci.

Auffi-tôt ta main vigilante,

Ranimant la chaleur éteinte dans mon corps,
De ma frêle machine arrangea les refforts.
La nature obéiffante

Fut foumise à tes efforts,
Et la Parque impatiente

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VARIANTES.

File aujourd'hui pour moi dans l'empire des morts.

Hélas!c.

315

Au-lieu de ce vers, Je me flatte en fecret, &c. on lifait ceux-ci.

Je me flatte en fecret, que je pourai peut-être
Charmer encor Sulli, qui m'a trop oublié.
Mariamne à fes yeux ira bientôt paraître;
Il la berra pour elle implorer fa pitié,
Et ranimer en lui, ce goût, cette amitié,

Que pour moi dans fon cœur ma mufe avait fait naître.
Beaux jardins, &c. &c.

Après ce vers, L'efprit de Mécénas, &c. on lifait

ceux-ci.

Et la fcience de Varron. Bolingbroke, à ma gloire, il faut que je publie

Que tes foins, pendant le cours

De ma trifte maladie,

Ont daigné marquer mes jours

Par le tendre intérêt que tu prends à ma vie.

Enfin donc, &c. &c.

LETTRE

À SON ALTES SE ROYALE

MADAME LA PRINDESSE DE ***.

Souvent

Ouvent la plus belle princeffe
Languit dans l'âge du bonheur;
L'étiquette de la grandeur,

Quand rien n'occupe & n'intéreffe,

Laiffe un vuide affreux dans le cœur.

Souvent même un grand roi s'etonne,

Entouré de fujets foumis,

Que tout l'éclat de fa couronne,
Jamais en fecret ne lui donne
Ce bonheur qu'elle avait promis.

On croirait que le jeu confole;
Mais l'ennui vient à pas comptés,
A la table d'un cavagnole (a)
S'affeoir entre des majestés.

(a) Jeu à la mode à la cour.

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