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Tu n'étais pas alors; on ne pouvait connaître
Cet art qui n'eft qu'à toi, cet art que tu fais naître.
Corneille, des Romains peintre majestueux,
T'aurait vue auffi noble, auffi Romaine qu'eux.
Le ciel pour échauffer les glaces de mon âge,
Le ciel me réservait ce flatteur avantage.
Je ne fuis point furpris qu'un fort capricieux
Ait pu méler quelque ombre à tes jours glorieux.
L'ame qui fait penser n'en est point étonnée,
Elle s'en affermit loin d'être consternée;
C'eft le creufet du fage ; & fon or altéré
En renaît plus brillant, en fort plus épuré.
En tout tems, en tous lieux, le public est injuste;
Horace s'en plaignait fous l'empire d'Augufte.
La malice, l'orgueil, un indigne défir
D'abaiffer des talens qui font notre plaifir,

De flétrir les beaux arts qui confolent la vie ;
Voilà le cœur de l'homme; il eft né pour l'envie.
A l'églife, au barreau, dans les camps, dans les cours,
Il elt, il fut ingrat, & le fera toûjours.

Du fiécle que j'ai vu tu fais quelle eft la gloire;

Ce fiécle des talens vivra dans la mémoire.
Mais vois à quels dégoûts le fort abandonna
L'auteur d'Iphigénie, & celui de Cinna,
Ce qu'effuia Quinault, ce que fouffrit Molière,
Fénelon dans l'exil terminant fa carrière,
Arnaud qui dut jouïr du deftin le plus beau,
Arnaud manquant d'afyle, & même de tombeau.
De l'âge où nous vivons que pouvons-nous attendre?
La lumière, il eft vrai, commence à fe répandre ;

A MLLE. CLAIR O N.

Avec moins de talens on eft plus éclairé;

Mais le goût s'eft perdu, l'efprit s'eft égaré.
Ce fiécle ridicule eft celui des brochures,
Des chansons, des extraits, & furtout des injures.
La barbarie approche; Apollon indigné

Quitte les bords heureux où fes loix ont régné ;
Et fuyant à regret fon parterre & fes loges,
Melpomène avec toi fuit chez les Allobroges

425

A LA MÊME.

Nous fommes trois (a) que même ardeur excite,

Egalement à vous plaire empreffés :
L'un vous égale & l'autre vous imite,
Et le troifiéme avec moins de mérite
Eft plus heureux; car vous l'embelliffez.
Je vous dois tout; je devrais entreprendre
De célébrer vos talens, vos attraits:
Mais quoi! les vers ne plaifent déformais,
Que quand c'est vous qui les faites entendre.

(a) Deux dames qui jouaient la tragédie, & l'auteur.

A LA

MÊME.

LEs talens, l'efprit, le génie,

Chez Clairon font très affidus:
Car chacun aime fa patrie.

Chez elle ils se font tous rendus,
Pour célébrer certaine orgie (a)
Dont je fuis encor tout confus:
Les plus beaux momens de ma vie
Sont donc ceux que je n'ai point vus !
Vous avez orné mon image

Des lauriers qui croiffent chez vous:
Ma gloire, en dépit des jaloux,
Fut en tous les tems votre ouvrage.

(a) Fête connue fous le nom de l'inauguration de la ftatue de monfieur de Voltaire, & célébrée chez mademoiselle Clairon en Octobre 1772. Cette actrice, habillée en prê

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treffe d'Apollon pofa une
couronne de laurier fur le
bufte de l'auteur de Zaïre
& récita une ode de monfieur
de Marmontel en fon hon-

neur.

* (427)

COUPLETS D'UN JEUNE HOMME,

chantés à Ferney le 11 Août 1765, veille de Ste. Claire, à Mademoiselle CLAIRON.

Dans la grand' ville de Paris
On fe lamente, on fait des cris;
Le plaifir n'eft plus de faison.
La comédie

N'eft plus fuivie,
Plus de Clairon.

Melpomène & le Dieu d'amour,

La conduifirent tour-à-tour;

En France elle donne le ton.

Paris répète,

Que je regrète

Notre Clairon.

Dès qu'elle a paru parmi nous,
Nos bergers font devenus fous;
Tircis vient de quitter Fanchon.
Si l'infidèle

Laiffe fa belle,

C'est pour Clairon.

Je fuis à peine en mon printems,
Et j'ai déja des fentimens :
Vous êtes un petit fripon.

Sois bien difcrète,

La faute eft faite,

J'ai vu Clairon.

Clairon, daigne accepter nos fleurs,

Tu vas en ternir les couleurs;

Ton fort eft de tout effacer.

La rofe expire,

Mais ton empire

Ne peut paffer.

Couplet ajouté.

Nous fommes privés de Vanlo;
Nous avons vu paffer Rameau;

Nous perdons Voltaire & Clairon.
Rien n'eft funefte,

Car il nous reste

Monfieur Fréron.

Fin du Tome premier.

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