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Le fixième, que le bonheur parfait ne peut être le partage de l'homme en ce monde, & que l'homme n'a point à fe plaindre de fon état.

Le feptième, que la vertu confifte à faire du bien à fes femblables, & non pas dans de vaines pratiques de mortification.

F

* (3) *

حية

PREMIER DISCOURS.

DE L'ÉGALITÉ DES CONDITIONS.

U vois, fage Arifton, d'un œil d'indifférence
La grandeur tyrannique & la fière opulence;
Tes yeux d'un faux éclat ne font point abufés.
Ce monde eft un grand bal, où des fous déguifés,
Sous les rifibles noms d'Eminence & d'Alteffe,
Penffent enfler leur être & hauffer leur baffeffe.
En vain des vanités l'appareil nous furprend.
Les mortels font égaux; leur mafque eft différent.
Nos cinq fens imparfaits, donnés par la nature,
De nos biens, de nos maux, font la feule mesure.
Les Rois en ont-ils fix? & leur ame & leur corps
Sont-ils d'une autre espèce? ont-ils d'autres refforts?
C'eft du même limon que tous ont pris naissance;
Dans la même faibleffe ils traînent leur enfance:
Et le riche & le pauvre, & le faible & le fort,
Vont tous également des douleurs à la mort.

Eh quoi, me dira-t-on, quelle erreur est la vôtre !
N'eft-il aucun état plus fortuné qu'un autre?
Le Ciel a-t-il rangé les mortels au niveau ?
La femme d'un commis, courbé fur fon bureau,
Vaut-elle une Princeffe auprès du trône affife?
N'eft-il pas plus plaifant pour tout homme d'églife,

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D'orner fon front tondu d'un chapeau rouge ou verd,
Que d'aller, d'un vil froc obfcurément couvert,
Recevoir à genoux, après laude ou matine,
De fon Prieur cloîtré vingt coups de difcipline?
Sous un triple mortier n'eft-on pas plus heureux
Qu'un clerc enfeveli dans un greffe poudreux ?
Non; Dieu ferait injufte, & la fage nature
Dans fes dons partagés garde plus de mesure.
Penfe-t-on qu'ici - bas fon aveugle faveur
Au char de la fortune attache le bonheur ?
Un jeune Colonel a fouvent l'impudence
De paffer en plaifirs un Maréchal de France.
Etre heureux comme un Roi, dit le peuple hébété.
Hélas, pour le bonheur que fait la majefté?
En vain fur fes grandeurs un Monarque s'appuie.
Il gémit quelquefois, & bien souvent s'ennuie :
Son favori fur moi jette à peine un coup d'œil.
Animal compofé de baffeffe & d'orgueil,
Accablé de dégoûts en infpirant l'envie,
Tour-à-tour on t'encenfe & l'on te calomnie.
Parle, qu'as-tu gagné dans la chambre du Roi ?
Un peu plus de flatteurs & d'ennemis que moi.

Sur les énormes tours de notre obfervatoire,
Un jour en confultant leur célefte grimoire,
Des enfans d'Uranie un effaim curieux,
D'un tube de cent pieds braqué contre les Cieux,
Obfervait les fecrets du monde planétaire.
Un ruftre s'écria, Ces forciers ont beau faire,
Les aftres font pour nous, auffi-bien que pour eux.
On en peut dire autant du fecret d'être heureux.

DE L'ÉGALITÉ DES CONDITIONS. 5

Le fimple, l'ignorant, pourvu d'un inftinct fage,
En eft tout auffi près, au fond de fon village,
Que le fat important qui penfe le tenir,

Et le trifte favant qui croit le définir.

On dit, qu'avant la boîte apportée à Pandore, Nous étions tous égaux; nous le fommes encore. Avoir les mêmes droits à la félicité,

C'eft pour nous la parfaite & seule égalité.

Vois-tu dans ces vallons ces efclaves champêtres,
Qui creufent ces rochers, qui vont fendre ces hêtres,
Qui détournent ces eaux, qui, la bèche à la main,
Fertilifent la térre en déchirant fon fein?
Ils ne font point formés fur le brillant modèle
De ces pafteurs galans qu'a chanté Fontenelle.
Ce n'eft point Timarette, & le tendre Tircis,
De roses couronnés, fous des myrtes affis,
Entrelaffans leurs noms fur l'écorce des chênes,
Vantant avec efprit leurs plaifirs & leurs peines :
C'eft Pierrot, c'eft Colin, dont le bras vigoureux
Soulève un char tremblant dans un foffé bourbeux.
Perrette au point du jour eft aux champs la première.
Je les vois haletans, & couverts de pouffière,
Braver dans ces travaux, chaque jour répétés,
Et le froid des hyvers, & le feu des étés.
Ils chantent cependant; leur voix fauffe & ruftique
Gaîment de Pellegrin (a) détonne un vieux cantique.
La paix, le doux sommeil, la force, la fanté,
Sont le fruit de leur peine & de leur pauvreté.
Si Colin voit Paris, ce fracas de merveilles,
Sans rien dire à fon cœur, affourdit fes oreilles :

Il ne défire point ces plaifirs turbulens;
Il ne les conçoit pas ; il regrette fes champs;
Dans fes champs fortunés l'amour même l'appelle:
Et tandis que Damis, courant de belle en belle,
Sous des lambris dorés, & vernis par Martin, (b)
Des intrigues du tems compofant fon deftin,
Dupé par fa maîtreffe, & haï par fa femme,
Prodigue à vingt beautés fes chanfons & fa flamme,
Quitte Eglé qui l'aimait, pour Cloris qui le fuit,
Et prend pour volupté le fcandale & le bruit;
Colin, plus vigoureux, & pourtant plus fidèle,
Revole vers Lifette en la faifon nouvelle.

Il vient, après trois mois de regrets & d'ennui,
Lui préfenter des dons auffi fimples que lui.
Il n'a point à donner ces riches bagatelles,
Qu'Hébert (c) vend à crédit pour tromper tant de belles.
Sans tous ces riens brillans il peut toucher un cœur ;
Il n'en a pas befoin; c'eft le fard du bonheur.

L'aigle, fière & rapide, aux aîles étendues,
Soit l'objet de fa flamme, élancé dans les nues.
Dans l'ombre des vallons le taureau bondiffant
Cherche en paix fa geniffe, & plait en mugiffant.
Au retour du printems la douce Philomele
Attendrit par fes chants fa compagne fidèle ;
Et du fein des buiffons, le moucheron léger
Se mêle en bourdonnant aux infectes de l'air.
De fon être content, qui d'entr'eux s'inquiète
S'il eft quelqu'autre efpèce, ou plus ou moins parfaite?
Et qu'importe à mon fort, à mes plaisirs préfens,
Qu'ilfoit d'autres heureux, qu'il foit des biens plus grands?

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